Le patrimoine méconnu de Trois-Bassins

On parle peu des cases créoles de la ville des hauts de l’Ouest. Pourtant, le patrimoine, discret, raconte l’histoire de la commune et ses évolutions. Il entretient les souvenirs d’une vie simple et solidaire auprès des habitants qui l’ont connue. C’est le cas de Bernard, dépité de voir l’existence de ces anciennes cases créoles suspendue aux besoins de logements et à l’urbanisation grandissante de Trois-Bassins. Reportage.

“Détruire cette maison, c’est comme renier ses grands-parents !” s’exclame Bernard Lin-Kwang, un habitant de Trois Bassins âgé d’une soixantaine d’années. Il nous fait visiter la cour de la “Kaz Lauret”, une case créole datée de 1905 qu’il entend protéger pour son caractère historique. Avant tout, c’est la préservation de la mémoire du passé, des us et coutumes et l’histoire de la commune qui préoccupent Bernard.

“Ici, on remplace tout par du béton, on construit des immeubles, des logements sociaux. Je ne suis pas contre, mais il faut aussi préserver l’histoire, que va-t-il rester pour les générations futures ?” interroge-t-il avec inquiétude. “La passé a vite fait d’être anéanti. Il ne faut pas que Trois-Bassins perde son authenticité.”

“Détruire cette maison, c’est comme renier ses grands-parents !”

L’histoire de la Kaz Lauret s’entremêle à sa propre histoire. Sa famille connaissait bien les anciens propriétaires. “Papa gardait la maison pendant très longtemps, jusqu’en 2012. J’ai pris le relais comme un bien à préserver. Je continue à être présent dans le gardiennage, pour que les gens ne pillent pas, n’incendient pas.”

La maison est constituée d’une charpente en bois ancienne. A l’arrière, on retrouve les pied’bwa communs à de nombreuses cours créoles lontan. Certains entourés d’un cercle rouge sont déjà coupés. “Ils ont détruit la partie haute, mis des engins. Mais grâce à la pression de la population, ça s’est arrêté net en décembre.” “Moi je trouve qu’on devrait la transformer en un petit musée, garder un espace vert pour les gens de Trois-Bassins. Mais on pourrait aussi en faire un projet pédagogique, avec un potager scolaire.”

Qui a déjà entendu parler des cases créoles de Trois-Bassins ?

Sur le côté, un jardin créole qui servait sans doute, comme dans la plupart des cases créoles de l’époque, à entretenir un potager et disposer d’un minimum de moyens de subsistance en autonomie. Située à plus de 800 m d’altitude, Trois-Bassins, à l’époque, ressemblait davantage à un village modeste, isolé, où vivaient des agriculteurs, quelques commerçants, des gens avec peu de moyens, quelques notables en villégiature. « La vie lontan était très différente. C’était des relations de confiance, on prêtait, on échangeait tout. Pas comme aujourd’hui où désormais tout est question d’argent. »

On parle peu des cases créoles de Trois-Bassins. “C’est parce qu’il n’y a pas de conscience du patrimoine dans cette commune”, regrette Bernard. Un connaisseur du patrimoine de La Réunion, qui préfère rester anonyme, nuance toutefois en observant les photos de la Kaz Lauret. “Cette case est en deux parties. Le pavillon a une forme architecturale assez caractéristique des maisons créoles des notables de La Réunion de la fin du 19e, début 20e. Il y a encore une petite cuisine derrière. Le volume doit être le même que celui d’origine. En revanche, toute la façade est refaite. La toiture est moderne, les lambrequins aussi. On remarque une adjonction en béton sur le coté qui doit dater des années 60, le bardage en bois a été refait, les volets aussi, la grille qui donne sur la rue doit dater des années 70… Le caractère patrimoniale est dégradé, peut-être que la structure en bois date de 1905, cette case est effectivement ancienne, mais, de l’extérieur, elle a été très transformée. »

Le béton, la sécurité et le confort

Bernard m’entraîne dans la rue principale du centre-ville, nous longeons les maisons jusqu’à un amas de gravats encadré entre les murs et les barrières qui bordent la route. “Avant ici c’était une petite case en bois. C’est désolant ce qu’il reste. Il y a six mois, on a détruit la plus ancienne boutique chinoise de la ville, une case de 150 ans. Avant les années 70, il n’y avait pas de béton. C’est arrivé comme la garantie de la sécurité par rapport aux cyclones, avec l’apport de l’électricité, le confort. Ça amenait du travail aux habitants.”

Un peu plus loin, un escalier de béton, carrelé à mi hauteur, se dresse jusqu’à un grand portail. Derrière, une très jolie maison créole, bien entretenue. “Celle-ci est extrêmement intéressante, elle a encore un caractère, une authenticité”, réagit le même spécialiste de l’architecture. “Elle a son haut-vent d’époque, les fenêtres semblent d’époque également. Toutes les petites moulures sont d’époque, elle a conservé la bonne proportion. Elle témoigne de la diffusion du modèle urbain vers les hauts de l’île.”

24 “bâtiments remarquables”

Le PLU en vigueur sur la commune identifie actuellement 24 “bâtiments remarquables”. “C’est un bâtiment que l’on souhaiterait conserver”, précise le service urbanisme de la mairie de Trois-Bassins. “Sachant que le PLU est en révision, le nouveau sera fini en 2026 ou 2027, donc le nombre de bâtiments remarquables pourrait changer. Le PLU actuel datait de 2017. Actuellement, nous sommes en train de faire un recensement de tout ce qu’il y a dans le cadre de la révision du PLU.” L’inscription de bâtiments remarquables dans le PLU est volontaire pour les communes et non obligatoire.

Le service urbanisme reconnait qu’au niveau de la commune, il n’existe pas d’aide spécifique pour la rénovation des anciennes cases créoles. On nous réoriente vers le Département ou encore la Deal, sans grande certitude.

« Ces cases créoles ont un intérêt mais ne sont pas protégées pour autant »

“Trois-Bassins fait partie de ces communes qui interrogent la notion de patrimoine”, pointe Jean-François Rebeyrotte, chargé de mission au Territoire de l’Ouest, interviewé plus bas. Il interroge sur ce qui, collectivement, fait patrimoine. “Pourquoi 24 cases ? Elles ont un intérêt mais ne sont pas protégées pour autant, donc s’il y a un projet d’aménagement, ces maisons peuvent être détruites.” Par ailleurs, soulignons tout de même que la commune de Trois-Bassins s’est engagée dans le programme « Petites villes de demain », un programme destiné à accompagner de petits territoires à s’adapter aux enjeux actuels et futurs. Parmi les objectifs, on retrouve la valorisation du patrimoine.

Bernard énumère : “Le maire a une belle case créole qu’il n’a pas détruite, mais qu’il a aménagée. Il y a la case des Hibons, la vieille poste aussi, la première poste de Trois-Bassins…. Que représentaient ces cases créoles par le passé ? Quelles sont leur histoire ? Nous avons à apprendre là-dessus.”

Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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