IMPRESSIONS MALGACHES
C’est comme une jolie vitrine. Tout est là, en place, pour envoyer du rêve. Les plages de sable blanc, la plongée avec les tortues qui broutent les algues et, à midi et demi, la caïpirinha à la main et la carangue au bout de la fourchette. Magnifique.
Là, on discute avec d’autres touristes, on s’échange les bons plans, un guide super, un hébergement impeccable, un lieu incontournable pour admirer tel animal insolite ou telle vue à couper le souffle. Et puis déjà, l’heure de repartir, à bord de bateaux à moteur type 150 CV, du genre de ceux qui sillonnent la mer Méditerranée.
C’est ce qui se passe pour bon nombre de touristes qui passent à Nosy Iranja, une toute petite île, de moins d’un kilomètre carré, reliée par un banc de sable à un deuxième îlot, située au sud-ouest de Nosy Be.
Mais il manque quelque chose. Je ne peux pas me contenter de ça. Je ne viens pas découvrir un territoire pour uniquement la beauté du paysage. Même si je peux comprendre que certains aient besoin de ce shoot de détente et de beauté, cette « fracture des yeux » qui déconnecte le mental et les préoccupations de la vie quotidienne, la fatigue aussi.
Organisation de petites fourmis
En restant 5 nuits à Nosy Iranja, je peux voir l’envers du décor. C’est toute une organisation de petites fourmis qui se met en place. Une heure avant l’arrivée des touristes, les bateaux transportant guides et cuisiniers malgaches débarquent les glacières remplies de poissons, langoustes, salades et boissons. Chacun a sa tâche et s’active pour que tout soit prêt. Lorsque les bateaux transportant Italiens et Français accostent, les longues tables sont dressées sur le sable.
Après le départ des étrangers, vers 15 heures, les femmes décrochent leurs broderies et rangent leurs stands de souvenirs. C’est la vie du village qui reprend son cours. Les jeunes hommes jouent au foot sur le terrain plat bordé de cabanes, imités par les petits garçons juste derrière. Les femmes pilent le riz, certaines reprennent leurs ouvrages de broderie assises à l’entrée de leur cabane. Menés par un jeune homme, des zébus rentrent de la forêt au village. Les odeurs de poissons frits se font rapidement sentir, certains préparent le repas devant leur cabane, allument le charbon dans le fatapera, le réchaud qu’ils utilisent tous. Les Malgaches de la région mangent tôt, vers 19 heures.
Les pêcheurs partent avant le lever du jour
Ils se lèvent aussi très tôt. Les pêcheurs partent en mer à bord de leur pirogue avant le lever du jour. Vers 5 ou 6 heures, des personnes balaient le sable pour en ramasser détritus et feuilles avant que la journée ne redémarre. Ainsi filent les jours à Nosy Iranja.
« Bonjour vazaha, des bonbons vazaha ». La petite fille me regarde avec des yeux qui brillent. Je ne peux m’extraire de ma condition : je suis une vazaha, une étrangère. Mon niveau de vie est largement supérieur à celui des Malgaches qui vivent là. Il faut en prendre la juste mesure, négocier dans la mesure du respectable, accepter que certains tentent leur chance pour se faire payer quelque chose, repérer les vrais liens qui se nouent avec les locaux des relations intéressées.
Je ne peux m’empêcher de ressentir un malaise dans ce décalage ostentatoire de richesse. A voir ces vazahas vivre leur meilleure vie, celle qu’ils ne pourraient pas mener dans leur pays d’origine. A payer les attentions et petits soins de guides, chauffeurs, jardiniers, cuisiniers, gardiens ou pour certains la compagnie de femmes beaucoup plus belles et beaucoup plus jeunes. Malaise dans la manière dont on s’adresse à moi avec beaucoup trop d’égards. Malaise à voir ces énormes villas construites littéralement dans la mer par des étrangers qui ne visitent même pas les petits villages attenants. Des villas construites à grandes coulées de béton quand les cases traditionnelles sont en bois et en feuilles de ravenale. Au-delà de leur argent, quel modèle de vie ces personnes amènent-elles dans ces territoires ?
Modèle du confort
Et puis il y a ce constat : à Madagascar aussi, amélioration du niveau de vie rime avec l’adoption d’un modèle jugé plus enviable, plus confortable, c’est-à-dire américain, européen. C’est un genre de mode de vie globalisé, que je retrouve à La Réunion, en France, en Italie, en Angleterre, en Australie, en Grèce, etc. On voit alors l’uniformisation des modes de vie, l’atténuation de la culture d’origine associée à la pauvreté passée. La perte de traditions, rites, etc. On cherche à effacer le souvenir de la misère, le souvenir de la souffrance, on se raconte une nouvelle histoire.
Quoi qu’il en soit, ce changement d’angle de vue est riche d’apprentissages, permet de relativiser nos colères, penser autrement nos relations sociales, nos manières de vivre, de travailler, de nous nourrir et de faire société. Finalement, au quotidien, on est très égocentré.
Jéromine Santo-Gammaire