Les violences intra-familiales explosent. Les enfants qui en sont les victimes directes ou collatérales sont donc de plus en plus nombreux. Or les politiques de protection de l’enfance manquent de moyens. Le personnel se raréfie. Près de 300 enfants sont accueillis dans des familles sans agrément et le Département se reconnaît démuni face à une cinquantaine de cas très complexes.
C’est passé inaperçu pourtant le sujet est crucial, il concerne des milliers d’enfants réunionnais. Une commission d’enquête de l’Assemblée nationale se consacre aux « manquements des politiques publiques de protection de l’enfance » et elle auditionnait ce mercredi 5 février le président du Département Cyrille Melchior et son directeur de l’Enfance et de la famille Jean-Patrick Dalleau. Avec solennité les intervenants réunionnais ont juré de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Alors qu’un Plan départemental de lutte contre les violences intra-familiales a été adopté il y a un an, on a enregistré une hausse de 10% des informations préoccupantes pour ce type de violences entre 2022 et 2023. Cyrille Melchior parle même d’une « explosion » des chiffres. Il voit une « contradiction » dans le fait que cette augmentation s’opère alors que la pauvreté recule : « Selon l’Insee le nombre de Réunionnais vivant en-dessous du seuil de pauvreté est passé de 50% il y a une dizaine d’années à 36% aujourd’hui. »
Et il avance l’hypothèse que « le phénomène s’est aggravé ces derniers mois du fait de l’arrivée beaucoup plus conséquente des populations venant de Mayotte : beaucoup de Mahorais et de personnes venant des Comores. »
L’accueil en familles privilégié
Il a réitéré le propos en fin d’audience pour s’inquiéter des arrivées d’enfants mahorais après le passage de Chido. Il craint que ces mineurs ne soient délaissés au sein de familles d’accueil qui exerceraient une « autorité parentale déléguée ». Le directeur de l’enfance et de la famille a alerté les députés sur les risques de saturation des capacités d’accueil de La Réunion : « L’insularité ne nous permet pas de nous appuyer sur un département limitrophe. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. »
Dommage qu’aucun intervenant dans la salle quasi-vide de l’Assemblée nationale n’ait demandé si ces affirmations s’appuyaient sur des chiffres précis. A défaut donc de pouvoir trouver un bouc-émissaire aux « manquements des politiques publiques de protection de l’enfance », les chiffres fournis par le Département montrent que les capacités d’accueil et d’accompagnement des enfants faisant l’objet d’une mesure administrative ou judiciaire sont déjà dépassés.
Au total 7 000 enfants bénéficient de mesures d’aide sociale (ASE). 3 900 relèvent d’une AEMO (Aide éducative en milieu ouvert). 2 150 sont placés auprès des quelque 850 assistants familiaux recensés. 400 sont accueillis en Maisons d’enfants à caractère social (Mecs), 30 en pouponnières et 110 dans les foyers départementaux. C’est une particularité réunionnaise que de proposer « beaucoup de places en familles d’accueil et assez peu de places en structures d’accueil ».
Agréments sur liste d’attente
Si le Département parvient à exécuter toutes les mesures de placement, il reconnaît cependant procéder actuellement à 280 placements « dérogatoires ». C’est-à-dire sans agrément. En clair, les assistantes familiales qui partent à la retraite avaient des agréments pour l’accueil de 3, voire 4 enfants alors que les nouvelles n’ont souvent des agréments que pour un enfant. Cyrille Melchior assure que les procédures d’agrément sont en cours et que c’est dans l’attente de leur conclusion que les placements sont « dérogatoires ».
N’empêche, les problèmes d’effectifs sont sérieux. Les budgets dédiés à la protection de l’enfance sont certes en augmentation mais le Département tire d’ores et déjà la sonnette d’alarme sur les difficultés de recrutement des travailleurs sociaux.
Le métier n’est pas attractif pour les jeunes, affirme le président du Département. Or 40% des effectifs vont partir à la retraite dans les dix prochaines années. Et les associations qui œuvrent pour la protection de l’enfance connaissent les mêmes difficultés. En plus, Cyrille Melchior déplore que « nous ayons aujourd’hui déserté l’éducation populaire » : « il faut réinventer des politiques d’éducation populaire. »
« 50 enfant pour lesquels on n’est pas outillé »
De fait, les institutions se retrouvent démunies face à des cas qui ont tendance à devenir de plus en plus complexes. Le directeur de l’enfance et de la famille dénombre environ 50 enfants pour lesquels « on n’est pas outillé » du fait de la pluralité des carences : syndrome d’alcoolisation fœtale, comportement asocial, handicap physique et surtout mental, abus sexuels, prostitution, maltraitance, etc. Une structure expérimentale pour ces cas complexes a ouvert ses portes l’an dernier. Mais sa capacité d’accueil de 5 places est loin de suffire.
Cyrille Melchior insiste sur la priorité à donner à la santé mentale : « Si on ne donne pas plus de moyens aux familles et aux intervenants des structures d’accueil pour la prise en charge des carences des enfants dont ils s’occupent, on peut échouer et ces enfants peuvent devenir des proies faciles pour les bandes des quartiers difficiles lorsqu’ils arrivent à la majorité. »
Le cercle est d’autant plus vicieux que le manque de moyens pour accompagner les parents dont les enfants souffrent de maladies mentales aboutit à des placements par défaut. « Le placement doit être l’exception, on privilégie l’aide en milieu ouvert, Malheureusement, faute de moyens pour accompagner les familles, le placement devient la solution car les familles deviennent agressives et refusent le travail avec les équipes spécialisées qui sont elles-même surchargées », regrette Jean-Patrick Daleau.
Et de conclure en vantant le travail de tous les acteurs de la protection de l’enfance : « Ce n’est pas suffisant on n’est pas parfait mais on essaie de s’améliorer. »
Franck Cellier
⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation. Vous souhaitez signaler un commentaire abusif, cliquez ici.