C’est à Grands-Bois, sur le site actuel du terrain synthétique de football que l’association Globice a jeté son dévolu pour son projet Balèn. Un lieu hybride, à la fois centre de recherche et site de sensibilisation à la protection des baleines. Sa localisation ne fait pas l’unanimité, et Globice dit aujourd’hui ne rien vouloir imposer. Parallèle Sud vous propose de décrypter les enjeux de démocratie participative et d’écologie qui se cachent derrière cette implantation.
Créer un lieu dédié aux mammifères marins à La Réunion, c’est le pari de l’association réunionnaise Globice pour sensibiliser à la protection des baleines. De juin à octobre, leur venue dans les eaux réunionnaises pour mettre bas et se reproduire créé l’engouement général. Avec Balèn, Globice souhaite faire vivre cet engouement et transformer, grâce aux connaissances transmises par le lieu, l’émerveillement que suscite ces espèces en une envie de les protéger.
Pourtant, depuis l’annonce d’une potentielle localisation du projet à Grands-Bois, sur le site du terrain de football, plusieurs voix d’opposition se sont exprimées. Parmi elles, on trouve Yasmina Coupama, habitante du quartier et porte parole du collectif Vol pa GranBwa Nout Patrimoine Sportif Nout Bordmer. En décembre 2024, la Saint-Pierroise prend connaissance de la localisation du projet et se mobilise pour défendre le stade qui, depuis quarante ans, accueille les habitués du quartier pour des pratiques sportives et récréatives. «Lorsque j’ai appris le projet, je suis allée voir les voisins pour avoir leur avis. Puis, on a monté le collectif. Aujourd’hui, on a plus de cinq-cent personnes sur la page facebook et une vingtaine de personnes actives. Si on n’avait pas revendiqué notre mécontentement, le projet se serait fait ici, sans notre avis.»
Un argument que tient à contrer Jean Marc Gancille, porte-parole de l’association Globice qui affirme le contraire. « On avait prévu dans notre planning de communication de présenter le projet publiquement et donc aux habitant.e.s du quartier, en janvier 2025. L’idée n’a jamais été de faire les choses dans notre coin, en secret, mais plutôt de co-construire le projet avec les résident.e.s du quartier. »
Démocratie participative
Tiphaine est co-coordinatrice de l’antenne Greenpeace Réunion. Sur l’intérêt pédagogique du projet en lui-même, l’antenne locale de l’ONG n’a rien à redire, et y voit un moyen pour Globice de tendre vers une indépendance financière nécessaire à son développement. Pour autant, Tiphaine tient à poser au nom de Greenpeace l’importance de prise en compte de la démocratie participative, dans la construction de ce type de projet.
«On est inquiets, et on sera vigilants à ce que la population soit impliquée et entendue sur la décision du lieu. Le projet Balèn doit se faire en co-construction avec les habitant.e.s. On constate au quotidien que la démocratie participative est souvent malmenée. Nombreuses sont les fois ou l’on demande l’avis des gens sur des projets politiques qui les concernent, pour ensuite ne pas prendre en compte leur avis, on espère que ça ne sera pas le cas ici. Par ailleurs, la réussite du projet ne devrait pas être conditionnée à son emplacement, mais bien à la qualité de son contenu.» déclare la militante.
Prendre en compte l’avis des habitant.e.s de Grands-Bois est une chose, faire en sorte que le projet leur bénéficie en est une autre. La encore, Jean-Marc Gancille tient à rassurer l’opinion publique sur le sujet. «Balèn sera un site à taille humaine, qui pourra accueillir 120 personnes maximum en simultanée. Il faut aussi y voir des visiteurs qui pourront consommer dans les commerces de quartier, et plus largement un rayonnement de Grands-Bois avec le premier site dédié au baleines, en France.»
Afflux touristique et littoral: une possible communion écologique ?
Pour rappel, la mairie de Saint-Pierre a proposé à Globice ce lieu, dans le cadre d’une politique plus large de réaménagement du quartier avec l’initiative “ France vue sur mer”, qui s’étale de l’Etang-Salé à Petite-Ile. Contactée à ce sujet, la municipalité nous a renvoyé directement vers Globice, signe qu’elle continue de soutenir la localisation du projet à cet endroit. Le stade synthétique devant dans tous les cas être réaménagé par la collectivité, Globice y voit ainsi un moyen de restaurer un espace de nature, en plus d’y conserver un espace de vivre ensemble, centré autours de la protection des cétacés. « On ne va pas toucher aux arbres qui sont déjà présents, on ajoutera des espèces endémiques et indigènes pour végétaliser le lieu, ce qui participera au drainage des eaux pluviales. Évidemment, en tant qu’association agréée de protection de l’environnement, nous avons mis un point d’honneur à impacter le moins possible le lieu, par souci de cohérence et de crédibilité de notre démarche.»
Une affluence touristique sur laquelle Greenpeace Réunion porte pour autant un point de vigilance. Car bien que ne grignotant pas la ligne des cinquante pas géométriques, correspondant au domaine publique maritime, préservé théoriquement de toute construction, le projet Balèn a vocation à remplir les jauges des visiteurs. « On est dans une démarche ou l’on prend un espace exceptionnel, c’est à dire une zone littorale, pour en tirer un certain capital. Cela implique forcément une limitation de la liberté d’accès à cet espace pour la population, et en plus, une augmentation de la fréquentation, donc de la vulnérabilité du littoral, face aux enjeux du changement climatique.” affirme Tiphaine.
Emmanuel Doulouma, porte parole du parti La Réunion Plus Verte, ajoute un argument au débat. « Aujourd’hui, on voit que l’on autorise la construction d’hôtels sur le littoral. Sachant cela, est ce que l’on ne peut pas en ce sens, faire une exception pour un projet à impact positif pour le territoire ? »
Une intégration du projet qui dépend de ses bénéfices pour les habitant.e.s
C’est cet impact pour les habitant.e.s que questionne Yasmina Coupama qui ajoute « Nous, on ne va pas vraiment bénéficier de ce lieu, on ira peut-être une fois pour voir, mais c’est tout. Alors que perdre le stade, ou des gens s’y déplacent au quotidien, pour pique-niquer, faire du sport, discuter, créer du lien, cela va vraiment affecter notre quotidien. »
Faire en sorte que les habitant.e.s bénéficient d’un accès privilégié à ce lieu et profitent de son rayonnement, c’est le défi auquel Globice accepte de répondre. Dans sa dimension pédagogique, le lieu sera censé profiter aux marmays du quartier de Grands-Bois, qui bénéficieront de sa proximité. Faire en sorte que les postes créés profitent aux locaux sera aussi un enjeu d’intégration du projet à l’échelle locale. Pour l’heure, parmi les éléments mis sur la table, une proposition de tarif réduit pour les résidents a été faite et sera étudiée.
« Il va falloir continuer de discuter »
Tout comme le collectif local Vol pa GranBwa Nout Patrimoine Sportif Nout Bordmer, Emmanuel Doulouma, ne doute pas de l’intérêt du projet, mais suggère une autre localisation. La proposition porte sur le sentier littoral du bois du Buis, dans le quartier de Terre rouge. Un élément qui viendra peut-être s’ajouter aux plusieurs concertations prévues d’ici juin 2025 pour faire avancer le projet. D’ici la, Jean-Marc Gancille affirme : «J’ai envie de laisser une chance à ce projet à Grands-Bois. Pour autant, Globice n’a aucun intérêt à imposer ce projet si une majorité des habitant.e.s se manifeste contre.» Difficile d’estimer pourtant le taux d’adhésion et de rejet réel du projet dans le quartier.
Pendant ce temps et loin des discussions de Grands-Bois, les baleines, actuellement en hémisphère sud entameront bientôt leur route vers les eaux chaudes réunionnaises. Alors, si les discussions sur la localisation du projet de Globice sont d’actualité, en coulisse, celles sur le renforcement de la réglementation du whale watching le sont aussi, confie Jean-Marc Gancille. Un autre point à surveiller, si l’on veut encore longtemps, pouvoir prétendre faire de la Réunion un pôle international de connaissances et de bonnes pratiques sur la préservation de ces géantes des océans.
Sarah Cortier
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