[La peste] Danyèl Waro : Anti-Le Pen et anti-kouyonis

4 / LA DOUBLE COLÈRE DU MILITANT CULTUREL

Avec la montée de l’extrême-droite à La Réunion, c’est toute la « batarsité » — le peuple mélangé qui est au coeur de la lutte militante de Danyèl Waro — qui se fissure. L’artiste est en colère contre les Le Pen et contre ceux qui tombent dans leur piège.

Pourquoi assimile-t-on souvent le nom de Danyèl Waro à celui des Le Pen ? Alors que tout se mélange dans la confusion que suscite la montée des idées d’extrême-droite, le militant culturel rappelle qu’il s’est toujours opposé au Front National devenu Rassemblement national et qu’il est temps de réviser l’histoire contemporaine de La Réunion.

Il s’est toujours battu pour l’autonomie, voire l’indépendance, l’unité du peuple réunionnais, sa culture et sa langue créole. Dès le premier voyage, plus ou moins officiel, de Jean-Marie Le Pen au début des années 1980, Danyèl Waro et quelques camarades à lui manifestent devant un restaurant de la Possession où se trouve le leader du FN. Le message est évident : « Le Pen raciste dehors ».

En décembre 1994, Jean-Marie Le Pen est alors candidat à l’élection présidentielle. Il tient une conférence de presse dans un hôtel de Boucan Canot, le Maharani. Le chanteur est alors agressé par feu Maurice Brasier qui l’assomme d’un violent coup de pied dans la tête. L’ami de Jean-Marie Le Pen sera d’ailleurs condamné pour ces violences alors que l’extrémiste pérore que « le rossignol des îles ne chantera plus ».

Voilà ce qu’est Jean-Marie Le Pen ! Voilà ce dont ses militants sont capables ! Dans l’interview qu’il nous a accordée, Danyèl Waro évoque les intimidations et les menaces qu’il a reçues pour avoir affiché publiquement son refus de laisser les Le Pen essaimer leurs idées à La Réunion.

La limit domoun

Jusqu’en 2012, il mène le front culturel anti-colonial anti-Le Pen à chaque venue du candidat du FN à La Réunion. Ce ne sont pas les invectives qui l’arrêtent. Pourtant il arrête. Pourquoi ? « An 2012, la fé tilt dan mon tèt. Ma konpri la kouyonis domoun i wa amwin kom in ronflèr, i wa Le Pen lé dan lopozisyon é i mèt amwin dan la mèm sos ».

Cette fois-ci ce n’est plus la colère contre l’extrême-droite française qui l’anime mais celle contre l’incompréhension de ses électeurs : « Domoun i ginny pa analiz la politik». Puisqu’il ne parvient pas, par la pédagogie, à faire comprendre que son idéal de « batarsité » est incompatible avec les discours d’exclusion de l’extrême-droite, il préfère ne plus jamais mêler son maloya aux passages de l’extrême-droite à La Réunion.

« Mi koné la limit domoun. Mon kamarad i di amwin : dimans i fé Marine. Mwin lé tris kan mi antan sa. Mwin té oblijé di : marmay, zot i koné pa listwar, zot i klas amwin ek Marine Le Pen. Eskiz amwin mé non. Pou mwin na pwin de Le Pen ki tienne la. Vot sak ou vé, mé Le Pen : non », doit-il s’exclamer devant un public confus.

La batarsité lé pa solid

Comment en est-on arriver à voter pour des partis xénophobes alors que les origines multiples du peuple réunionnais devraient le rendre incompatible avec ces idées de rejet de l’étranger ? « Ce n’est pas dans notre ADN », comme l’exprimait la Ligue des droits de l’homme lors du 1er épisode de notre série sur « la peste ».

Danyèl Waro, qui vante le « mélanj » contre « la pureté raciale », est fataliste : « Nou na la kouyonis krwar ke nou lé mélanjé é sa lé in ranpar kont Le Pen ». « Le métis, le mélanzé, le batar, li va tonb fasilman dan in pièj puriste paske li la pa kiltiv son batarsité. Nou lé mélanzé, lé gayar, lé pa gayar ? Lé kom un konfli, toujour i vé ral anou sir in pir lind, in pir blan, in pir lafrik… le zafèr nou la konstrwi, lé gayar, lé in maronaz par rapor le modèl, mé lé pa solid… », déplore-t-il.

Et il cite les dérives et les errances dans les rangs de militants autonomistes : « Kan mwin la mèt mon non sur la list Nasyon réyoné dobout en 1998 pou fé viv èn parol nasyonalis, mwin la retrouv amwin ek in boug antrin dir ban zarab, bann malbar va démèrd zot kari… » Il craint les glissements de l’argumentaire pour l’identité réunionnaise et la préférence régionale — totalement légitime à ses yeux — vers la solution simpliste qui proposerait de renvoyer 120 000 zorey en France pour régler le problème du chômage.

In latou rasis dan la posh

Il supporte encore moins la mise en cause de toute la communauté mahoraise qui vit tranquillement à cause de « dé trwa kouyons i dékonn ». « nou la rod in komoryin pou marsh desu paske li lé andsou, lé pli nwar, lé mwin kréol. »

La désignation d’un bouc-émissaire qui serait la cause de tous nos problèmes est caractéristique des discours populistes. « Marine Le Pen la ginny lo pwin, la pli le mèm diskour son papa. Li koz, li larg tout zafèr, relève Danyèl Waro. Mé le bazinstin i fonksyone, domoun la touzour in Latou rasis dan la posh. Kan nou la in problèm, kisa lotèr ? Létranjé. »

Lui qui était l’un des rares militants communistes à critiquer Paul Vergès lorsqu’il était au fait de son pouvoir, constate le vide qui lui a succédé : « Jordi na pi ryin. Avek le stratégie de pouvoir, na pli de drwat, na pli de gosh, nana konsansu : mi fé pou sak mwin lé sir mi ginny kontrol ali. »

Désillusions

2012 marque la dernière manifestation anti-Le Pen qu’il a menée. 2017 : La fille du fondateur du FN  est reçue par le monde économique et obtient une audience médiatisée avec l’évêque de La Réunion. Pour Danyèl Waro, Gilbert Aubry n’aurait pas dû tendre la main à une Marine Le Pen qui brillait déjà au prétexte qu’on peut aider une femme à terre mais pas une politicienne déjà en l’air.

Les années suivantes désillusionnent un peu plus le maloyèr : Fatigué des théories du complot qui se sont répandues pendant l’épisode du Covid, il balaie tous les discours fumeux en rappelant que le capitalisme n’avait pas besoin de Covid « pou bèz anou ». Et Danyèl Waro de déplorer ces « militan shépakoué » que le Covid aurait réveillés.

« I vo mié mi vot in Mélenchon kin Le Pen mé mi ginny pa alé joué dan in meeting pou Mélenchon paske lé in tiktakèr, in politisyin », conclut-il avant de repartir sur ses plantations de Bois-Rouge Bellemène. 

Franck Cellier