Le Mouvement des peuples de l’océan Indien, réunissant des militants malgaches, mauriciens et réunionnais, a tenu un contre-sommet de la COI pour dire non aux logiques de marché et à la militarisation de l’océan Indien.
« Les peuples n’étaient pas conviés au sommet des chefs d’Etat de la Commission de l’océan Indien. C’était réservé aux dirigeants », déplore Zo Randriamaro, coordinatrice du Centre de recherche et d’appui pour les alternatives de développement – océan Indien (CRAAD-OI).
C’est un peu passé inaperçu. Mais le 24 avril dernier s’est tenu un contre-sommet de la COI à quelques kilomètres du sommet officiel, dans les locaux du Cercle des Cheminots, à Antananarivo. « Nous avons tenu notre propre sommet pour discuter selon nos perspectives tant que peuples exclus de l’agenda de la COI. »

Les autorités malgaches leur avaient interdit de manifester imitant en ce sens la préfecture de La Réunion qui avait elle aussi interdit les manifestations sur le parcours réunionnais du président Emmanuel Macron la veille. Pour Zo Randriamaro, l’absence de délégués des Comores ou des Seychelles est elle aussi à mettre sur le compte du « climat actuel de répression et d’isolement ».
Le QG Zazalé dans le Mouvement
Le « Mouvement des peuples de l’océan Indien », présidé actuellement par le CRAAD-OI, date de 2018. Il réunit des militants de la région engagés pour la justice sociale face aux dérèglements climatiques et la défense des droits humains. Le CRAAD-OI a d’ailleurs été distingué par le Prix des Droits de l’Homme décerné par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme.
Aux côtés du parti nationaliste malgache Otrifako (le feu sacré du foyer en malgache), on retrouvait le parti mauricien Rézistans ek Alternativ (composante de gauche de la coalition gouvernementale) et le QG Zazalé pour La Réunion, inscrit dans le MPOI dès sa fondation. Une centaine de participants ont assisté à une conférence-débat le matin et des activités culturelles et artistiques l’après-midi. Car les peuples des îles partagent la même histoire marquée par l’esclavage, la colonisation et les luttes sociales.
« En 40 ans la COI n’ a pas bénéficié aux classes populaires », assène Zo Randriamaro. Selon elle, tous les peuples des îles de l’océan Indien subissent les mêmes impacts des crises climatiques : famines à Madagascar, sécheresse à La Réunion, cyclones partout… Et les exécutifs gouvernementaux sont sous influences des puissances étrangères au cœur d’enjeux géostratégiques et économiques éloignés des aspirations populaires. « La COI est comme une agence de promotion de marché, relève le Mauricien David Sauvage, militant de Rezistans ek Alternativ. Ça sert à capter des financements internationaux au bénéfice des élites économiques. »
Non au retour des militaires français à Madagascar
Le MPOI juge sévèrement les positions et ambitions françaises dans la zone géographique. « Nous sommes opposés au retour d’une base militaire française à Diego Suarez », insiste Zo Randriamaro. Zavyé Rivir, du QG Zazalés dénonce pareillement la militarisation croissante envisagée par la France, mais aussi les Etats-Unis à Diégo-Garcia, l’Inde à Agaléga et la Chine qui cherche elle aussi à s’étendre.
« Nou konstrwi lavnir loséan indyin pour les peuples, par les peuples, explique le militant réunionnais. Fo prand an kont l’urgence klimatik, ékonomik é lestinksyon de mas ke nou lé dann’. Lé pa in ti dévlopman durab ki va èd anou. Nou la bezwin in shanjman radikal de sistèm.»
Le contre-sommet dénonce la surexploitation minière à Madagascar et la surpêche dans l’océan Indien alors que la France se positionne comme la deuxième puissance mondiale maritime, notamment grâce à la possession des îles éparses, revendiquées par Madagascar. « Nou la koz de la dette de bann péï et multinationales du Nord ke la fé plane sur la planèt et sé nou ki gout dan le sud », résume Zavyé Rivir.
Interdire le plastique à usage unique
David Sauvage, se définissant comme un « militant éco-socialiste », moque quant à lui « le greenwashing » de projets comme Plastic Odyssey soutenu par la COI qui se concentrerait sur le recyclage alors qu’il faudrait interdire la production de plastique à usage unique. « Le thème du sommet portait sur la sécurité et souveraineté alimentaires pour le développement du marché de l’Indianocéanie… Avec 70% d’importation alimentaire pour Maurice, le bilan de la COI est catastrophique. »
Il s’est illustré depuis une dizaine d’années à Maurice contre les logiques communautaires. Son parti a pu inscrire dans le programme du nouveau gouvernement mauricien de nombreuses revendications sociales, écologistes et démocratiques aussi se bat-il pour reproduire cet élan au niveau régional : « La mise en mouvement régional est essentielle puisqu’on a eu la même histoire, on subit les mêmes problèmes. Et donc il faut qu’on se fédère, il faut qu’on soit solidaires entre nous. »
Le Mouvement des Peuples de l’océan Indien, se donne rendez-vous en août, à nouveau à Madagascar, pour un autre contre-sommet, celui de la Sadec (Communauté de développement de l’Afrique australe). Puis en octobre à Maurice dans le cadre d’une nouvelle session de « l’école de l’écologie » des militants mauriciens.
Franck Cellier
Déclaration du Mouvement des peuples de l’océan Indien
Antananarivo, le 24 Avril 2025
La 4ème Conférence Internationale du Mouvement des Peuples de l’Océan Indien (MPOI), organisée par le CRAAD-OI en parallèle au 5ème Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Commission de l’Océan Indien, s’est déroulée le 24 Avril 2025 à Antananarivo (Madagascar). Cette déclaration a été présentée à l’issue de la Conférence.
Nous, représentants de nos mouvements et organisations venant des îles de l’Océan Indien, réunis lors de notre 4ème Conférence Internationale, nous adressons aux Chefs d’Etat et décideurs participant au 5ème Sommet de la Commission de l’Océan Indien, ainsi qu’à tous les mouvements populaires et à la société en général, la déclaration suivante.
Nous sommes des citoyens des îles de l’Océan Indien occidental et nous en représentons la diversité : peuples autochtones, migrants, jeunes, paysans, femmes rurales, pêcheurs, travailleurs salariés, artisans, artistes et intellectuels.
Pour commencer notre Conférence, nous avons rappelé notre histoire jusqu’à présent, en mettant en avant les principaux thèmes de nos réflexions et les résolutions que nous avons prises, tels qu’ils sont consignés dans la Charte du MPOI, élaborée progressivement pendant les trois (3) précédentes Conférences Internationales en 2018, 2020 et 2024. Cette Charte guide nos actions et constitue une proposition dynamique de changement qui s’adresse à l’ensemble de la communauté régionale des peuples de l’Océan Indien.
Notre analyse de la situation actuelle dans notre région nous amène à constater avec une profonde préoccupation les problèmes critiques suivants.
Les crises climatique et écologique mondiales continuent de s’aggraver, avec des estimations montrant une trajectoire de réchauffement actuel atteignant 2,5° à 2,9°C d’ici 2100, se manifestant par une succession d’événements climatiques dévastateurs pour l’humanité et la planète en général, et pour les peuples de l’Océan Indien en particulier, bien qu’ils en soient le moins responsables.
Une crise écologique profonde affecte à la fois la justice climatique et la souveraineté alimentaire des îles de l’océan Indien occidental et de leurs habitants. Cette région assure la sécurité alimentaire directe et indirecte de plus de 135 millions de personnes qui dépendent de l’environnement côtier pour leur subsistance, leurs biens, leurs services, leurs moyens de subsistance et leurs revenus.
Cependant, le système de production alimentaire de la région de l’Océan Indien Occidental est confronté à des défis tels que le changement climatique, la dégradation écologique, la croissance démographique, les pénuries alimentaires et la baisse de la productivité. En particulier, les écosystèmes côtiers et les communautés qui en dépendent sont confrontés à des défis extrêmes en raison de l’augmentation du réchauffement et de la pollution des océans, de la perte d’habitat et des changements dans la productivité biologique des océans, avec un grave impact sur la sécurité alimentaire.
Dans l’ensemble, les gouvernements des pays de la COI et les autres acteurs de la lutte contre le changement climatique ont imposé aux petits producteurs de fausses solutions, telles que les intrants chimiques dits « intelligents face au climat », les semences hybrides et les organismes génétiquement modifiés (OGM), dont la plupart sont importés des pays riches par des entreprises multinationales. En outre, leurs programmes pour la souveraineté alimentaire privilégient les partenariats avec les grandes entreprises du secteur privé, et tendent à traiter les petits producteurs comme des bénéficiaires passifs de leurs services.
L’accélération du changement climatique et l’urgence de la transition énergétique dans les pays riches du Nord ont accru la pression pour l’adoption de politiques extractivistes centrées sur l’exploitation à outrance des ressources minières stratégiques pour la décarbonisation de leurs économies. De ce fait, la région de l’Océan Indien occidental est devenue l’épicentre de dynamiques géopolitiques significatives liées aux stratégies de territorialisation maritime des grandes puissances mondiales pour l’accès et le contrôle des espaces à explorer et à développer, à la fois horizontalement (nouvelles routes maritimes et sites géostratégiques) et verticalement (espaces en eaux profondes, exploitation des hydrocarbures, des minerais stratégiques ou des ressources halieutiques).
En particulier, la découverte dans le canal du Mozambique de réserves d’hydrocarbures et de gaz équivalentes à celles de la mer du Nord ou du Golfe Persique modifie le paysage régional et mondial des rivalités et des conflits. Les exemples incluent la production de gaz offshore en Tanzanie et au Mozambique, avec le potentiel de ce dernier de devenir le troisième plus grand exportateur de gaz au monde. Madagascar et la France sont également concernés par le gisement colossal de gaz du canal du Mozambique, lequel se trouve partiellement sous les Iles Eparses.
La présence militaire nécessaire au contrôle stratégique et sécuritaire du Canal de Mozambique, ainsi que la protection de l’environnement sont aussi des enjeux géopolitiques majeurs dans le cadre du différend entre la France et Madagascar au sujet des Iles Eparses dans le canal du Mozambique, ou entre la Grande-Bretagne, Maurice et les Chagossiens au sujet des îles Chagos, où se trouve aussi la base américaine de Diego Garcia. Il en va de même pour le différend entre la France et Maurice au sujet des Iles Tromelin, et entre les Comores et la France au sujet de Mayotte.
Ainsi, le Président français a clairement indiqué que le principal but de sa visite dans l’Océan Indien est d’élargir le marché pour l’Etat et les investisseurs français dans l’Océan Indien, où la France ambitionne de devenir une puissance géopolitique et commerciale majeure susceptible de tisser des liens avec ses territoires ultra-marins de l’Océan Pacifique. Face à la concurrence des autres puissances comme la Chine, l’Inde et la Russie, ces ambitions impliquent sans équivoque que le contentieux colonial des Iles Eparses ne sera pas réglé de sitôt, et qu’elles ne seront pas restituées à Madagascar.
Il a également exprimé son intérêt pour les ressources minières stratégiques de Madagascar, en particulier pour les terres rares, dont l’exploitation aurait des conséquences sociales et environnementales désastreuses. Après avoir colonisé Madagascar, la France a donc l’intention d’en faire une «zone de sacrifice» où la vie des habitants risque d’être «sacrifiée» pour que la France puissent réussir sa propre transition énergétique.
Au niveau régional, ces processus de territorialisation maritime, souvent soutenus par des forces militaires et de sécurité, sont liés à la militarisation croissante de la région et au pillage du patrimoine naturel commun des peuples de l’océan Indien, y compris leurs ressources marines et minières ainsi que leurs terres.
Ces dynamiques complexes se sont substituées aux processus de décolonisation inachevés, donnant lieu à une nouvelle forme de recolonisation dominée par les puissances impériales et un certain nombre d’acteurs commerciaux, et soulevant de graves questions de souveraineté et de sécurité parmi les îles de l’Océan Indien.
Nous exigeons de la Commission de l’Océan Indien et des autres institutions régionales que les peuples soient réellement partie prenante et prioritaires dans tous les accords, discussions et décisions relatives à la région de l’Océan Indien occidental.
Nous leur rappelons qu’ils ont la responsabilité première de respecter, de protéger et de réaliser les droits humains de tous les peuples de l’Océan Indien sans discrimination, et de garantir leur souveraineté sur leurs terres et leurs ressources naturelles.
Nous exhortons nos Chefs d’Etat à refuser de servir de pions au service des ambitions géopolitiques et des intérêts économiques de la France sur l’échiquier géopolitique régional, et à exiger l’achèvement du processus de décolonisation avec la rétrocession des Iles Eparses, de l’Ile Tromelin et de Mayotte.
Nous réaffirmons l’unité et la solidarité entre les peuples de l’Océan Indien, et notre engagement commun à participer pleinement au sein de nos mouvements et organisations
• à la défense de notre souveraineté territoriale et alimentaire ;
• à résister sur le terrain aux accaparements de nos terres et de notre patrimoine naturel commun ;
• à défendre notre océan, notre Terre-Mère et à lutter contre les accords de pêche ou d’extraction de ressources préjudiciables à nos peuples, à notre souveraineté alimentaire et à la biodiversité de nos écosystèmes marins et terrestres ;
• à combattre les vestiges de la domination coloniale et les nouvelles formes d’impérialisme se manifestant dans notre région;
• à réclamer des réparations pour l’esclavage et la colonisation qui ont été déterminants pour notre histoire commune, notamment à l’égard de l’indemnisation par la France des propriétaires d’esclaves de la Réunion, de Nosy Be et de Sainte Marie en 1849, ainsi que du massacre des victimes de la répression de la lutte anti-coloniale en 1947;
• à exiger le paiement par les pays du Nord de la dette climatique et écologique qu’ils nous doivent;
• à condamner les guerres et la militarisation de notre espace, et à contribuer à faire de l’Océan Indien une zone de paix ;
• à adopter une transformation socio-écologique fondamentale pour la survie des peuples de l’Océan Indien et pour redonner à toute l’humanité la possibilité de bien vivre.
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