[PARTENARIAT AVEC LE JOURNAL TEMOIGNAGES]
Face à la hausse générale des prix provoquée par la spéculation sur le prix du pétrole liée à la guerre en Ukraine, le gouvernement compte sur une subvention de 15 centimes par litre de carburant pour acheter la paix sociale le temps de la présidentielle et des législatives. Subventionnera-t-il aussi les prix du kérosène et du mazout, principales charges des compagnies aériennes et maritimes ? Ira-t-il jusqu’à exiger d’EDF qu’elle baisse le prix de l’électricité vendue à la SNCF au nom du principe de « la concurrence libre et non faussée » ? Les conséquences de la guerre en Ukraine rappellent pour La Réunion la nécessité de l’autonomie énergétique à partir des énergies renouvelables disponibles en abondance sur place, et de favoriser le co-développement pour faire venir nos importations des pays voisins plutôt que de l’Europe distante de 10000 kilomètres.
Samedi, Jean Castex, Premier ministre, a annoncé sur Twitter la mesure suivante :
« Dans de très nombreuses stations-services, le prix des carburants a dépassé les 2 €/L.
Face à cette situation exceptionnelle, le Gouvernement va agir directement sur le prix à la pompe.
→ Une « remise carburant » de 15 centimes/L sera appliquée dès le 1er avril, pour 4 mois. »
Effets du développement du transport routier au détriment du train
Les causes de cette hausse sont connues. Elles découlent de la spéculation sur le prix du baril de pétrole liée à la guerre en Ukraine. Dès le 24 février, la spéculation a fait franchir la barre des 100 dollars au prix du pétrole qui est même monté à 140 dollars, du jamais vu depuis plusieurs années.
La conséquence immédiate est une hausse des produits dérivés du pétrole, dont le carburant pour automobile, le mazout du transport maritime et le kérosène acheté par les compagnies aériennes.
La politique de l’Union européenne a favorisé le nivellement des droits sociaux par le bas. Le transport routier tend à devenir comme le transport maritime, un paradis pour capitalistes employant des travailleurs sur la base du pays le moins disant social qui conduisent des camions transportant des marchandises dans toute l’Europe. Ceci a pour conséquence de transférer sur la route une grande partie du fret qui était auparavant transporté par trains, car les profits sont plus importants.
En conséquence de la guerre en Ukraine, la hausse du prix du baril a été immédiatement répercutée par les compagnies pétrolières et en France, les prix des carburants atteignent des niveaux jamais atteints : plus de 2 euros le litre de gasoil ou de sans-plomb. Cette situation ponctionne gravement le porte-monnaie des nombreux travailleurs et retraités contraints d’utiliser une voiture pour se déplacer. Elle augmente aussi les charges des transporteurs qui répercutent cette hausse sur leurs clients, qui ensuite la font payer par le consommateur final. La conséquence, c’est une augmentation générale et importante des prix qui tombe très mal pour le gouvernement, en pleine campagne électorale de la présidentielle.
Effets du tout-automobile à La Réunion
A La Réunion, le prix des carburants n’atteint pas les mêmes sommets qu’en France pour deux raisons. Tout d’abord, le montant de la taxe sur les carburants et de l’octroi de mer sont décidés par la Région et la somme de ces taxes est nettement moins importante que la fiscalité en France. Ensuite, les prix ne peuvent dépasser un plafond fixé tous les mois par un arrêté préfectoral. Les compagnies pétrolières ne peuvent donc imposer une augmentation immédiate à chaque hausse du prix du baril de pétrole. Malgré cela, les prix des carburants ont connu « une forte hausse » selon la Préfecture au 1er mars, en raison de la spéculation liée à la conjoncture internationale.
Il faut donc s’attendre à une nouvelle hausse au 1er avril, qui sera répercutée sur le prix de toutes les marchandises vendues à La Réunion, car elles sont toutes transportées par des véhicules fonctionnant avec ces carburants importés.
15 centimes suffisants pour acheter la paix sociale ?
A Madagascar, les prix des carburants sont fixés de la même manière qu’à La Réunion. Le gouvernement a annoncé qu’il allait subventionner pour qu’ils n’augmentent pas à la pompe. Les prix affichés avaient été calculés en fonction d’un prix du baril à 70 dollars, alors qu’il a dépassé 100 dollars. L’État versera la différence aux compagnies pétrolières.
En France et à La Réunion, c’est la campagne électorale de la présidentielle. Le président sortant, Emmanuel Macron, est candidat à sa réélection. Or, une hausse générale des prix, et en particulier de ceux des carburants, est l’étincelle la plus efficace pour lancer un mouvement social de grande ampleur qui visera la politique du gouvernement, avec Emmanuel Macron en ligne de mire. D’où l’importance de trouver un moyen d’acheter la paix sociale.
Paris applique donc la même méthode qu’Antananarivo pour juguler la hausse : une subvention des prix des carburants. Elle sera de 15 centimes par litre vendu à partir du 1er avril et pendant 4 mois, de quoi passer la présidentielle et les législatives. Elle sera donc financée par tous les contribuables qui paient la TVA et la CSG, ainsi que ceux qui sont assujettis à d’autres impôts, c’est-à-dire tout le monde. Ces 15 centimes seront-ils suffisants pour acheter la paix sociale ?
Le gouvernement subventionnera-t-il aussi le kérosène des avions et le mazout des bateaux ?
Les automobilistes et les transporteurs ne sont pas les seuls concernés par la hausse du prix du baril de pétrole. Quand les compagnies aériennes devront renouveler leur contrat d’approvisionnement en kérosène, elles doivent s’attendre à une forte augmentation de leur charge principale si le prix du baril ne diminue pas. Mais elles ne peuvent répercuter l’intégralité de la hausse sur le prix des billets d’avion car elles perdront des clients. La hausse du prix du pétrole fait également augmenter celui du fioul utilisé par le transport maritime, avec pour effet une augmentation des prix des produits importés payés par le consommateur.
Les compagnies aériennes et maritimes pourraient bien demander à l’État d’intervenir pour alléger leur facture en kérosène et en mazout. Paris subventionnera-il également le prix de ces carburants ?
De toute manière, le gouvernement a décidé de subventionner le transport routier en diminuant de 15 centimes par litre de carburant sa charge principale. Au nom du principe de « la concurrence libre en non faussée », l’Etat doit imposer à EDF une baisse du prix de l’électricité vendue à la SNCF pour faire rouler ses trains de passagers et de fret.
La guerre en Ukraine et la spéculation qui en découle a des conséquences générales en raison du modèle de développement choisi : privilégier les transports qui utilisent les produits dérivés du pétrole comme source d’énergie.
Autonomie énergétique et co-développement indispensables à La Réunion
La seule manière d’éviter de pareilles crises est de changer de modèle :
– tout d’abord en allant vers l’autonomie énergétique à partir d’énergies renouvelables disponibles sur place ;
– ensuite en diminuant les distances des marchandises transportées d’une part, et en utilisant autre chose que des produits dérivés du pétrole pour les transports routiers et maritimes d’autre part ;
– enfin en évitant de recourir au transport aérien quand cela est possible pour le transport de passagers.
En termes d’énergies renouvelables, La Réunion a des atouts considérables qui ne demandent qu’à être valorisés. C’est également le cas en termes de raccourcissement des circuits d’approvisionnement. Il suffit de se tourner vers les pays voisins plutôt que vers l’Europe pour nos importations. Tout cela dépend avant tout de la volonté politique et de l’accompagnement par l’État de cette volonté politique.
Manuel Marchal (article publié dans Témoignages le 14 mars 2022)
Quotidien en ligne diffusé en presse-papier jusqu’en 2013 fondée en 1944 par le docteur Raymond Vergès
Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.