[Kiltir] « Écrire est une passion, un mode de vie »

RENCONTRE AVEC ISABELLE HOARAU-JOLY

Même si elle n’est pas que cela, Isabelle Hoarau-Joly est d’abord connue pour être l’une des auteures les plus renommées de littérature d’albums pour la jeunesse à La Réunion. Elle s’est longuement confiée à Parallèle Sud. 

Bonjour Isabelle Hoarau-Joly. On vous connaît comme auteure, mais vous avez une formation d’ethnobotaniste. Vous pouvez nous expliquer en quoi consiste ce métier, et son influence sur votre parcours ?

Isabelle Hoarau-Joly : Bonjour, J’ai fait une formation en ethnologie il y a une trentaine d’année à l’université de La Réunion, et j’ai choisi l’ethnobotanique, spécialité assez rare à l’époque. En effet, je m’intéresse depuis toujours aux relations des femmes et de la nature. Je continue aussi la passion de ma mère qui m’a initiée tôt à la connaissance des plantes et à leur usage. Etant moi-même descendante d’une lignée de femmes jardinières, je me suis passionnée pour les jardins créoles, en particulier la relation des jardinières avec leur jardin. En effet, pendant plusieurs décennies, les femmes se sont investies dans le jardin ornemental, le jardin de devant où elles plantaient des fleurs, mais aussi des herbes médicinales, symboliques. Elles y mettaient leur âme, car le jardin était un faire-valoir pour elles, montrant leur capacité à inventer des tableaux de couleurs, des plantes rares ou communes. Le jardin était conçu pour être contemplé de la rue. Une mise en scène où la beauté, le choix des plantes, l’organisation du jardin montrait le savoir-faire de la jardinière. J’ai donc publié dans les années 1990, le premier ouvrage sur les jardins de notre île. « L’art du jardin créole » qui a suivi mes études. Cette passion a continué de se nourrir lors de formations spécifiques sur les plantes sauvages comestibles et médicinales pour lesquelles je propose des ateliers de découverte à un public intéressé par ce savoir. Cet amour des plantes me vient aussi de mon enfance de « petite sauvage ». Une période où j’étais immergée dans la nature, et qui a participé à construire mon imaginaire.

Vous avez écrit énormément d’albums, savez-vous exactement combien ? Y en a-t-il qui comptent plus que d’autres ? Pour quelles raisons ?

J’ai écrit d’abord des recueils de contes pour pallier le manque de littérature jeunesse dans les années 1980. Ensuite, j’ai diversifié mon travail d’écriture en proposant des albums sur la faune de notre île, le gecko, mais aussi les baleines ou les requins. Les voyages que je fais nourrissent mon écriture. Chaque pays que je visite est une source d’inspiration, comme le Sénégal où j’ai écrit des albums. Tahiti, où j’ai été journaliste, m’a aussi inspirée. Chaque album raconte une histoire, donne un enseignement sur la vie, propose souvent un lien avec la nature qui fait vraiment partie de mes sujets de prédilection. Ainsi, Ma boite à bonheur est un livre qui a compté pour moi pour apprendre aux enfants la simplicité, leur enseigner que le bonheur est fait de rencontres, de moments d’émotion… Il y a aussi Mon ti jardin créole qui fait découvrir aux enfants la richesse du jardin et des plantes qui les entourent. Je me sens tout à fait « éco-écrivaine », car j’y défends une vision respectueuse de la nature, nécessaire aujourd’hui dans notre monde moderne qui tourne le dos à la nature, en particulier dans notre rapport avec les arbres.

Je me suis aussi plongée dans l’histoire de notre île.  Ainsi, mon dernier album, Niama, princesse esclave, une histoire vraie, est un album biographique. Il fait le lien entre le Sénégal d’où l’héroïne est originaire et l’île Bourbon où elle a vécu longtemps en donnant naissance à un grand scientifique métis, Jean-Baptiste Lislet-Geoffroy. Les marrons et l’esclavage sont aujourd’hui des thèmes de prédilection pour les adultes. Car j’aime explorer les différents thèmes de l’écriture. Après le conte, j’ai écrit des nouvelles, du théâtre, un roman et un récit de voyage.

La passion pour l’écriture est-elle toujours intacte, ou faut-il l’entretenir ? Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?

J’ai une vraie passion pour l’écriture qui est pour moi presque un mode de vie. Je suis sans cesse inspirée par ce qui m’entoure, ce qui me questionne, ce qui me met en colère aussi ou ce qui m’indigne, en particulier la condition féminine. Et les sujets d’inspiration abondent. J’ai d’ailleurs en chantier un album inspiré par un voyage à Mayotte, aussi mon voyage autour du monde coécrit avec une de mes filles, un recueil de nouvelles et un roman d’initiation. Je travaille souvent sur plusieurs livres à la fois, selon l’inspiration.

Vous proposez des balades contées depuis Manapany. Pouvez-vous nous en parler, expliquer à nos lecteurs où ils peuvent se renseigner et s’inscrire ?

I.H.J. : J’habite à Manapany-les-Bains qui est un lieu très inspirant et qui me touche beaucoup par sa beauté, son côté sauvage que je souhaite préserver. C’est aussi pourquoi je propose de découvrir cette baie qui a inspiré plusieurs contes, mais aussi les plantes de bord de mer, utiles et à redécouvrir pour les personnes qui le souhaitent. Je les propose dans le cadre des ateliers avec l’école du jardin planétaire ou si j’ai de la demande par un petit groupe selon mes disponibilités. Mais chaque mois, j’anime un atelier dans le jardin du CHU de Saint-Pierre pour faire découvrir les traditions créoles et les plantes médicinales ou symboliques.

En dehors de ces balades contées, je suis aussi conteuse et j’aime à faire découvrir mes écrits en invitant le public en voyage dans mon univers. Je n’ai pas assez d’occasions de le faire. D’ailleurs, je viens de tourner un documentaire sur mon écriture de contes pour Arte dans le cadre d’Invitation au voyage qui devrait être diffusé à la mi-avril. Je participe régulièrement à des tournages pour la promotion de notre île sur différentes chaînes de télé.

Votre mari, Gérard, est artiste peintre, et a illustré plusieurs de vos albums. Pouvez-vous rapidement nous le présenter ?

Mon mari est aussi un de mes illustrateurs, en particulier quand le sujet a un rapport avec la nature. Comme il a été dessinateur paysagiste, il connaît bien la flore de notre île et notre collaboration est facilitée par cette passion commune. Arrivé dans notre île au moment de mon propre retour dans les années 1980. Il a illustré mes recueils de contes, mais aussi de fables créoles, ainsi que des albums jeunesse. Le dernier est l’album Oscar enquête au jardin d’Eden, une promenade dans le jardin de la Saline, agrémenté d’une enquête, l’occasion de découvrir la faune et la flore de ce lieu.

Aujourd’hui, vous vivez à Manapany, mais vous passez du temps en métropole, un choix plutôt familial ou un choix lié à vos activités ?

I.H.J : Aujourd’hui, je vis entre la campagne du Limousin, nouvelle source d’inspiration pour moi, tant pour des ateliers botaniques que j’anime, que pour la nature qui nourrit mon imaginaire, et La Réunion. J’ai envie de sortir des frontières insulaires dans lesquelles je me sens un peu prisonnière pour sentir le vent du large, découvrir d’autres horizons et sources d’inspiration, même si je continue à écrire pour La Réunion.

Si vous avez des choses à rajouter, n’hésitez pas…

Je me sens parfois à l’étroit dans la littérature jeunesse et j’aspire à proposer des ouvrages pour les adultes… Ce sur quoi je travaille en ce moment.

Propos recueillis par Dominique Blumberger