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L’adoption de la loi Duplomb ravive le débat sur la soutenabilité d’un modèle agricole déjà en crise

Le verdict est tombé ce mardi 8 juillet : la loi Duplomb est officiellement adoptée par l’Assemblée nationale, avec une majorité de 316 voix en faveur du texte. Au nom de la levée des contraintes sur le métier d’agriculteur, de nouveaux pesticides sont réautorisés, mais pas seulement.

La sentence est lourde pour les écologistes. Mardi 8 juillet, le texte porté par les sénateurs Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Menonville (Union centriste) s’est imposé à l’Assemblée nationale. Face aux 316 voix pour, 223 voix n’ont pas suffi à faire le poids, là où 25 voix se sont abstenues. Une nouvelle fois, on vire de bord et on change de cap. Fini le temps des engagements pour une agriculture soutenable et respectueuse de l’environnement. Au nom de la simplification du métier d’agriculteur, l’heure est à la réintroduction de l’usage de deux nouveaux pesticides de la famille des néonicotinoïdes (l’acétamipride et le flupyradifurone), mais aussi à l’autorisation de l’épandage aérien des pesticides par drones.

Pour ce qui est de la ressource en eau, ce qui posait question jusqu’à maintenant a été tranché à l’Assemblée : les réserves d’irrigation type méga-bassines sont désormais considérées comme « d’intérêt commun ». En parallèle, l’élevage intensif est largement encouragé par un allègement des seuils d’autorisation et de contrôle des installations agricoles classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Une offensive anti-écologique

Vincent Defaud, référent Outre-mer de Génération Écologie, s’indigne une nouvelle fois devant ce texte qu’il voit d’un très mauvais œil : « On fait face à une offensive anti-écologique, créée par les lobbies agricoles. Avec cette loi, on ouvre la brèche pour autoriser d’autres familles de pesticides. »

Si, selon Vincent Defaud, le bon sens politique recule, les conséquences sanitaires et environnementales de l’usage de ces pesticides, elles, ne reculent pas. En témoigne l’alerte lancée par 1 200 scientifiques et médecins sur la dangerosité de l’usage des pesticides pour la santé humaine. Et c’est sans compter les dommages que ce type de produit cause aux abeilles, déjà fragilisées, ou plus globalement aux sols.

Margot Camoin est vétérinaire en conseil apicole au Groupement de défense sanitaire de La Réunion. Elle explique que depuis 2017, trois pathogènes nuisibles ont directement menacé l’état de santé des abeilles, et ainsi leur rôle de pollinisatrices : le varroa en 2017, le petit coléoptère des ruches en 2022, et la loque américaine en 2024. Dans un tel contexte, l’usage de pesticides ne fait qu’accroître la pression qu’elles subissent déjà.

En malmenant nos écosystèmes, et d’un point de vue écologique, cette loi se cristallise par une image : nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis·es. Cette loi, pourtant, a été soutenue par une majorité de député·e·s à l’Assemblée et dans le débat public.

Opération tractage du parti Génération Ecologie, en présence de député Perceval Gaillard, contre le projet de loi Duplomb, le 5 juillet 2025

Une loi en faveur de l’agriculture productiviste

Olivier Fontaine, président de la Chambre d’agriculture, fait partie de ceux qui défendent le texte au nom de la facilitation du quotidien des agriculteurs, et de l’enjeu d’égalité entre les pays. Selon le président : « On se focalise sur des pesticides qui sont en réalité utilisés sur des noisetiers, ce qu’on n’a pas à La Réunion. Ensuite, on importe énormément de produits venus d’Europe, qui ne subissent pas les mêmes restrictions que nos producteurs, ce qui crée une situation de concurrence déloyale. »
Selon lui, le problème réside aussi dans le retrait progressif des molécules autorisées pour les agriculteurs, sans apport de solutions alternatives : « Depuis 2008, on n’a jamais autant vu de pesticides interdits. Puis il y a eu le plan Écophyto, qui est assez contraignant pour les agriculteurs. De manière générale, on ne fait que contraindre, donc on a enfin été entendus avec cette loi Duplomb. »

Parmi les députés, seul le RN a apporté son soutien à la loi Duplomb, tandis que les six autres députés de gauche se sont opposés au projet législatif.

Les arguments employés pour défendre la loi impliquent une non-remise en question du système agricole actuel. Mais à l’heure du dérèglement climatique et de la nécessité de nourrir une population grandissante, est-il possible de continuer tête baissée à faire ce qui, jusqu’à maintenant, n’a fait qu’affaiblir la santé du vivant ?

Agroécologie et souveraineté alimentaire : le rêve impossible ?

Si l’on s’en tient aux jugements des défenseurs de la loi Duplomb, à l’heure actuelle, les agriculteurs sont dans une impasse, dont seuls l’usage des néonicotinoïdes, l’élevage intensif, l’agrochimie et les réserves d’irrigation pourraient les sortir. Là aussi, tout le monde n’est pas d’accord.

Vincent Defaud soutient l’urgence d’investir dans l’agroécologie pour se doter d’une souveraineté alimentaire : « Le modèle actuel n’est plus soutenable, on le voit avec la crise que subit la filière de la canne. Honnêtement, c’est une question de jours ou de mois avant qu’elle ne s’effondre. On pourrait envisager une filière de la canne bio. Mais il faut arrêter avec les pesticides, arrêter de polluer nos sols. Les premières victimes sont les agriculteurs qui subissent des tsunamis de cancers. »

Yvette Duchemann, co-porte-parole du collectif Oasis Réunion, partage cet avis : « À la place d’autoriser les pesticides, qui coûtent cher pour les planteurs, il faudrait les subventionner et les accompagner dans leur transition. Bien sûr qu’il y a une concurrence déloyale avec les produits importés, mais la solution n’est pas d’empoisonner les gens. Il faut arrêter de prendre les consommateurs pour des pigeons qui mangent et boivent n’importe quoi. »

Pour la co-porte-parole d’Oasis Réunion, la souveraineté alimentaire est la clé de voûte d’un modèle agricole soutenable : « Il faut réduire l’importation, au moins pour l’alimentation courante. » Et pour y parvenir, pas le choix que de mettre tous les acteurs autour de la table. Oasis Réunion propose la tenue des « ÉGRAALIM » – États Généraux Réunionnais de l’Agriculture et de l’Alimentation durables et résilientes.

L’objectif : discuter des sujets importants et propositions du collectif. Parmi eux, la répartition des surfaces agricoles, qui sont majoritairement attribuées à la production de canne aujourd’hui, ou encore le versement d’une PSE (Paiement pour services environnementaux), qui permettrait aux planteurs de vivre décemment le temps de transitionner vers une production biologique.

La loi Duplomb vient raviver le débat sur la crise que traverse le modèle agricole sur les plans économique, environnemental et sanitaire, et se cristallise sur l’usage des pesticides. Pourtant, derrière le long mot des néonicotinoïdes, il semble se cacher un choix plus grand : entre un modèle qui choisit d’essorer jusqu’à épuisement la terre de ses ressources, ou un autre qui répond de concert aux besoins humains et environnementaux, sans laisser l’un des deux sur le carreau.

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Yvette Duchemann, co porte-parole du collectif Oasis Réunion

Sarah Cortier

A propos de l'auteur

Sarah Cortier

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique et persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits, Sarah a rejoint l'équipe de Parallèle Sud. Elle souhaite participer à ce travail journalistique engagé, et apporter de nouveaux regards sur le monde.

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