L’association Les Ami.es de l’Université organise la projection ce mercredi 28 août d’un film racontant la vie de trente femmes dont les destins ont marqué l’histoire de La Réunion. « Femmes, mémoires d’une île » sera diffusé gratuitement à Léspas culturel Leconte de Lisle à Saint-Paul à 18h30.
“Au départ du peuplement, la société réunionnaise était constituée principalement d’hommes. Les femmes ne représentaient que 20% de la population. De ce fait, elles ont largement été invisibilisées dans l’histoire de la construction de l’île.” Yves Bosquet, l’ancien président de l’association Les Ami.es de l’Université (prochainement remplacé par Patricia Dijoux), raconte comment est né le projet de réaliser un film sur trente femmes remarquables qui ont marqué l’histoire de l’île. Le film, “Femmes, mémoires d’une île” sera projeté ce mercredi à 18h30 à Lespas culturel Leconte de Lisle à Saint-Paul après trois projections à Saint-Pierre depuis la fin 2023.
« Honorer le féminin »
“J’ai eu cette idée en constatant que chaque année, parmi les 400 ou 450 adhérents que compte notre association, nous avons 70 à 75% de femmes. Quand nous avons créé Les Ami.es de l’Université, je me suis retrouvé avec plusieurs femmes et c’est moi, le seul homme, qui est devenu président. Je me suis dit pour les trente ans de l’association, il faut honorer le féminin.”
Le film a été réalisé par Lionel Lauret à partir d’images collectées auprès de l’iconothèque historique de l’océan indien. “Lionel Lauret a redonné vie à ces images, il les a animées de façon très poétique”, ajoute Yves Bosquet. Une vingtaine de contributeurs et de contributrices, parmi lesquels des historien.nes, ont permis à cette belle idée de voir le jour en collectant les informations historiques sur chacune de ces personnalités réunionnaises et en les synthétisant en courts portraits de 3 minutes chacun. “Les récits de vie sont lus par des comédiennes, accompagnés de fonnkèr de Mari Sizay en créole, le mariage de tout ça est renversant.”
Parmi les profils retenus pour incarner cette force des femmes de La Réunion, les membres de l’association ont préféré écarter les profils trop marqués politiquement ainsi que les femmes toujours en vie, à l’exception de l’une d’elles, Anne-Marie Payet, aujourd’hui en retrait de la vie publique. Celle-ci est à l’origine de l’amendement du même nom qui appose un petit logo sur les bouteilles d’alcool pour sensibiliser et lutter contre l’alcoolisation fœtale.
« Femmes fortes »
Françoise Bosquet, la femme d’Yves, a écrit une thèse sur les femmes dans les utopies littéraires françaises du 17e et 18e siècle, elle est particulièrement touchée et sensibilisée à la cause. “Ces femmes réunionnaises ont traversé beaucoup d’épreuves, celles qui subsistent sont des femmes fortes. Ces femmes ont fait des choses remarquables, bien souvent elles ont fait fructifier des domaines seules, elles s’en sortaient très bien. Elle avait des capacités à diriger, mais elles avaient aussi une peur terrible car elles ont aussi connu des destins tragiques.”
L’historien Prosper Eve fait état dans un ouvrage paru en 2016* d’événements terribles subis par des femmes de tous âges à partir des plaintes qui ont été déposées devant les tribunaux. “Ce livre donne la nausée”, souffle Françoise Bosquet. “Les noms des agresseurs sont cités, on sait qui a fait quoi. Les femmes se faisaient agresser partout, aujourd’hui ça nous parait scandaleux mais pas à l’époque. Le film ‘Femmes, mémoires d’une île’ a été fait pour stimuler l’énergie des jeunes filles, les encourager, c’est pour ça qu’on a peu insisté sur le coté sombre et on ne l’a pas développé.”
Jéromine Santo-Gammaire
*Prosper Eve, Nouveaux propos sur les femmes à Bourbon, Surya éditions, 2016.
Trois femmes remarquables
Antoinette Orré, dite Veuve Isautier
Antoinette Orré, veuve de Charles Isautier, issue d’une riche famille du Sud, en 1821, se distingue par son sens des affaires très novateur. À la mort de Charles, en 1860, la jeune veuve prend la direction de l’entreprise pour la faire entrer dans une ère moderne. C’est une femme d’affaires redoutablement efficace. Elle introduit la notion d’image de marque : étiquettes de luxe et bouteilles en grès pour faire valoir la qualité du rhum. La marque « Veuve Isautier et fils » atteint une réputation d’envergure mondiale. Paris, Amsterdam, Moscou, Anvers… les médailles pleuvent lors des concours internationaux.
Marie How-Choong
Un bel exemple de courage aussi en la personne de Marie How-Choong, née en 1928 dans le sud de l’île. Animée par les valeurs ancestrales de la Chine – le sens de la famille, le goût du travail et de l’effort – elle a su intégrer également les traditions chrétiennes de l’île. Aînée de 8 enfants dont elle s’occupe aussi bien que de la boutique familiale, elle devient mère de 6 enfants auxquels s’ajoutent 5 autres qu’elle recueille avec générosité. À la mort de son mari, elle prend en main la distillerie de vétiver qu’elle fait prospérer de manière intelligente et pugnace, en donnant du travail aux planteurs du sud. Tout en gardant les valeurs du taoïsme et du confucianisme, ainsi que de la culture hakka dont elle parle la langue, elle a su s’insérer dans la société et contribuer à l’enrichissement de toute sa famille et au développement économique du sud de l’île.
Fanny Déjardin-Banks
Fanny Déjardin-Banks, fille du chevalier Banks, esclave affranchie à l’âge de 10 ans. Quelle figure encore que cette veuve libre et femme d’affaires particulièrement avisée : racheter, vendre, spéculer, elle n’ignore rien du monde des affaires. Elle devient l’une des rares sucrières de l’île. Face à la fièvre du sucre, elle sait éviter la crise en revendant son usine juste à temps. Elle n’a pas non plus négligé les cultures vivrières ni le maïs. Ses responsabilités ne l’empêchent pas d’être une mère à la fois tendre et soucieuse de l’éducation de ses 5 enfants, parmi lesquels le poète Auguste Lacaussade.