DEUXIÈME PARTIE
J’ai profité du récent salon du livre à St-Paul pour poser à quelques auteurs et éditeurs une question banale, mais essentielle : « Pourquoi écrivez-vous ?», suivie d’une autre interrogation : « Comment voyez-vous l’évolution du livre local dans les années à venir ?»
Pourquoi écrire… et pour qui ?
Mon premier interlocuteur, Arnold Jaccoud, écrivain-éditeur-psychosociologue, connu pour donner la parole à ceux qui ne l’ont pas, m’a fait une réponse non dénuée d’humour : « j’écris pour faire parler de moi, et ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs ». Naturellement, connaissant l’altruisme du bonhomme, je ne crois pas un mot à sa réponse ! Mais tous me diront-ils la vérité ?
A propos de gens qui contribuent à sortir de l’ombre des talents méconnus, Alain Gili est passé au salon en coup de vent. Si vite que je n’ai pas eu le temps de lui poser la question ! mais il est connu pour avoir consacré une bonne partie de sa vie à la Réunion, animant l’association des écrivains réunionnais, puis le festival du cinéma d’Afrique et des Iles. Une part d’ego, comme tout écrivain, mais avant tout au service des autres. Il écrivait et éditait de façon militante, pour transmettre une certaine culture de l’île, souvent méprisée par les médias dans les années Debré.
En ce qui concerne Axel Gauvin, présent sur le stand de Lofis la lang kréol, on sait pourquoi il écrit depuis son premier ouvrage: pour défendre la culture réunionnaise et la langue créole. Un pilier de la littérature locale, avec quelques autres « zarboutans » des années 70 qui ont réveillé les consciences.
Marie-Danielle Merca possède aussi la vocation de transmettre. Choquée par le taux d’illettrisme à la Réunion, elle a fondé voilà bientôt dix ans « La Plume et le Parchemin » ; en grande partie consacrée à la littérature fantastique, pour enfants, jeunes ou adultes, comme une mission, un moyen de ramener les jeunes à la lecture.
L’un de ses nouveaux auteurs écrit sous le pseudo de S.C. Walters, trouvant son vrai patronyme trop banal. A noter que cette petite entorse de l’auteur lui-même sur son ego — ils en ont tous un, moi le premier — démontre que l’écriture n’est pas forcément un moyen de se dévoiler. Pour S.C. Walters, c’est une passion qui a débuté quand il a lu son premier Stephen King à…8 ans ! Plus tard, il a réalisé une série littéraire sur Internet, de l’auto-édition sur Amazon, et il vient de signer sa première publication papier chez La Plume et le Parchemin.
A son avis, la version papier des ouvrages ne faiblit pas, et son lectorat du Net semble suivre.
Thérapie et libération de la parole
Pour Véronique Mousillat, l’écriture est une thérapie. Elle raconte d’ailleurs dans « Réversibilité » les violences morales qu’elle a subies dans un établissement hospitalier. De plus en plus d’auteurs, surtout des autrices, écrivent un livre comme une remède à leurs maux. « On ne pouvait pas, ou on n’osait pas parler » dit elle en substance. « L’écriture amène la parole, le livre éveille les consciences, il peut contribuer à changer les mentalités ». Et concernant l’évolution de la littérature, elle note d’ailleurs cette explosion de récits écrits par des femmes, le plus souvent pour dénoncer des violences. violences aussi dévoilées dans les ouvrages d’Isabelle Kichenin, Marie-Claude Barbin et bien d’autres, y compris des hommes. Ainsi Nicolas Puluhen raconte dans « Mon p’tit loup » le viol qu’il a subi. Dominique Gonthier dans « L’enfant jeté ». témoigne de cette même volonté d’écriture libératrice, présente aussi chez Peggy Loup-Garbal à travers « les Vengeresses », ou elle venge les autistes, Les romans introspectifs prennent donc de l’ampleur depuis quelques années, chez toutes les auteurs et surtout autrices ayant connu des moments dramatiques, misère ou harcèlement. Et n’oublions pas les témoignages d’enfants de la Creuse, comme Jean-Jacques Martial.
Littérature locale : les femmes prennent le pouvoir
A la Réunion, les autrices et illustratrices, mais aussi les éditrices, semblent à présent plus nombreuses que les hommes. De même pour les blogueuses et présentatrices . Je demande à Coulsoum Le Liboux, animatrice d’une émission littéraire sur télé Kréol, pourquoi elle aime inviter des auteurs : « Dans ma famille, j’étais la seule à lire, et à présent j’aimerais que les autres découvrent la lecture. J’ai confiance dans l’avenir du livre car ils sont de plus en plus nombreux et variés, et même si tous ne se vendent pas bien, les salons se multiplient et on peut s’exprimer. Mais en tant qu’enseignante, je m’inquiète un peu pour les lycéens qui abusent parfois de Chat GPT. »
Les autrices ne se contentent pas de dépasser les auteurs : elles publient des ouvrages exlusivement écrits par des femmes, ainsi le magazine « Famzine » de Julie Legrand, ou encore le recueil collectif « Belles éparses » chez Orphie. Le but est bien sûr d’offrir au lecteurs comme aux lectrices diverses expressions du féminisme, mais sans rejet des hommes : d’ailleurs on retrouve souvent les mêmes autrices dans la revue de nouvelles Kanyar, qui perpétue avec Agnès Antoir et Emmanuel Genvrin l’esprit de qualité littéraire, insufflé par son créateur André Pangrani, parti trop tôt.
Poésie et défense de la culture locale
Mari Sizay s’est rapidement fait un nom dans le petit monde de la poésie et des fonnkèr. Elle fabrique artisanalement à la main chaque plaquette de ses poèmes. Et sa motivation d’écriture est tout aussi poétique : « Mi ékri akoz mwin la gaign’ un kado ». Elle préfère le mot « cadeau » au mot « don », car ce cadeau explique-t-elle, ce sont des artistes comme Danyel Waro qui lui ont donné.
Elle ne s’inquiète pas de l’avenir des livres. « Nous ne sommes que de passage » note-t-elle.
Angélique Cadet, autre jeune autrice, libère une partie d’elle-même à travers ses personnages issus d’un univers fantastique. On retrouve là- aussi la thérapie par l’écriture. L’ego se met au service des autres à qui on offre ses propres expériences de vie. Ces autrices disent au lecteur : « Vous n’êtes pas seul(e)s.»
D’une autre génération, qui aime aussi les contes et récits fantastiques : Joëlle Brethes écrit depuis des décennies. « Pourquoi j’écris ? Parce que je ne sais rien faire d’autre ! » dit-elle malicieusement.
Ce qui est bien sûr un mensonge éhonté, : elle a été prof de lettres… comme beaucoup d’écrivains locaux d’ailleurs; prof ou journaliste, les deux métiers les plus répandus en littérature semble-t-il.
« L’évolution du livre ne me fait pas peur » affirme-t-elle. « par exemple la poésie est adaptable en slam, un genre que je pratique souvent ».
Ainsi, Matthieu Vaytilingom slame ses poèmes ; ce fonnkezer a vu son recueil de poésie édité par l’UDIR. (voir notre article récent). Il s’interroge : « Est-ce moi qui ait choisi l’écriture, ou l’écriture qui m’a choisi ? ». Auteur engagé, il estime que malgré une démocratisation de l’écriture de la langue créole, il y a toujours un filtrage de la presse.
Anne Nayagom est une jeune autrice à suivre, qui dit écrire pour s’évader. En fait son écriture va beaucoup plus loin. Son premier ouvrage était un hommage à son frère décédé tragiquement. Elle se méfie un peu de l’I.A, tout comme Johny Lebon, qui écrit d’ailleurs pour dénoncer certains aspects négatif du progrès, à travers la vie traditionnelle d’un petit yab, et la saga de ses ancêtres, depuis le premier arrivé dans l’ile en 1708.
Richard Dijoux, de son côté, prépare un livre militant, «akoz sur les medias y donn’ pa mwin la parole ! ». Teddy Ifare-Angama est plus médiatisé, mais lui aussi veut faire passer des messages à travers ses chansons et ses livres. Défendre la culture locale, tout en rencontrant du public.
Ecrire, parce qu’on est vivant
Pour Albert Dégardin, scénariste de bandes dessinées, l’intelligence artificielle existe déjà depuis longtemps dans divers logiciels d’écriture, mais ses progrès doivent être surveillés, tout dépend de l’usage qu’on en fait : « La production de livres risque un nivellement par le bas. Les règles du marché, en particulier à la Réunion, pourrait détériorer peu à peu le côté artisanal des ouvrages, y compris la B.D. Ce n’est pas le nombre d’ouvrages qui nuit à la qualité, mais la manière dont on produit les livres. » Et à la question : Pourquoi écrivez-vous, il répond avec humour : « Parce que je suis vivant et que j’ai plein de choses à raconter. C’est mieux que dans les Ehpad où personne ne me lirait ! »
Selon Dominique Tellier, « la bonne littérature trouvera toujours son public ». Pour lui comme pour la plupart des autres,, écrire répond à un besoin.
Ce petit article n’a pas valeur de sondage : j’ai interrogé quelques personnes au hasard, et toutes auraient mérité qu’on leur pose des questions. Mais la variété de ces quelques réponses montre bien la diversité et l’originalité de nos plumes pays. Anne Cheynet , présente au salon, a déjà répondu dans notre article qui lui était consacré. D’autres portraits d’auteurs suivront, de quoi écrire pas mal de rubriques.
Et par la suite, on pourrait en faire un bouquin ?
Alain Bled
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Pourquoi écrire ?
Une question simple qui appelle des réponses intéressantes. Ecrire n’est pas neutre. Ainsi, écrire vient toujours de quelque part.