SORAYA THOMAS
Quand les hommes marchent au pas, que se passe-t-il dans leurs têtes ? Avec «Les Jupes» Soraya Thomas s’est posé la question et elle y répond par la danse.
Il fait noir. Ils sont quatre, vêtus de noir, alignés en fond de scène, ils marchent au pas. « Les quatre fantastiques », dira Soraya Thomas à l’issue du spectacle. « J’ai pensé les quatre cavaliers de l’apocalypse », remarque notre voisin de gradin au même moment. Marche militaire ? Défilé de haute couture ? Le pas est uniforme, l’uniforme marque le pas dans le contrejour du stroboscope.
Uniformes et différents. Cheveux ras, barbus ou androgyne, les ongles peints, cheveux mi-longs mi-courts pour les autres, en chignon ou lâchés, mais bien ras au dessus des oreilles, féminins et masculins à la fois.
Soraya Thomas, la chorégraphe de cette pièce de danse contemporaine, Les Jupes, qui a réservé sa première au Leu Tempo festival, s’inquiète du retour du masculinisme ; si tu es un homme, alpha tu seras. « C’est inquiétant ce retour en arrière, dit-elle. Cette volonté du contrôle du genre… On peut être un hercule et très doux pour autant ; j’interroge aussi le rapport à l’autorité. »
Pour tout décor, des tables basses. Retournées à la verticale, un rai de leds éclaire la scène et change de couleur au gré des tableaux. Alignées, on dirait les barreaux d’une prison. Déplacées par les danseurs, de l’autre côté, elles sont miroir. Disposées à plat, une estrade. Superposées, une colonne, ou un chariot comme à l’hôpital…
La musique, d’Erick Lebeau, n’emprunte rien au séga. Le leader de Tricodpo (encore un vêtement masculin) a concocté pour l’occasion une bande son électro, tantôt rythmée tantôt planante, interrompue un moment par une sérénade de Mozart, d’abord orchestrale puis digitale, qui renvoie à l’univers d’Orange Mécanique, troquant le blanc des costumes de Kubrick contre du noir plutôt Mad Max. L’un tente une chanson, un autre un air d’harmonica.
Les corps se libèrent, tombent le manteau, s’affrontent et se rapprochent. S’embrassent ou pleurent. Une chevelure féminine, un corps massif, un autre grand et fin… Soraya Thomas se joue des archétypes. La joie, l’insoumission, « la danse est insoumise par définition. »
Philippe Nanpon