VINGT ANS DE MUSIQUE
A l’occasion de l’anniversaire du Kabardock, Parallèle Sud revient sur ses vingt ans d’histoire. Vingt ans de musique mais aussi d’évolution des métiers du spectacle. Nathalie Quipandédié, chargée de programmation, et Mike Colléaux, chargé de communication, se sont prêtés au jeu des questions-réponses et nous parlent de leurs métiers.
L’histoire du Kabardock
Le Kabardock fêtera ses 20 ans en ce mois d’avril. Cette salle de spectacle labellisée Scènes de Musiques actuelles (SMAC) est à l’origine le fruit de la volonté municipale d’ouvrir à d’autres publics Le Port qui souffrait d’une mauvaise réputation. D’autres publics, entendez non Portois, qui ont été séduits au fil des années par une programmation originale qu’on ne retrouvait pas ailleurs.
Le Kabardock c’est la contraction des mots kabar et dock qui rappellent à la fois la culture musicale réunionnaise et la culture portuaire et maritime de la ville du Port.
Le Kabardock bénéficie du label SMAC ce qui l’oblige à mener certaines actions culturelles, notamment des interventions dans des écoles primaires, à la prison, dans les Ehpads, de l’accompagnement des artistes locaux (résidences d’artistes, premières parties, warm up…) tout en veillant au développement des publics. « Les warm up ce sont les DJ qu’on entend dès l’ouverture de salle avant le début de la première partie et à la fin du concert, cela permet de donner une exposition à nos DJ résidents et de leur faire travailler leur set avec une prestation régulière. Ça les confronte aussi à un public qui n’est pas forcément le leur», nous explique Mike Colléaux, chargé de la communication de la salle portoise.
Aujourd’hui la programmation est toujours éclectique mais, changement de politique aidant, elle s’adresse plus au public local, on retrouve notamment des artistes réunionnais ou de l’océan Indien ainsi que des artistes urbains.
On peut considérer le pari de départ réussi puisque le Kabardock est devenu une référence en matière de concerts sur l’île, parvenant à faire venir des gens de l’extérieur au sein du Port.
La communication
Mike Colléaux est chargé de la communication du Kabardock. Arrivé à La Réunion il y a 21 ans, soit à peu près à l’ouverture du Kabardock, il a d’abord été son graphiste en indépendant, puis pour des revues culturelles, avant d’occuper son poste actuel. Il nous explique l’évolution de la communication dans le domaine du spectacle, un métier qui a beaucoup changé notamment depuis l’arrivée des réseaux sociaux et le déclin de la presse locale.
La communication de la programmation a presque toujours été faite sur papier avec un programme dépliant, une pub dans les journaux locaux et un article critique sur la programmation annuelle. Le chargé de com nous explique : « Avant, une fois qu’on avait fini le dépliant contenant toute la programmation et la présentation des artistes, qu’on avait acheté des pubs à la PQR et qu’on leur avait annoncé la programmation en conférence de presse, le boulot était terminé ». Mais, aujourd’hui, l’ère du papier n’est plus depuis l’essor du numérique.
Mike Colléaux poursuit : « On avait plus de relations avec la presse. Aujourd’hui, avec le déclin qu’on connait, on n’organise plus de conférence de presse et rares sont les journalistes qui s’intéressent encore à la culture ».
Il a donc fallu réinventer le métier. Désormais, la communication passe principalement par les réseaux sociaux quand elle n’est pas opérée par les artistes eux-mêmes. « Maintenant, en termes de communication papier, je me contente d’un dépliant et d’une carte postale, le gros du travail c’est sur les réseaux sociaux. »
Être présent sur les réseaux sociaux les plus populaires (Instagram, Facebook, TikTok, etc.) et donc diversifier ses contenus, des storys, des reels , des bannières et événements Facebook, c’est un travail quotidien. Ce qui a changé aussi, c’est la manière d’annoncer la programmation, auparavant il y avait le rituel annuel de la rentrée. Désormais, c’est au compte-gouttes qu’on annonce les artistes, comme on peut le constater avec le festival des Francofolies de La Réunion qui n’a annoncé que la moitié de la programmation dans un premier temps.
Le phénomène Luidji
Les 15, 16 et 17 mars derniers, le rappeur français Luidji s’est produit sur la scène du Kabardock qui affichait complet les trois soirs depuis bien longtemps. Une première dans l’histoire de la petite salle de concert qui, au départ, n’avait prévu qu’une seule date dont les presque 900 billets s’étaient écoulés sans aucune communication de leur côté.
Mike Colléaux explique qu’il souhaitait garder l’annonce de la venue de Luidji pour la programmation des vingt ans, mais à la demande de l’artiste et sans aucune communication du Kabardock, il ouvre la billeterie au mois de novembre.
De son côté, Luidji partage la date sur ses réseaux et, résultat, en une semaine toutes les places sont achetées. Une deuxième date est programmée, toujours avec l’unique communication de Luidji et celle-ci est prise d’assaut par les fans en l’espace de deux heures, menant à un plantage du serveur du site de billetterie. « Et pour la troisième date, on a tout vendu en un quart d’heure toujours sans avoir communiqué sur l’île. A ce point-là c’est unique », ajoute-il. Ce coup de théâtre, inimaginable il y a quelques années, n’est que le reflet de l’importance qu’ont pris les réseaux sociaux et les fanbases des artistes.
La programmation
Entre la musique et Nathalie Quipandédié, c’est une longue et belle histoire. « J’ai grandi dans un environnement familial très musical », confie-t-elle. Après une première expérience au festival Kabar Réunion, elle connait les débuts du Séchoir à Piton Saint-Leu pour lequel elle fait du porte à porte dans le 4×4 d’un prêtre malbar, afin d’amener les Réunionnais dans ce nouveau lieu culturel où on retrouvait concerts, diffusion de films et théâtre. « A cette époque, il n’y avait rien en termes de spectacle sur Saint-Leu, le Séchoir est situé en face d’un cimetière ce qui a refroidi plus d’un potentiel spectateur ». « Mon combat ça a toujours été l’accès à la culture pour tous », poursuit Nathalie Quipandédié, un engagement qu’elle continue au sein du Kabardock dont elle est l’actuelle chargée de programmation.
« Pour le choix des artistes, il y a à la fois les propositions de mes collègues, mes proches, mais aussi celles du public qui s’exprime à travers les réseaux sociaux. Bien sûr, avec les années, j’ai développé un certain flair pour dénicher les artistes. » La programmation d’artistes musicaux c’est un aussi un sport d’anticipation : « Luidji qu’on a programmé en mars dernier je l’avais bouclé depuis 2022 ».
Programmer, au-delà du choix d’artistes, c’est négocier le cachet et gérer les frais d’approche. « Les frais d’approche ce sont tous les frais qui concernent le billet d’avion, l’hôtel où logera l’artiste et son équipe… ». Le Kabardock étant une salle de spectacle subventionnée, le but n’est pas de réaliser du profit. « Pour le cachet de l’artiste, on est autour des 6000 euros par concert ». « Au Kabardock, on souhaite contenter tous les publics, pour les jeunes on a trois concerts de musiques urbaines par an que j’essaie de fixer pendant les vacances », souligne la chargée de programmation.
En 20 ans d’existence, le Kabardock a su faire venir des grands noms de la scène locale, nationale ou internationale. Des noms comme De La Soul, Bigflo et Oli, Vianney, Disiz, Danyel Waro, Vald, C2C, Cesaria Evora et bien d’autres font la fierté de Nathalie Kipandédié.
Léa Morineau