DAVID LILY, DESCENDANT DE VICTIMES DE L’HISTOIRE COLONIALE
Grâce aux recherches de l’historienne Klara Boyer-Rossol, le Mauricien David Lily a pu découvrir les visages et les récits de ses ancêtres, capturés en 1840 par les Portugais, puis les Anglais. Cette rencontre a bouleversé son existence.
Un jour de 2022, Klara Boyer-Rossol sonne au barreau de la famille Lily, dans le village mauricien d’Albion, et c’est une révélation. À 170 ans de distance, l’historienne raccommode la frise déchirée du temps colonial.
Elle venait de passer plusieurs années à dépoussiérer les notes d’un ethnologue franco-mauricien atypique des années 1840, Eugène de Froberville, et à les faire correspondre à d’incroyables visages moulés concervés dans les réserves du Château royal de Blois. Ses recherches ont sorti de l’oubli les « captifs » de la corvette anglaise Lily et c’est cette histoire qu’elle vient raconter à leurs lointains descendants qui ignoraient alors tout de leurs origines.
David, quadragénaire dynamique, employé d’une société externalisée d’assurances de voyages, découvre alors d’où vient son nom…
Interview de David Lily
Qui sont les Lily ?
Notre famille est mauricienne. C’est là que tout a commencé. Et elle est éparpillée dans le monde. Il y a des Lily en France et même quelques-uns à La Réunion.
Comment avez-vous appris que vos ancêtres venaient du Mozambique à bord du bateau le Lily dont ils ont hérité du nom ?
Cette histoire nous a beaucoup surpris. Nous avions fait quelques recherches et j’ai pu remonter jusqu’à mon arrière-arrière-arrière-grand-mère, Anne Lily, née dans les années 1880. Mais son acte de décès ne mentionnait pas le nom de ses parents. Klara Boyer-Rossol, qui travaille avec le musée intercontinental de l’esclavage à Port-Louis a appris par un prêtre qu’il y avait toujours des descendants des Lily à Maurice. Un samedi, avec le prêtre, elle est venue chez mes parents à Albion. Elle posait plein de questions. Je lui montrais les photos de mes aïeuls puis elle a sorti son ordinateur et nous a montré les photos des bustes.
Comment avez-vous réagi ?
C’était très émouvant. Elle arrivait à nous raconter avec beaucoup de détails d’où ces personnes sortaient, qu’est-ce qui s’était passé, comment elles avaient été embarquées en 1840 sur le Lily. Ça nous a énormément marqué. Je ne pouvais pas garder ça que pour moi. J’ai rassemblé toute la famille et demandé à Klara de revenir. Elle a branché son ordinateur sur ma télé et tout le monde a pu voir les visages de nos ancêtres.
Quelle a été la suite ?
Nous, les Lily, avons été les VIP de l’inauguration du musée intercontinental de l’esclavage de Port-Louis, l’année dernière au milieu de toutes les photos des bustes de nos ancêtres. Cette année, en octobre, le président de la Fondation de la mémoire de l’esclavage, Jean-Marc Ayrault, nous a invités au château de Blois. Tous les Lily étaient là, des cousins que je n’avais encore jamais vus. C’était très touchant car ce n’était plus des photos mais carrément les bustes dont on faisait le tour. On regardait les détails. Leurs noms étaient marqués. On a même vu des bustes qui n’étaient pas exposés au public.
Le nom d’un bateau anglais
Saviez-vous que vous aviez des origines mozambicaines ?
On nous a appris à l’école que nos ancêtres esclaves venaient de l’Afrique de l’Est. Mais nous avions un nom de famille différent des autres. Les Créoles de Maurice, qui correspondent aux cafres de La Réunion, ont d’habitude un nom plus francisé alors que le nôtre, Lily, est anglais, c’est le nom d’une fleur. On sait maintenant que c’est le nom d’un bateau et que nos ancêtres sont arrivés à Maurice 5 ans après l’abolition de l’esclavage. On était persuadés jusqu’alors que nos ancêtres étaient esclaves comme pour tous les créoles, or ce n’était pas le cas… Ça fait quelque chose.
Qu’est-ce que ça change pour vous ?
Ça rassure d’une certaine façon. D’un côté ça change quelque chose mais d’un autre côté pas grand-chose. Même s’il y avait eu l’abolition en 1835, il y avait une certaine forme d’esclavage qui existait toujours. Je crois qu’ils ont dû travailler chez des maîtres. Je vais essayer de compléter les recherches pour en savoir plus…
Des traits de ressemblance
Vous pensez réussir à établir le lien entre cette arrière-arrière-arrière-grand-mètre Anne Lily et l’un des bustes ?
Ça va sûrement être très compliqué. Il manque beaucoup d’informations dans les archives à l’île Maurice. Et il y a des erreurs. Il y a eu 25 Lily interrogés par Eugène de Froberville sur les 250 qui sont arrivés dans le bateau donc seulement 10%. La probabilité de me connecter directement à l’un d’eux se réduit. Même si aujourd’hui nous les considérons tous comme nos ancêtres.
Pensez-vous qu’il soit possible de décrypter l’ADN trouvé sur les bustes, comme des cheveux ou des cils, et d’établir scientifiquement le lien génétique avec vous ?
On en a parlé avec Klara. On ne sait pas à quel point on va pouvoir obtenir un résultat après toutes ces années. Je vais plutôt creuser la piste des archives avant d’emprunter celles des tests ADN.
Vous êtes-vous reconnu dans les traits des masques exposés ?
Mon papa, mes oncles et mes cousines ont vu des traits de ressemblance avec le nez, le menton… Mais moi non, car, en plus, ils avaient les yeux fermés pendant le moulage et c’était difficile de respirer. Moi je me suis plutôt identifié dans le récit de la vie de João, dit Dieko, qui était un meneur et était venu avec son petit frère, Padekhio Coco. Les deux ont été interrogés. Ce João a été moulé trois fois, il y a même un buste complet de lui. Il avait dû créer des liens avec Eugène de Froberville à qui il a raconté plein de choses. À un moment donné, il a mené la pétition pour que tous les captifs puissent rentrer au Mozambique. Mais les Anglais n’ont pas accepté. Et ce n’est pas si mal parce que maintenant nous sommes très bien ici.
La voix des descendants sur le récit des ancêtres
Comment son histoire vous rappelle un peu la vôtre ?
C’est peut-être un peu prétentieux de ma part mais dans la famille, c’est tout le temps moi qui organise et qui rassemble, un peu comme João.
Dans le podcast de France Culture les descendants des « captifs » prêtent leurs voix pour rendre vie aux entretiens datant de 1845-46, comment l’avez-vous vécu ?
Oui, mon oncle a donné sa voix à João et j’ai donné la mienne à son petit frère, j’ai dit d’où il venait, comment il a été capturé puis vendu, quel était son vrai nom… On avait plein de détail sur leur corpulence. João mesurait 1,77 m et moi je fais 1,75 m.
Que suscite en vous tout ce que vous avez appris au cours de ces deux dernières années sur vos ancêtres ? De la colère, de la tristesse, de la reconnaissance ?
Énormément de reconnaissance envers Eugène de Froberville et surtout envers Klara qui est devenue comme un membre de la famille. Elle a fait un travail extraordinaire. Elle s’est battue. Elle a fouiné. Je vois ça comme un super cadeau, un super héritage pour ceux qui arrivent après, pour mes enfants qui suivent ça de très très près. Je suis triste que mes grands-parents, qui sont décédés, n’aient pas connu tout ça. On va tout faire pour que les générations à venir puissent connaître cette histoire. Nous sommes privilégiés car je ne crois pas que d’autres familles aient pu aller aussi loin pour retracer leurs ancêtres.
Que ressentez-vous au plus profond de vous ?
C’est une très grande fierté. J’en parle partout autour de moi. Je suis encore plus fier de porter mon nom de famille.
Entretien : Franck Cellier
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