LITTERATURE
Comment définir, dans notre époque riche en changements sociétaux, ce qu’on a coutume d’appeler le « livre-jeunesse » ?
Paradoxalement, il est en général écrit et dessiné par des adultes. Et s’il fait la part belle au rêve et à l’aventure, son rôle premier consiste à accompagner l’évolution des enfants ou adolescents, à les orienter dans la morale de la société où ils vivent, voire selon l’idéologie ou la religion de leur pays.
S’amuser à réfléchir
L’enfant doit « s’amuser à réfléchir », comme disait le magazine « Pilote », dont les « boomers » se souviennent avec nostalgie. D’ailleurs, dans la plupart des périodiques pour marmailles, on retrouve ce mélange de savoir et de divertissement, que soit le journal de Mickey depuis trois quarts de siècle, ou les vieux Tintin de collection, et dans la presse jeunesse actuelle . Wapiti, Astrapi, Okapi, Science et vie junior, et toujours Bayard, Spirou et Picsou magazine…La liste est sans fin.
Si l’on remonte aux contes de Perrault, des récits horrifiques étaient présentés aux enfants : de la grand mère mangée par un loup jusqu’à la jeune fille empoisonnée par une sorcière, ou aux enfants perdus dans la forêt par leurs parents (bel exemple éducatif!) Mais c’est « La Belle et la Bête », écrit par une femme, Gabrielle-Suzanne Barbot de Villeneuve, (merci Google) qui m’a traumatisé bien plus que les super-héros de Marvel. Il n’empêche que dans les établissements scolaires, les enseignants peuvent lire Barbe Bleue, entre autres classiques tombés dans le domaine public, ce qui coûte peut-être moins cher à l’Etat que d’inviter des auteurs actuels. Et puis, Mortelle Adèle ou « Tom se fait du souci avec son zizi » ne font pas forcément l’unanimité. Surtout à la Réunion, encore très pudique. Pourtant, ne faudrait-il pas plus de profs comme celui du « Cercle des poètes disparus » ?
Je caricature, mais à peine. Alors, que faire ? Chaque marmaille est différent et les tranches d’âge ne donnent qu’une appréciation parfois trompeuse. On peut cependant noter que les lois sur les publications jeunesse sont plus ouvertes, (ou plus laxistes?) qu’autrefois. Par exemple, on admet plus d’ambiguïté dans les caractères et l’évolution des personnages, le méchant peut avoir des côtés sympathiques, les anti-héros sont nombreux. La frontière, c’est normal, reste l’ultra-violence et le sexe. Et bien sûr le racisme et les préjugés sociétaux.
Le programme officiel : « Telle est la voie ! »
Titillons un peu nos amis enseignants, sachant que leurs ministres se montrent la plupart du temps assez décevants, avec leurs réformes qui ne changent rien, ou alors en pire : ainsi le niveau de lecture, et par conséquent de grammaire et d’orthographe, n’arrête pas de baisser en France. Et puis il y a ce fichu programme que les profs sont tenus de respecter parce que « telle est la voie ». (Oui, j’ai même des références littéraires Star War, c’est vous dire le sérieux de cette rubrique.).
Le ministre de l’éducation Claude Allègre avait dit à propos des enseignants : « il faut dégraisser le mammouth ». Depuis, on a aussi dégraissé les connaissances des élèves.
Je sais, ce n’est pas simple de choisir entre tant de livres, d’albums, de magazines. Oui, il ne faut pas oublier les chefs d’oeuvre, de Robinson Crusoe au Petit Prince, de Jules Verne aux contes d’Andersen, mais bon sang, que tout ça est daté ! Il y a bientôt un siècle, ma maman lisait Bécassine. La génération suivante était déjà américanisée, mais nous avons survécu. J’étais premier en français grâce à toutes les BD invendues que mon père me ramenait des Messageries de la presse où il travaillait. Je dois mes modestes talents littéraires à Donald et à Pif le chien. Et je vous le dis sans honte : à l’adolescence Molière, le grand Molière m’ennuyait. A cause de la froideur des profs sans doute.
Ce bon vieux Spiderman
Chaque génération change. Le langage est différent, la morale même évolue, et les idéologies sont souvent remises en question. La loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse tente de faire la part des choses entre censure et liberté d’expression. C’est un sujet compliqué, surtout dans le monde de la BD. Et que dire de la position des parents, trop laxistes ou trop rigoureux, avec des enfants souvent très (trop?) au courant de choses qui « ne sont pas de leur âge » ? Avec les jeux vidéos, les séries télé par milliers, une vague indication de l’âge conseillé sur l’écran, sans parler des portables souvent accessibles aux plus jeunes, comment protéger les enfants ?
Prenons ce bon vieux Spiderman. Pour attirer un maximum de proies dans sa toile, ses créateurs produisent plusieurs séries différentes selon les âges : vous avez d’abord le dessin animé ou la BD Spiderman premier âge, avec des personnages à grosse tête et des bagarres de sucettes. Puis on passe aux 7 ans et plus, avec un autre dessin animé, mais déjà plus hard, et ainsi de suite jusqu’au Spiderman « ado », pour finir par des films carrément sombres et violents afin de satisfaire aussi les adultes. C’est du commerce, c’est de l’addiction programmée. Et contre ça, que proposent les parents et les enseignants ? Je n’ai rien contre les animaux qui parlent, de La Fontaine à Disney , ils permettent souvent de faire comprendre aux enfants des notions d’écologie, de tolérance, etc. Et si les références sont locales, ç’est encore mieux, Mais tient-on compte de l’évolution intellectuelle des enfants devant toute l’avalanche d’infos dont ils disposent, réelles ou fakes ? Les choix de livres jeunesse n’est-il pas parfois obsolète ? Faut-il toujours infantiliser les enfants ?
Le livre jeunesse local : complément du livre officiel
Dès que les marmailles savent à peu près lire, ne faudrait-il pas devenir plus concret dans la description des problèmes d’environnement, de société, de sciences , afin que les livres locaux constituent le complément des livres « officiels » imposés par le Ministre ? Un vrai complément à la fois enrichissant et ludique.
Pour les plus grands, des auteurs et autrices écrivent de la fantasy ou de la romance « young adult ». Mais un ado aura du mal à dépasser la centième page. Il préfèrera la BD ou le manga. Aux auteurs de s’interroger : pourquoi ça a marché avec Harry Potter et pas avec moi ?
Car les faits sont têtus : les jeunes lisent de moins en moins, où alors avec beaucoup d’images, et un maximum de bagarres. Belle réussite de l’Education nationale !
Pour ramener les jeunes au livre, et de préférence au bon vieux livre papier, il faudrait donc des livres moins épais, moins longs à lire, et en conséquence moins chers. Livre papier, car je veux pouvoir saisir l’objet que jai créé. Et comme lecteur, cet objet ne disparaît pas quand jen ai fini la lecture. Je suppose qu’un musicien, une chanteuse, auront aussi plus de plaisir à caresser une belle pochette de CD, et imaginez un peintre qui ne créerait ses œuvres que sur écran, photocopiables à l’infini ? Mais trêve de philosophie de comptoir (des Indes), je reviendrai bientôt sur les livres jeunesse de la Réunion, et sur les moyens de les promouvoir.
Alain Bled