GILLES CAILLEAU, DIRECTEUR DU SÉCHOIR
Au lendemain du final du Leu Tempo Festival, nous avons rencontré Gilles Cailleau, directeur du Séchoir qui organise l’événement. Il nous a confié sa méthode pour attirer un public peu habitué à aller au spectacle.
Gilles Cailleau, Leu Tempo attire chaque année des dizaines de milliers de Réunionnais à Saint-Leu pour une grand messe culturelle…
Mais qu’est-ce que la culture ? La culture art du spectacle vivant ? La culture est tout ce qui n’est pas la nature. Mais un millième de la population, un cent millième peut-être, va voir un spectacle. Ce n’est pas une célébration, c’est une représentation, une délégation donnée à d’autres pour raconter des histoires. Ce ne sont pas ceux qui jouent, ceux qui dansent qui vont au spectacle ; autrefois tout le monde dansait, maintenant on va regarder. En France, on apprend le théâtre dans les cours de français alors qu’il n’y a nul besoin d’étudier la littérature pour s’exprimer sur une scène. Le spectateur, passif, vient voir un exploit, la mesure de l’extraordinaire. Ce sera la fin du commencement quant aura disparu cet esprit de compétition.
« Je n’aime pas nager»
Les politiques voudraient une culture accessible à tous, ils demandent pour cela que les spectacles soient joués dans les Hauts, dans les quartiers, au plus près des publics empêchés.
A propos de ces publics soit disant empêchés, c’est peut-être des gens qui ont autre chose à faire. Ils vont pique-niquer sur le bord de mer, regardent le foot, font du sport, jouent aux cartes, passent leurs vacances à Maurice, que sais-je encore. Qui suis-je pour leur dire qu’il faut aller au spectacle ? Pourquoi cette injonction ? Pourquoi ce devrait être obligatoire ? Personnellement je n’aime pas nager ; me dit-on tu dois aller à la piscine parce que c’est bien la natation ? Au lieu de demander « qu’est-ce qui vous empêche ? », si on propose une place gratuite en disant « ça devrait vous plaire », pourquoi vous n’y allez pas ? C’est à l’heure de l’apéro ? C’est cher ? C’est chiant ? Seuls un pour cent des gens répondent oui à ces deux dernières questions.
Pourquoi alors les politiques veulent-ils tellement que tout le monde aille au théâtre ?
Un ministre, à l’occasion des Printemps de la ruralité, a présenté le spectacle vivant comme « un rempart contre la barbarie et les idées d’extrême droite ». Mais ce sont leurs politiques coercitives qui provoquent la baisse de l’estime de soi, visent à anéantir leurs envies de révolution ? Pour se donner bonne conscience ? On leur dit d’aller voir quelqu’un comme moi, un gars qui coûte très cher, et après « tu iras mieux », « tu vas sortir ta tête de l’eau par la culture. » Ils sont empêchés par qui ? Par les mêmes qui nous payent pour les désempêcher. La première chose à faire, c’est déconstruire cette injonction « va au spectacle ».
Missionnaires de « la vraie culture »
Comment faire alors, c’est quand même votre but d’amener de nouveaux publics devant les artistes?
Il faut donner de la considération. Il faut s’excuser d’occuper l’espace public avec nos scènes et nos gradins. Personnellement, à Marseille, j’allais habiter dans les quartiers Nord plusieurs semaines avant d’y jouer. A Ravine-Daniel aussi. Ce n’est pas qu’il ne s’y passe rien, c’est qu’on ne regarde pas les gens qui y habitent. Je suis contre les notions de « hors les murs » – c’est qu’il y a des murs -, de « décentralisation » – ils doivent être le centre quand on va chez eux -. Les politiques veulent du saupoudrage, que tout le monde soit servi. Il faut que, quand on vient, on s’engage à revenir ; sinon la personne se sentira déconsidérée. Quand on rencontre quelqu’un et qu’on ne rappelle jamais cette personne, c’est normal qu’elle se sente de peu d’importance. Qu’est-ce que c’est que cette mission civilisatrice ? Ces missionnaires de « la vraie culture » ? Le maire m’a dit un jour « vous ne faites rien pour les Créoles ». J’ai répondu « oui, c’est vrai, je le fais pour les gens ». Je ne fais pas un catalogue. Je ne fais pas les choses pour les vieux, ni pour les enfants, ni pour telle ou telle communauté. Je fais pour tout le monde.
Mais tout le monde ne va pas au spectacle.
Il faut donner envie, soigner le titre du spectacle, son affiche, ne pas faire comme si la rencontre allait de soi. J’ai expérimenté un système qui fonctionne : ne donner ni le lieu, ni l’horaire, et ne pas faire d’annonce sur les réseaux sociaux. Et mettre de la musique, c’est très important la musique. Comme ça, les gens du quartier qui ont vu que quelque chose se préparait, sortent de chez eux quand ils entendent la musique. Ils viennent voir. Mais si il y a déjà quatre cents personnes, les abonnés du Séchoir, massés devant la scène, et bien les gens du quartier passent, font le tour pour ne pas montrer qu’ils renoncent, et rentrent chez eux. Alors que si l’espace est libre, ils restent. Si vous voulez un nouveau public, perdez le vôtre.
Propos recueillis
par Philippe Nanpon
Artistes locaux ou artistes extérieurs ?
Parfois, on entend des critiques quand à la venue de spectacles extérieurs, aux dépends des artistes locaux, qu’en pensez-vous ?
Il faut déconstruire cette opposition artistes venus de l’extérieur versus artistes locaux attisée par les politiques quand ils en ont besoin. La question avant tout est de faire venir des artistes qui intéressent les gens, peu importe d’où ils viennent, tant que le traitement est le même pour tous les artistes. Saint-Leu est une ville clivante, les personnes qui viennent au spectacle sont des personnes ayant fait des études, c’est surtout cela qu’il faut retenir, au-delà de la question de la provenance des artistes.
A notre échelle, au Séchoir, il y a plus d’artistes d’ici que d’ailleurs, et ils sont tous traités pareil. L’intérêt de faire venir des gens extérieurs, ce sont les échanges, l’altérité. Si tu transposes cette question à l’alimentation, est ce que tu vas arrêter de faire venir du riz parce que ça ne vient pas de La Réunion? Si tu changes d’échelle, par exemple pour une ville, si tu proposes quelque chose à Saint-Paul, tu ne vas pas faire venir que des gens de Saint-Paul, ça n’a pas de sens.
Ce n’est pas non plus parce que tu es local que, de fait, tu as des droits à être programmé. On peut intéresser le public avec des artistes extérieurs, si on prend soin des gens d’ici.
Sarah Cortier
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Publics empêchés spectacles
C’est important de laisser l’accès au publics lors des spectacles. Publics empêchés sur Parallèle Sud.