L’épreuve du retour de la forêt inexplorée des hauts de Salazie

Après deux jours et deux nuits passées aux confins de la forêt à la recherche de plantes endémiques et de traces du royaume des marons, le botaniste Rémi-Paul et ses deux compagnons ressortent au cours d’une journée harassante : pluies, escalades, vertiges, fatigue, chutes de pierres…

13 juillet 2025. le troisième jour, c’est le moment de ressortir. Après deux nuits passées dans un coin reculé des hauts de Salazie, loin des sentiers connus, l’équipe doit remonter vers la source Manouilh. Il a plu dans la nuit. Tout est humide. Et ce qui les attend est plus dur que l’aller.

« La troisième journée, c’est le retour. C’était le défi de cette expédition. Aller là où l’homme n’a jamais posé le pied. Maintenant, il faut en revenir, et physiquement, ce sera le plus difficile », explique Rémi-Paul Grondin, le botaniste qui a organisé minutieusement cette expédition.

Nous tournons le dos aux plateaux et crêtes explorés la veille. Après avoir démonté notre camp sur la rive gauche de l’affluent de la Rivière Du Mât qui nous a servi de base, nous repartons sur l’autre rive, au pied de la corde déposée deux jours avant. La remontée se fait sous une pluie encore fine. Plus de 30 mètres de paroi abrupte. Rémi-Paul passe devant avec son bloqueur. Derrière lui, les autres doivent grimper à la force des bras. Sans entraînement spécifique, c’est un calvaire.

Une expédition qui cogne sur le corps

La corde mauve qui servait à remonter… à un moment je l’ai serrée entre mes dents tellement j’arrivais plus à hisser mon corps et mon sac. J’en ai mangé… Tout au long de la marche, les chutes s’enchaînent. Le sol glisse, les branches bloquent le passage. Il faut les enjamber ou se faufiler dessous. Les sacs pèsent lourd et se coincent entre les branches. Je suis couvert de boue.

Ce ne sont pas des efforts intenses d’un coup, mais des milliers de gestes, de chocs, de grimaces, qui s’accumulent. On est tout le temps en train de tomber, de se relever… Mis bout à bout, tous ces micro-chocs finissent par peser…

Malgré les doutes, malgré la fatigue, l’équipe est sortie de la forêt et s’est réchauffée grâce à une tisane bienvenue. Franchement, c’était un dépassement de mes limites. De tous les reportages que j’ai fait, je crois que c’est celui qui, physiquement, était le plus dur à tenir. Au moment du passage des pierriers, alors que la pluie s’est intensifiée, nous entendons des roches se détacher de la falaise au-dessus de nous. Nous les voyons, elles rebondissent vers nous pour finalement disparaître sur la droite…

Un privilège rare, presque lunaire

Ce n’est pas une hallucination mais presque, j’ai parfois l’impression de marcher sur la lune après avoir traversé une jungle incroyablement dense. Une pensée traverse mon esprit. Je me persuade que d’autres hommes vont marcher sur la lune avant qu’on retourne là où on est allé… Ce bout de bras isolé, couvert de végétation, sans aucun sentier, pourrait bien rester inexploré encore longtemps.

Quand on n’est pas botaniste ou archéologue, c’est une chance de journaliste que de pouvoir accéder à des choses que le grand public ne pourra jamais toucher. À nous de transmettre ce que nous avons vu et vécu.

Partager, transmettre, observer

Durant ces trois jours, ce n’est pas seulement la difficulté physique qui m’a marqué, c’est aussi le travail discret mais passionné du botaniste. Je n’arriverai jamais à être aussi pointu que Rémi-Paul en botanique, mais l’avoir vu regarder attentivement la nature pour trouver une herbe rare a été une expérience unique. J’avais la sensation de vivre une expédition des siècles passés, quand les explorateurs recherchaient des terrains inconnus.

Même dans ces coins reculés, l’équipe a observé la présence d’espèces invasives : des fuchsias, des goyaviers. Des plantes qui étouffent le reste. Et que beaucoup trouvent jolies, sans savoir ce qu’elles causent. Mais derrière ces plantes-là, c’est une biodiversité qui meurt. Et c’est La Réunion qui s’appauvrit. Il va falloir faire beaucoup de pédagogie pour faire comprendre les effets néfastes des espèces invasives.

Sur le sentier du retour, alors que nous nous dirigions dans un labyrinthe végétal grâce au GPS de Rémi-Paul, nous avons retrouvé une gourde de compote tombée de mon sac. Signe le plus visible de notre passage car nous n’avons laissé aucune trace. Pas de coup de sabre dans les branches ni de rubalises accrochées. Évidemment j’ai ramassé la gourde, bu son contenu, et ramené le déchet dans ma poche. Ni vu, ni connu… Sauf pour toi qui vient de lire cet article.

Franck Cellier