LA PRÉSIDENTIELLE VUE PAR MATHIEU SAVARY DE LA CIMADE
Alors que les discours xénophobes d’extrême-droite séduiraient un Français sur trois, donner la parole à une association qui accompagne les étrangers relève de la salubrité publique. La représentation locale de la Cimade a dépêché son trésorier, Mathieu Savary, pour commenter la campagne présidentielle.
Mathieu Savary, vous êtes trésorier du groupe locale de la Cimade, pouvez-vous nous dire ce que fait la Cimade ?
La Cimade accompagne les étrangers, quelque soit leur statut administratif, dans leurs démarches, notamment ceux qui n’ont pas accès au droit. En plus de mon rôle de trésorier, je fais de la sensibilisation en milieu scolaire et associatif avec l’organisation de ciné-débats.
Alors que l’extrême-droite affiche près de 30% des intentions de vote, comment une organisation, sensible aux difficultés des étrangers, apprécie-t-elle la campagne électorale en cours ?
En France, on aborde hélas toujours la question des étrangers sous le prisme de la sécurité ou de l’identité. On ne se réjouit pas de la façon dont les personnes étrangères sont abordées dans cette campagne.
Aujourd’hui les étrangers représentent 9% de la population en France et 0,3% en terme de flux de la population française. Et à l’échelle de La Réunion, c’est 16 000 personnes, un chiffre très faible : 2% de la population. C’est un problème qui est fantasmé et bien loin du grand remplacement dont on nous parle. Par contre, c’est 25% de la population carcérale en 2021.
Qu’est ce qui explique cette disproportion ?
Les étrangers doivent faire face à des obstacles décuplés dans leur parcours pénal : les sur-interpellations, le délit de faciès, des comparutions immédiates et des mises en détention systématiques.
À Mayotte, la machine à expulser française fonctionne à plein régime
Au-delà des excès de l’extrême droite, comment les autres candidats parlent-ils des étrangers ?
Même les candidats qu’on attendrait plus progressistes, évoque l’immigration comme un flux à réguler. C’est inhumain. La personne étrangère est réduite à un chiffre. Malheureusement, cette élection présidentielle arrive alors que nous sommes déjà dans une période de durcissement des mesures. Entre 2015 et 2018 on est passé de 80 000 à 100 000 expulsions.
La Cimade a-t-elle envoyé des propositions aux candidats ?
Nos sujets à l’agenda concernent la surpopulation carcérale et la double-peine. Intéressons nous aussi aux violences de genre : 48% des filles et des femmes ont subi ces violences durant leur parcours migratoire. Est-il acceptable enfin d’expulser de Mayotte vers les Comores des mineurs français qui sont en train de chercher un stage pour leurs études pour se rendre compte, un mois après, qu’on s’est trompé ?
Justement, la Cimade a été ciblée à Mayotte. C’est le pire endroit pour s’afficher Cimade ?
Notre antenne a été totalement délogée et le groupe locale de la Cimade, encore aujourd’hui, ne peut pas se réunir normalement. Mais c’est justement l’endroit le plus important. Il y a eu 27 000 expulsions de Mayotte en 2019. C’est là que la machine à expulser française fonctionne à plein régime donc il faut qu’il y ait une représentation de la Cimade ! Le rôle de la Cimade est incompris. Ce n’est pas d’aller vers la naturalisation française de tous les sans-papiers, mais d’apporter un soutien à des personnes qui en sont totalement dépourvues.
La tension constatée à Mayotte risque-t-elle de migrer vers La Réunion ?
Il y a effectivement des liens ténus, des allers-retours et des arrivées illégales. Mais il faut comparer les 27 000 expulsions à Mayotte aux 21 expulsions à La Réunion.
Des politiques de plus en plus répressives
Certaines propositions des candidats à la présidence se rapprochent-elles de vos préoccupations ?
Certaines sont intéressantes comme le passage de la carte de résident de 5 à 10 ans. Mais c’est trop timide, il faut faire preuve de plus d’ambitions. C’est bien d’organiser une conférence annuelle sur l’immigration. Mais le problème est plutôt dans les rouages de la machine qui répond à des directives politiques très claires. Par exemple en 1985, La France donnait une réponse favorable à 85% des demandes d’asile, aujourd’hui c’est l’inverse.
Comment expliquez-vous ce renversement ?
On paye le prix de décennies de dédiabolisation de l’extrême-droite. Sans avoir conquis le pouvoir, les idées d’extrême-droite ont exercé une pression de plus en plus importante sur toute la classe politique.
Ces politiques de plus en plus répressives n’ont pas pour autant réduit l’arrivée de migrants.
Oui, les chiffres sont constants mais se développe l’idée selon laquelle l’immigration coûterait cher. Or c’est un faux argument car on se rend compte que ce que les personnes étrangères payent à l’Etat sous forme d’impôts est plus important que ce qu’elles coûtent en prestations sociales.
Quand il s’agit de morts entre les Comores et Mayotte ça ne nous concerne plus vraiment. Nous sommes davantage concernés par des Ukrainiens qui passent par la Pologne.
Quelle est la réalité géographique des migrations ?
Les déplacements du Sud vers le Nord, des pauvres vers les riches, ne représentent que 30% des migrations dans le monde. De 75% à 93% des migrations s’opèrent entre pays limitrophes. L’Europe assume en fait un « fardeau » extrêmement léger par rapport à d’autres pays. La France ne figure pas parmi les 20 pays qui reçoivent le plus d’étrangers. On y trouve la Russie, l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite… Ce fantasme d’un flux incontrôlable est porteur politiquement mais n’a aucune réalité tangible.
Pourtant l’extrême droite agite la menace islamiste sur la France.
Le racisme trouve en effet son expression la plus communément acceptée dans l’islamophobie. Aujourd’hui la classe politique se targue d’une France « terre d’accueil » par rapport aux réfugiés ukrainien. C’est bien mais il ne faudrait pas oublier les cimetières marins que sont la Méditerranée et l’océan Indien. Quand il s’agit de morts entre les Comores et Mayotte ça ne nous concerne plus vraiment. Nous sommes davantage concernés par des Ukrainiens qui passent par la Pologne. Est-ce que c’est parce qu’ils sont blancs ?
Pour qui voterez-vous dimanche ?
Je ne sais pas. Aucune offre politique ne coche toutes mes cases. J’ai encore le temps d’y réfléchir mais si je devais voter aujourd’hui, je voterais blanc. Ça m’arrange car le Cimade est politique mais pas partisane.
Entretien : Franck Cellier
Pour approfondir le sujet, un rapport parlementaire, présenté en juin 2019 et piloté par les députés Jean-Noël Barrot (MoDem) et Alexandre Holroyd (LREM), a chiffré le coût d’une expulsion à 13 800 euros en moyenne. Source : cet article du Musée de l’histoire de l’immigration.