7 CIRCONSCRIPTIONS ET DÉJÀ UNE SOIXANTAINE DE CANDIDATS
Les élections législatives des 12 et 19 juin prochains ressemblent à un saut dans l’inconnu, encore plus à La Réunion qu’en hexagone.
Les forces en présence à La Réunion
Quelques jours avant l’ouverture des dépôts officiels des candidatures (du 16 au 20 mai), l’état des annonces publiques (liste non-exhaustive et évolutive) dresse le paysage suivant circonscription par circonscription :
Investitures et soutiens
L’Union de la gauche : Philippe Naillet (1ère), Karine Lebon (2ème), Alexis Chaussalet (3ème), Emeline K’Bidy (4ème), Jean-Hugues Ratenon (5ème), Frédérik Maillot (6ème), Perceval Gaillard (7ème)
Majorité présidentielle : Audrey Fontaine (2ème), Bachil Valy (3ème), Laurent Virapoullé (5ème), Eric Leung (6ème), Hélène Coddeville (7ème)
Rassemblement national : Gaëlle Lebon (1ère), Michèle Graja (2ème), Didier Hoareau (3ème), Annie-Claude Boucher (4ème), Marie-Luce Brasier (5ème), Valérie Legros (6ème), Johnatan Rivière (7ème)
1ère circonscription
Les candidats déclarés :
Jean-Jacques Morel
Philippe Naillet (Union de la gauche)
Giovanni Payet
Yoann Cancan
Eric Magamootoo
Murielle Sisteron (LR)
Ludovic Sautron
Yvette Duchemann
Georges Mithra
Jean-Alexandre Poleya
Gaëlle Lebon (RN)
Dans la tradition dionysienne. Le député sortant Philippe Naillet (PS) obtient l’investiture de l’Union de la gauche dans le cadre des accords nationaux mais d’autres candidats de gauche ne manqueront pas de l’attaquer sur sa prétendue « Macron-compatibilité ». Il bénéficie en outre du soutien total de la maire Ericka Bareigts. Sur sa droite, il trouvera face à lui un « traditionnel » des scrutins dionysiens avec l’avocat Jean-Jacques Morel qui a perdu le soutien des Républicains. LR lui a préféré Murielle Sisteron, soutenue également pas l’ancien député-Maire, René-Paul Victoria.
2ème Circonscrition
Les candidats déclarés :
Virginie Péron
Soullaiman Soilihi
Erick Fontaine
Vincent Défaud
Audrey Fontaine
Karine Lebon (Union de la gauche)
Michèle Graja (RN)
Remake de 2020 ? Largement élue lors de l’élection partielle du 27 septembre 2020 avec plus de 70% des suffrages, Karine Lebon retrouve face à elle la même adversaire, Audrey Fontaine qui va devoir « faire avec » le soutien de la majorité présidentielle. Un handicap dans une circonscription ancrée depuis longtemps à gauche. A surveiller cependant l’effet des divisions à gauche du côté du Port et la perte d’influence de la majorité saint-pauloise observée lors des élections départementales remportées par ses opposants.
3ème circonscription
Les candidats déclarés :
Nathalie Bassire
Virginie Grondin
Alexis Chaussalet (Union de la gauche)
Danone Lutchmee Odayen
Bachil Vally (Majorité présidentielle)
Patrice Thien Ah Koon ?
Antoine Fontaine
Didier Hoareau (RN)
Jean-Jacques Vlody
Rémy Bourgogne
En attendant TAK. Dans cette circonscription où le Tampon pèse d’un lourd poids, la candidature de Patrice Thien Ah Koon se fait attendre. Il arpente le terrain mais ne s’est pas encore prononcé. Il n’aura pas besoin d’étiquette, son seul nom de famille devrait suffire. Nathalie Bassire, la députée sortante et opposante déterminée de TAK au conseil municipal et à la Casud, a été lâchée par LR alors qu’elle était la référente de Valérie Pécresse à La Réunion. Elle se trouve isolée, obligée de se réinventer. Bachil Valy, qui a mené la campagne d’En Marche aux présidentielles, risque de pâtir de l’impopularité du président.
La gauche s’aligne divisée avec trois candidats de La France Insoumise qui se sont positionnés mais seul Alexis Chaussalet est investi. Virginie Grondin et Rémy Bourgogne vont-ils se maintenir ? Du même bord, la verte Danone Lutchmee Odayen et le socialiste Jean-Jacques Vlody, ex-député de la circonscription, s’alignent sans doute avec le même objectif de « marquer le territoire » en vue d’autres scrutins.
Enfin, le Rassemblement national, fort de ses scores dans les hauts présente une « forte gueule » en la personne de Didier Hoareau. Il s’est fait remarquer lors du mouvement des Gilets jaunes puis à la tête des transporteurs militant pour la construction de la digue de la NRL. Mais il a été aussi condamné pour abus de biens sociaux.
4ème circonscription
Les candidats déclarés :
David Lorion
Ruth Dijoux
Emeline K/Bidy (Union de la gauche)
Stéphane Albora
Bruno Martin (écolo centriste créateur de Stop Arnaque 974)
Annie-Claude Boucher (RN)
Le fief LR. Les Républicains sortent terriblement affaiblis de la présidentielle mais, localement, la troisième circonscription reste un fief solide. Michel Fontaine, réélu maire de Saint-Pierre dès le premier tour, appuiera de tout son poids pour la réélection de David Lorion. Le député sortant va devoir habilement manoeuvrer entre la ligne critique de la droite d’opposition et une certaine compatibilité avec le programme libéral d’Emmanuel Macron. Le parti du président ne présente aucun candidat contre lui. A gauche, Patrick Lebreton et le Progrès ont obtenu leur part de l’union avec l’investiture accordée à Emeline K’Bidy quand les cadres montants de La France Insoumise aurait préféré Stéphane Albora.
5ème circonscription
Les candidats déclarés :
Jean-Hugues Ratenon (Union de la gauche)
Ridwane Issa
Stéphane Fouassin
Laurent Virapoullé (Majorité présidentielle)
Léopoldine Settama
David Gauvin
Marie-Luce Brasier
Jean-Yves Payet
Attention fragile. Jean-Hugues Ratenon s’est imposé à l’Assemblée nationale comme un député emblématique de La France Insoumise mais sa base électorale demeure fragile. Il n’a été élu en 2017 que grâce à la division d’une droite qui voulait régler son compte à l’ancien maire de Bras-Panon, Daniel Gonthier, et grâce au coup de main de feu Jean-Claude Fruteau. La vague Mélenchon risque de s’écraser dans le marais de la 5ème circonscription tant le sol est mouvant.
Il y a un RN qui monte, qui monte, à Salazie, à la Plaine des Palmistes, à Saint-Benoît. Mais rien ne dit que Marie-Luce Brasier, une frontiste de la première heure, va en profiter tant le maire de la Plaine, Johnny Payet semble jouer sur plusieurs tableaux. Porte-parole du RN, il s’affiche aussi aux côtés de Stéphane Fouassin et ne cache pas sa sympathie pour l’Insoumis Ratenon…
Du côte de la droite, les voix se dispersent entre Laurent Virapoullé, qui reprend le flambeau familial, Stéphane Fouassin, Léopoldine Settama, Marcheuse de la première heure qui avait fait jeu égal avec Jean-Hugues Ratenon au premier tour de 2017, et même de Ridwane Issa dont le parti soutenait Emmanuel Macron il y a un mois…
6ème circonscription
Les candidats déclarés :
Nadia Ramassamy ?
Eric Leung (Majorité présidentielle)
Pascal Hoarau
Frédérik Maillot (Union de la gauche)
Alek Laï Kane Cheong
Monique Orphée
Bernard Pade
Nadine Damour- Gironcel
Valérie Legros (RN)
Une gauche version puzzle. Mais qu’attend Nadia Ramassamy pour annoncer si elle fait « Stop ou encore » ? Isolée et ne présentant pas un bilan éloquent, elle aura de toute façon du mal à surnager dans le désordre actuel. La nature ayant horreur du vide, ça se bouscule pour lui succéder. Monique Orphée, députée de la 6ème pendant le quinquennat Hollande, tente un retour. Contrairement à Philippe Naillet, elle n’a pas obtenu d’investiture.
L’union de la gauche lui a préféré Frédérik Maillot, vice-président d’Huguette Bello à la Région. Le charismatique percussionniste ne pourra cependant pas jouer sa partition en solo. Son ancien camarade du Parti Croire et Oser, Alexandre Laï Kane Cheong se présente sur la même ligne d’une nouvelle génération autonomiste et lui impose un duel fratricide. A gauche encore, s’aligne Nadine Damour-Gironcel, héritière du dernier bastion du Parti communiste réunionnais, l’écologiste Bernard Padé et l’Insoumis Pascal Hoarau.
Voilà qui ouvre un champ large à Eric Leung, respecté dans le monde économique en tant qu’ancien président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises. Sa suppléante Yolande Calichiama était encore aux manettes d’Antenne Réunion lors de l’élection présidentielle, elle devrait le faire profiter de sa notoriété… A moins que l’électorat ne se lasse d’une énième collision entre médias et politique !
7ème circonscription
Les candidats déclarés :
Isaline Tronc
Jean-François Nativel
Thierry Robert
Philippe Lainin Rangama
Perceval Gaillard (Union de la gauche)
Rémy Massain
Hélène Coddeville (Majorité présidentielle)
Johan Guillou (soutenu par Domen et M’doihoma)
Johnatan Rivière (RN)
Le retour de Thierry Robert. Jean-Luc Poudroux, député sortant a jeté l’éponge après avoir navigué de Didier Robert à Marine Le Pen en passant par Huguette Bello : sorte de suicide politique qui a fait fuir tous ses éventuels soutiens. Il laisse, volontairement ou involontairement, la place à son ennemi d’hier : Thierry Robert dont le parcours politique n’est guère moins tortueux.
Le charisme de l’ancien député-maire de Saint-Leu ne le préserve pas du même risque qui guette Jean-Hugues Ratenon dans la 5ème : sa base électorale est plus qu’incertaine depuis ses derniers errements à Saint-Leu où sa candidate s’était désistée avant le deuxième tour des municipales. La 7ème a clairement été marquée par l’arrivée d’une nouvelle génération d’élus : Juliana M’Doihoma à Saint-Louis, Mathieu Hoarau à l’Etang-Salé, et Jean-François Nativel à Saint-Gilles. La « société civile », comme on dit, peut encore surprendre dans un scrutin où la qualification au deuxième tour relève de la loterie. De quoi faire espérer Isaline Tronc, adjointe à l’Etang-Salé et syndicaliste hyperactive, Johan Guillou, soutenu par Bruno Domen et Juliana M’Doihoma et Jean-François Nativel.
Cette même chance peut tout aussi bien sourire à un candidat de gauche. Philippe Rangama a raté l’investiture malgré son travail de sape sur Saint-Louis. Et Perceval Gaillard voit récompenser son action militante. Voire au bouillonnant Johnatan Rivière, forte gueule des transporteurs (comme Didier Hoareau), plusieurs fois petit candidat, et aujourd’hui investi par le parti de Marine Le Pen.
Un troisième tour de présidentielle est-il crédible ?
Privés d’une alternance qu’ils affectionnent à chaque élection nationale depuis 1981, les électeurs français vont-ils remettre au goût du jour la cohabitation entre un président de droite et un Premier ministre de gauche ?
Sens dessus dessous. Les premier et second tours de l’élection présidentielle ont rappelé au grand jour l’immense décalage entre La Réunion et l’hexagone. Les Réunionnais ont choisi Mélenchon le 10 avril : éliminé ! Ils ont reporté leur colère anti-Macron en donnant près de 60% de leurs voix à Le Pen : Encore raté !
Et voilà que se présente la suite avec les élections législatives souvent présentées comme le « troisième tour ». Le vote réunionnais ruissellera-t-il une nouvelle fois à contre-courant de l’ensemble national ? Impossible à prédire.
La prédiction est d’autant plus compliquée que la séquence qui s’ouvre est inédite avec un Jean-Luc Mélenchon, perdant de la présidentielle, qui fait le pari d’être gagnant des législatives en se présentant comme Premier ministre sur ses affiches. Ce pourrait n’être qu’un slogan électoral, dans une cinquième république où chaque président élu au suffrage universel a systématiquement levé une vague victorieuse lui permettant de gagner les élections législatives dans la foulée.
L’hypothèse d’une cohabitation immédiate
Cette fois-ci pourtant, l’hypothèse d’une cohabitation immédiate, prend de la consistance car les troupes de la France Insoumise ne sont plus seules à y croire. Le PS, les écologistes et les communistes les ont rejointes pour construire une Union de la gauche en un temps record.
L’instinct de survie de ces alliés, laminés au premier tour de la présidentielle, a certes beaucoup joué en faveur de cet accord électoral. Mais leur ralliement s’appuie aussi sur une analyse plus objective du goût de l’alternance des Français exprimés systématiquement dans les urnes depuis 1981.
Est-ce que la vague présidentielle sera assez forte pour submerger la volonté d’alternance des Français ?
Aucun président n’a jamais réussi à aller au bout de son septennat sans avoir à se soumettre à une cohabitation : Mitterrand-Chirac, Mitterrand-Balladur et Chirac-Jospin. La réforme du quinquennat était censée mettre fin à ces cohabitations en faisant coïncider les élections présidentielle et législatives. Le goût de l’alternance a fait qu’aucun des présidents élus pour 5 ans n’a réussi à rempiler. Sauf Macron !
Mais le président sortant, élu au bénéfice de la stratégie de l’épouvantail de l’extrême-droite, n’est pas exonéré de la dose de rejet qui avait mis au tapis avant lui Sarkozy et Hollande. Le suspense est ainsi établi : est-ce que la vague présidentielle sera assez forte pour submerger la volonté d’alternance des Français ?
Sondage : Macron garderait une majorité confortable
Si l’on en croit le premier baromètre OpinionWay – Kéa Partners réalisés du 5 au 9 mai pour Les Échos, la majorité présidentielle restera aussi solide que lors de la mandature précédente en remportant entre 310 et 350 sièges sur les 577 que compte l’Assemblée nationale. La Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) ferait fortement progresser la gauche en remportant entre 135 et 165 sièges, devenant ainsi la première force d’opposition. Les Républicains et les Centristes tomberaient entre 50 et 70 sièges. Et le Rassemblement nationale obtiendrait enfin un groupe avec 20 à 40 députés.
Dans le même sondage, 64% des personnes interrogées ne souhaitent pas qu’Emmanuel Macron dispose d’une majorité à l’Assemblée, c’est dire le décalage entre l’expression populaire et sa représentation parlementaire… De quoi citer une autre projection, celle réalisée par France Info à partir des résultats du premier tour de la présidentielle.
Il y apparaît que la gauche unie sera la force la mieux représentée au second tour des législatives puisque ses candidats seraient présents dans 471 circonscriptions, contre 448 pour la majorité présidentielle et 296 pour le Rassemblement National. En plus, cette « gauche unie » arriverait en tête. Ce n’est évidemment qu’un rêve — ou un cauchemar selon les points du vue — puisque ce calcul ignore les réalités des territoires et les personnalités qui s’y présentent. Sur La Réunion, en suivant ces projections, 6 des 7 circonscriptions proposeraient des duels entre Nupes et RN.
A La Réunion le 10 avril ne se reproduira pas le 12 juin
Au point que Johnny Payet, porte-parole affiché du parti de Marine Le Pen annonce 7 députés RN pour La Réunion, en s’appuyant, quant à lui, sur les seuls chiffres du 2ème tour.
Plus sérieusement, la distorsion entre la défiance au président et sa traduction dans le scrutin législatif annonce un vrai suspense dans les sept circonscriptions. Du côté de l’Union de la gauche, on sait qu’il y a « un coup à jouer », mais la prudence est de mise. Trois députés sortants, ayant reçu « l’investiture » sont, a priori favori pour garder leur siège : Philippe Naillet dans la 1ère, Karine Lebon dans la 2ème et Jean-Hugues Ratenon dans la 5ème.
Il leur faut cependant rester modestes, tant le « dégagisme » transpire à chaque scrutin. Les commentaires qui accompagnent chaque intervention politique sur les sites d’information et les réseaux sociaux en sont l’illustration la plus visible.
Les quelques 650 000 inscrits sur les listes sont plus nombreux que le nombre de résidents réunionnais de plus de 18 ans.
Pour les quatre autres circonscriptions, les candidatures de gauche annoncées ne font pas apparaître de personnalités marquantes. S’il faut se réjouir de l’émergences de nouvelles têtes, la loi sur le non-cumul des mandats a « dépassionné » les scrutins législatifs… et sans doute accentué le désintérêt des électeurs : seulement 34% de participation au premier tour en 2017.
100 000 électeurs disparus
A noter que le taux d’abstention est accentué à La Réunion par la présence sur les listes de 100 000 électeurs qui ont quitté le territoire sans se désinscrire. Très peu d’entre eux ont recours aux procurations. L’essentiel des procurations se font en effet « en interne ». Les quelques 650 000 inscrits sur les listes sont plus nombreux que le nombre de résidents réunionnais de plus de 18 ans.
La conséquence de cette externalisation des inscrits réunionnais est importante sur un scrutin législatif. Les candidats doivent en effet obtenir plus de 12,5% des inscrits pour pouvoir se maintenir au second tour et imposer une triangulaire aux deux premiers qualifiés. L’éparpillement des voix du fait du grand nombre de candidats (une douzaine en moyenne par circonscription) peut donc limiter le choix du second tour à des qualifiés aux scores modestes… Et réserver des surprises énormes.
Un faux-semblant de campagne législative
Autre paradoxe de l’élection législative : le décalage entre la campagne et le rôle réel du député. Celui-ci — ou celle-ci — est un représentant national qui écrit les lois or les discours en circonscription abordent plutôt des questions locales qui n’ont guère leur place dans les travaux parlementaires. A cela s’ajoutent les influences des appareils municipaux dont les préoccupations sont elles aussi éloignées du palais Bourbon. De fait nombre des quelque 80 à 90 candidats attendus concourent davantage pour « marquer le terrain » en vu des futurs scrutins locaux que pour réellement participer au débat national.
Ce faux-semblant de campagne législative, où les candidats surfent sur le mécontentement général exprimé les 10 et 24 avril, promet un brutal retour à la réalité dans l’entre-deux tours. Il faudra alors sortir du flou artistique et afficher clairement son positionnement dans l’hémicycle : dans la majorité présidentielle ou dans l’opposition. Attendons nous à des procès enflammés en Macron-compatibilité mais aussi en Mélenchon-compatibilité.
Franck Cellier