RETOUR DE VEILLEE
Le Quotidien a finalement été racheté par Média Capital Réunion. Avant la décision du tribunal, les salariés ont dormi devant ses portes, à Champ-Fleuri, pour « ne pas quitter le terrain avant la fin du match ».
Une pluie fine tombe sur Saint-Denis depuis le début de la journée. Le temps est maussade, tout comme le moral des employés du Quotidien. Ils sont une dizaine à avoir décidé de dormir sur place, devant le tribunal de Champ-Fleuri, où la décision de quel repreneur sera sélectionné par le tribunal de commerce sera rendue le lendemain matin. « Tant que le match n’est pas joué, on ne quitte pas le terrain », assure Edouard Marchal,. « C’est mieux de se retrouver tous ici que de se morfondre à la maison », souligne le délégué syndical SNJ du journal du Chaudron.
Nous savons aujourd’hui que Média Capital Réunion a été choisi. « C’est la moins pire des solutions, celle qui est la mieux disante socialement », estime le représentant syndical. Dès le lendemain toutefois, les questions de comment va s’organiser la rédaction sans l’assistante, sans secrétaires de rédaction, sans rédaction en chef, sans photographes répondaient aux confrères curieux du sort des journalistes du Quotidien.
Sans tambours ni trompettes
Sur la pelouse de Champ-Fleuri, un barnum a été monté. Dessous, les représentants du personnel répondent à la presse, se prêtent au jeu des photos et des caméras. Une table a été dressée, des amuses-gueules disposés dessus, les bières et bouteilles de vin rangées dessous. La scène ressemble à s’y méprendre à une fête entre amis, mais sans musique, un barbecue familial sans flamme, une veillée funèbre sans défunt et sans dominos.
Média Capital, c’est une SAS qui regroupe trois personnes. D’abord Jean-Jacques Dijoux, actionnaire à 70%, entrepreneur, le patron d’Odyssey Développement, qui possède notamment l’hôtel Le Ness à la Saline-les-Bains. D’aucun parle de « bétonneur », d’autres d’ « entrepreneur discret ». « J’ai déjà participé à aider Air Austral. Aujourd’hui c’est Le Quotidien. J’estime qu’il est important pour La Réunion que les chefs d’entreprises réagissent », souligne Jean-Jacques Dijoux, qui investit par « patriotisme économique ». A la question de savoir si le projet de rapprocher les deux journaux, Jir et Quotidien, est toujours d’actualité, il répond que le Jir n’est pas à vendre, que le projet est de relancer Le Quotidien, pas de constituer un groupe. « Si le Jir est à vendre, on verra », dit-il. Ensuite Jean-Pierre Lallemand, connu pour être responsable du syndicat de salariés SAFPTR (il ne l’est plus nous a-t-on assuré), et dirigeant de l’entreprise ABN (pour Agence bourbonnaise de nettoyage). Jean-Pierre Lallemand apporte les 30 % restant. Et puis Henri Nijdam, patron du Nouvel Economiste et homme d’affaires, qui va reprendre les rênes du Quotidien, avec les postes de directeur général et rédacteur en chef.
Autour du buffet, on trouve les anciens du Quotidien, les soutiens de toujours, quelques politiques sont venus dire bonjour. Paul Junot (dirigeant de la CFTC Réunion), Jean-Louis Rabou (ex-rédacteur en chef), Thomas Bordese (directeur du festival Electropicales), beaucoup d’anciens journalistes du titre, quelques actuels, mais pas les plus jeunes.
« Tout Le Quotidien, et rien de plus. » Henri Nijdam veut garder l’identité du journal. « L’unité de valeur, aujourd’hui, ce n’est plus le journal c’est l’article. Quand il est écrit, il faut utiliser tous les modes de diffusion possibles sans attendre », poursuit le patron de presse, pensant évidement au site internet du journal, à la version papier, mais aussi, il l’a dit un peu plus tard, « Tiktok et Instagram ». « Utiliser le numérique dans toutes ses composantes ; utiliser le papier dans toutes ses composantes. » Pour ce faire, il prévoit d’investir dans « une dizaine de logiciels qui, interconnectés, vont permettre de mettre en place le projet ». Il assure que Le Quotidien restera « un journal généraliste », que l’intelligence artificielle ne remplacera pas les journalistes (« elle ne sait ni analyser ni interprêter ») et que son orientation politique restera la même. « La droite et la gauche, c’est désuet. Il y a des angles plus progressistes, des angles plus conservateurs, ce n’est pas à nous de dire quoi penser au lecteur, nous sommes là pour l’aider à se forger une opinion », indique celui qui a créé et organise le prix du Manager de l’année.
L’apéritif se prolonge d’un rougail saucisse et de quelques barquettes de caris. Sous la pluie, on mange et on se souvient du bon vieux temps. On est loin des luttes syndicales avec tambours, trompettes et merguez obligatoires. Le ton est feutré, personne ne dérange les voisins.
Pour Henri Nijdam, le prix au numéro de la version papier ne peut qu’augmenter. « Ailleurs en France, la presse régionale coûte au numéro entre 1,70 et 2,10 euros, ce n’est pas normal que l’on reste à 1,20 euro. Nous allons commencer par baisser le prix, pour que les lecteurs se rendent compte de la nouvelle qualité du journal, puis nous l’augmenterons », indique-t-il.
Parution la semaine prochaine
Ne sont là pour passer la nuit à Champ-Fleuri que les syndiqués de la première heure, les plus anciens. Une dizaine de tentes sont implantées autour du Barnum. Avant même la décision du tribunal, il est question de rediscuter avec la prochaine nouvelle direction des besoins en effectifs, de comment va s’organiser la rédaction, de quand va-t-on reprendre la publication.
Dès le milieu de la semaine prochaine, Le Quotidien post Chane-Ki-Chune retrouvera le chemin de ses lecteurs. Imprimé, pour le moment, sur la même rotative. Et pour les salariés, « quinze journalistes ne suffiront pas à un projet ambitieux ». Henri Nijdam dit savoir « quelle qualité d’articles il faut, il faut trouver les journalistes qui ont le profil, en adéquation avec le projet ». « Je n’ai pas dit n’avoir pas besoin de photo-reporters ; l’illustration est essentielle, et ce n’est pas le rôle d’un rédacteur de prendre des photos avec son smartphone », assure le nouveau directeur du Quotidien. Qui donne rendez-vous dans six mois pour « mesurer la rapidité de l’augmentation de l’effectif ».
Il pleuvait sur Champ-Fleuri cette nuit-là. Rappelle-toi Le Quotidien, que tu serrais dans tes doigts. Il pleuvait sur Champ-Fleuri cette nuit-là.
Philippe Nanpon