Kozman la nuit : Le parlement des environnements nocturnes à La Réunion

« Ki sa i koz ? Piédbwa, sovsouri, payanké, fouké, pétrel, satmaron, tang, bèf moka, papang, zangi, létan, la ravine, zamérantes, zétwal… ». Samedi 24 mai les habitants du Tour des Roches à Saint-Paul vous invitent au Kozman la nuit, une assemblée élargie, un événement participatif pour voir autrement et célébrer la biodiversité nocturne, une expérience d’écoute sensible et de partage pour mieux connaître et préserver collectivement le fénwar et ses habitants.

Kozman la nuit / Le parlement des environnements nocturnes à La Réunion est un projet porté par l’association PEI, co-construit avec les habitants de Tour Létan et les partenaires du territoire de Saint-Paul ainsi que des artistes intervenants, dans le cadre du programme « Les jours de la Nuit » développé par le Parc National de La Réunion.

Ce parlement élargi a pour ambition de donner voix aux personnes humaines, non humaines, plus qu’humaines[1], et aux personnes non vivantes qui construisent le territoire. Cette initiative alliant propositions créatives, connaissances scientifiques, représentations et imaginaires, écoute et pratique attentives de l’environnement, s’inscrit dans une démarche de sensibilisation et de valorisation des environnements nocturnes, en réponse aux enjeux contemporains liés à la pollution lumineuse et à la préservation de la biodiversité. Il s’agit de donner la parole aux habitants du territoire, qui restent la cible principale du projet, usagers, citoyens, associations militantes, acteurs économiques, scientifiques, enfants des écoles, ainsi qu’à des vivants non-humains et à des portions de paysage : penser comme une montagne, comme une ravine, se déplacer en pétrel, habiter comme un tangue, un paille-en-queue ou un insecte.

Le projet s’appuie sur l’intelligence collective et la rencontre pour mettre en place une agora élargie au vivant et au paysage, sur le modèle du « parlement des choses »[2] de Bruno Latour, et du « Parlement de Loire » créé par Camille de Toledo au Polau[3].

© Antonio Prianon
© Antonio Prianon
© Antonio Prianon
© Antonio Prianon
© Antonio Prianon
© Antonio Prianon

Les assemblées du kozman la nuit

Depuis le mois de novembre 2024 un travail au long cours a commencé avec les habitants et le PTCE (Pôle territorial de coopération économique) Tour Létan St Pol, au cours d’assemblées qui se réunissent régulièrement aux Jardins de Fonds Imar. Ces assemblées réunissent à chaque fois entre 10 et 20 personnes avec pour objectif de construire, sur un moyen et long terme, un programme culturel spécifique au lieu, alliant enjeux de protection et de connaissance de la biodiversité nocturne avec des enjeux d’ordre économique : comment co-habiter de manière respectueuse, comment protéger sans paralyser les activités humaines, quel seuil d’acceptabilité pour la luminosité dans l’écrin exceptionnel du quartier de l’Etang, quels outils mettre en place pour préserver la biodiversité nocturne et la qualité du fénwar ? Les enjeux peuvent sembler parfois contradictoires, entre la nécessité de sécuriser les biens et les personnes, les objectifs de développement économique et la prise de conscience qu’il est désormais impérieux de sauvegarder le site des impacts de l’action humaine. Aussi, faire parler les piédbwa, les étoiles, les chauves-souris et la ravine permet de faire un pas de côté, de décaler le regard en portant l’attention sur d’autres voix que les voix humaines : ou comment la sensibilité, l’imaginaire et la création peuvent apporter des clés pour une relation plus saine et plus consciente au vivant.

Assemblée Kozman La Nuit, Jardins de Fonds Imar, 2025. ©Antonio Prianon

Un programme artistique et culturel au service de ces enjeux du fénwar s’est donc mis en place, à travers notamment des récoltes de paroles d’habitants du Tour des Roches, menées par la conteuse Natacha Praène et filmées par Antonio Prianon. Aux ruchers de l’école de la nature, dans les jardins de Paulo et de Fonds Imar, le long des canaux de l’étang Saint-Paul, le long des chemins pavés de Bellemène, dans les pâturages du Tour des Roches et aux alentours des grottes de la ravine Divon… les voix des habitants se mêlent au chant du vent et aux paroles des anguilles, des chauves-souris, des bœufs Moka, des paille-en-queue. Raphaël Lejeune, Georges Marie Govindama, Zanbrino Eschyle, Virginie et Firmin Barlieu nous emmènent, dans le viseur de la caméra d’Antonio Prianon et accompagnés par la conteuse Natacha Praène, dans des zistwar fénwar remplies de poésie, d’une certaine nostalgie, mais aussi de philosophie et de réflexion engagée sur notre rapport à notre environnement : à retrouver dans un film (22′) intitulé « Zistwar fénwar » réalisé par Antonio Prianon et qui sera diffusé aux jardins de Fonds Imar samedi 24 mai, et au sein de l’exposition à la Maison Serveaux.

Avec le lancement de Kozman la nuit / Le parlement des environnements nocturnes à La Réunion, c’est un travail conséquent qui est amorcé avec les habitants sur le territoire de Saint-Paul et qui doit se poursuivre sur les trois prochaines années en élargissant la dynamique à d’autres territoires de l’île, en identifiant de nouveaux sites pilotes et en impliquant toujours plus d’acteurs. L’objectif est de construire un réseau dynamique et inclusif, où chacun peut contribuer à une vision partagée d’un avenir respectueux des environnements nocturnes. Une démarche qui pourrait se définir comme une célébration de la biodiversité nocturne, une exploration de nouvelles manières de composer avec le vivant (pour ceux qui auraient oublié), une reconnexion avec d’anciennes pratiques de symbiose et de pratique respectueuses de l’environnement (pour ceux qui se souviennent), en même temps qu’un appel à la responsabilité collective.

Raphaël Lejeune, Etang Saint-Paul. © Antonio Prianon
Zanbrino Eschyle dans son studio d’enregistrement, Grande Fontaine. © Antonio Prianon
Georges Marie-Govindama, Tour des Roches. © Antonio Prianon
Virginie et Firmin Barlieu, Tour des Roches © Antonio Prianon
Virginie Barlieu et son troupeau de bèf Moka, Tour des Roches. © Antonio Prianon
Intervention de Sarah Fourasté du GCOI à l’école de Barrage. © Antonio Prianon
Visite du jardin de Paulo par les élèves de l’école de Barrage accompagnés de Natacha Praene. © Antonio Prianon

Des portraits d’habitants de la nuit par les élèves des écoles

Des écoles de Saint-Paul ont largement contribué à ce programme, avec des ateliers d’écriture de conte menés par Natacha Praene dans une classe de CM1-CM2 de l’école de Barrage, où est intervenue Sarah Fourasté du GCOI (Groupe Chiroptères Océan Indien) pour apporter des connaissances précises sur les chauves-souris aux élèves et nourrir leur imaginaire. Une visite au jardin de Paulo a permis aux marmay de s’imprégner des zistwar végétales et des rakontaz sur la vie des galets que le jardinier est allé puiser dans ses souvenirs.

Reynaldo Montserrat Galindo, de l’association An Grèn Koulèr, est intervenu avec les marmay de l’école de Grande Fontaine dans des ateliers d’écriture, ainsi qu’au Centre culturel et social du quartier avec des habitants et avec des jeunes en insertion : création de textes, musique et enregistrements sur le thème de la nuit. Enfin, les associations périscolaires APEELS et CLAS les petits Boucaniers ont également impliqué les marmay des écoles Louise Siarane et Évenor Lucas dans la création de portraits nocturnes d’une multitude d’habitants de la nuit : un travail collectif qui donnera lieu à une exposition intitulée « KOZMAN LA NUIT – ZISTWAR FÉNWAR » à la Maison Serveaux du 20 au 30 mai.

Créations des élèves des écoles de Saint-Paul, portraits d’habitants de la nuit, cartes à grater. APEELS et Les Petites Boucaniers © P. de Bollivier

Un événement pluriel aux jardins de Fonds Imar le soir du 24 mai : contes, projection, balades nocturnes, maloya sous les étoiles

Le samedi 24 mai aura donc lieu, dans la magie des jardins de Fonds Imar, un événement pluriel, alliant sobriété lumineuse et convivialité. KOZMAN LA NUIT – le parlement des environnements nocturnes à la réunion débutera par un ronkozé sur les questions de la connaissance et de la protection des environnements nocturnes, et se poursuivra par la restitution des ateliers de conte avec Natacha Praène de Baba Sifon, Reynaldo Monserrat Galindo et les habitants du Tour des Roches, projection de la vidéo d’Antonio Prianon, et des temps d’exploration nocturne : balade de découverte des chauves-souris avec le GCOI, lectures de ciel avec Matthieu Renaud, jeux de pistes avec l’association Compagnons 2 Je. Des temps musicaux sont également prévus avec Donita et Sergio Ferrero, ainsi qu’un concert de maloya avec Lélin Gado et son groupe Kalbas Zantak.

Un marché de nuit à Fonds Imar !

Entre 16h et 22h, les faiseurs du Marshé Sakifé vont accueilleront pour le premier marché de nuit du Tour des Roches. Vous y trouverez de l’artisanat calebasse et bois de goyavier, bijoux, instruments de musique, fleurs et piédbwa, ateliers de tressage de fèy koko, peinture sur objet etc. ainsi que des repas traditionnels mahorais !

« Chut ! et alors » – photo stand light © Chut ! et alors
Stand de fleurs et piédbwa Raphaël Lejeune © Marshé Sakifé
Stand Artisanat © Marshé Sakifé
stand des Ruchers- Ecole de la nature © Marshé Sakifé
stand TIKTSOU, la monnaie locale de l’association Nout Moné © Nout Moné

Un rendez-vous incontournable inscrit dans le programme de la Fête de la Nature !

Vyin azot !

Patricia de Bollivier


[1] La notion de « plus-qu’humain », introduite par la philosophe et professeure Donna Haraway, renvoie à une conception qui dépasse la dualité traditionnelle entre l’humain et le non-humain, en soulignant l’interconnexion et les interactions complexes entre les êtres humains, les animaux, les plantes et les environnements. Dans une perspective géographique, cette approche invite à repenser les relations entre les sociétés humaines et leur milieu, mettant en lumière comment les pratiques, les cultures et les identités sont co-construites en interaction avec des éléments non humains. Cette notion encourage à considérer les enjeux environnementaux et sociaux dans une optique holistique, où les actions humaines et les dynamiques écologiques sont intrinsèquement liées, favorisant ainsi une compréhension intégrée des défis contemporains tels que le changement climatique, la biodiversité et la justice sociale. En intégrant le « plus-qu’humain » dans l’analyse géographique, on tend à valoriser les voix, les expériences et les perspectives des entités non humaines, ouvrant la voie à des pratiques de durabilité et de coexistence plus inclusives et respectueuses.

[2] Bruno Latour (sociologue, anthropologue et philosophe des sciences) a montré comment la modernité s’est construite sur la séparation entre la politique et la science. Aujourd’hui la croyance dans l’incapacité du politique comme de la science à résoudre les crises multiples et notamment la crise écologique, amène Bruno Latour au constat d’une nécessaire rupture avec le paradigme moderne. Il propose de nous doter de nouvelles manières de penser et de nouveaux prismes. Le « Parlement des Choses » imaginé par Bruno Latour permettrait de revoir les rôles attribués au politique, aux experts et aux technocrates en les réunissant tous dans un même lieu pour débattre des affaires de la cité. Dans ce Parlement, ce ne serait plus seulement les humains qui auraient le droit d’être représentés. Cf : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-2018-1-page-47.htm

[3] Pôle Arts et Urbanisme, à Tours. https://polau.org/parlement-de-loire


Le programe

A propos de l'auteur

Patricia De Bollivier

Reporter citoyenne et critique d'art. Patricia de Bollivier est critique d’art et commissaire d’exposition indépendante. Elle a dirigé l’Ecole Supérieure d’Art de La Réunion entre 2014 et 2021, après avoir assuré la coordination technique du projet de centre d’art de la Ville de Saint-Pierre et la gestion et la valorisation de la collection d’art contemporain de la Ville de Saint-Pierre. Elle a enseigné la théorie des arts à l’ESA Réunion, l’Université de La Réunion et l’ENSAM-Antenne de La Réunion et assuré la direction de projets artistiques (résidences, commissariats d’exposition, éditions). Docteure de l’EHESS en sciences de l’art, sa spécialisation et ses domaines de recherche portent sur la création visuelle à La Réunion et la création en situation post-coloniale.

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