ILET CERNOT chemin Charrette Mafate

[Mafate] Le minuscule îlet de chemin Charrette

KOUR ET KAZ — ÉPISODE 8


« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Sociologue, Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud depuis quelques semaines. Pour ce 8ème épisode, il nous amène au Chemin Charrette. Partons avec lui à la découverte de Madeleine CERNOT, Fabrice DUVAL et Eric CERNOT et de leurs projets de l’époque, en 2006…

En janvier 2006, l’équipe multidisciplinaire qui collabore à la Mission Patrimoine Mafate se réunit dans la perspective d’un soutien aux projets de développement qui concernent deux îlets périphériques de La Nouvelle : l’îlet (si on peut l’appeler ainsi) du chemin Charrette et l’îlet Cernot. Même famille, mêmes activités, histoire partagée, déplacements conjoints… Ensemble, ils constituent à mes yeux un exemple probant de l’approche de la kour, espace d’une tradition familiale de plusieurs décennies, illustration d’un patrimoine domestique à sauvegarder, qui regroupe et abrite les ressources développées par trois générations et qui ne peut simplement s’identifier à une vie de difficultés et de misère appelée tôt ou tard à disparaître.

ILET CERNOT chemin Charrette Mafate

L’équipe multidisciplinaire, c’est Geneviève PLANCHAT-BRAVAIS de l’APR, c’est Vanessa LACAILLE et Alexandra MERER du CAUE, c’est François BAZIN de la Chambre d’Agriculture, avec des participations périodiques : Stanislas ALAGUILLAUME du CAUE, Eric VELETCHY, Stéphanie GIRARDOT, Patrick CHEFSON de l’ONF, Jean-Pierre COLOMBAIN de la Maison de la Montagne… et moi-même Arnold JACCOUD du CAH. Ce dossier est terriblement incomplet. Il a fallu trier et choisir, donc considérablement éliminer. Tant de richesses risquent bien d’être enfouies à jamais… J’ai fait au mieux !

Dans son exploration des deux sites du Chemin Charrette et de l’ilet Cernot / Cimendal, notre équipe a tenté une application raisonnée de son approche systémique. La présentation qui en est faite tient compte des liens familiaux et de l’occupation historique qui lie de façon organiques ces deux espaces de vie et de production aussi bien économique qu’existentielle, culturelle et symbolique.

Dans la conjonction de nos actions et de nos conceptualisations, menées clairement en collaboration avec les habitants, premiers concernés, notre préoccupation a été de faire de notre travail l’exemple d’un avant-projet de développement intégré à Mafate.

L’îlet du chemin Charrette en 2006

ILET CERNOT chemin Charrette Mafate
La maison en face est en voie de reconstruction totale pour l’habitation familiale. La cuisine en paille est située tout à gauche sur la photo et on distingue l’alignement de vétiver.

Chemin Charrette, c’est le lieu-dit où vivent (et vivront) :

Madeleine CERNOT et Fabrice DUVAL avec un projet de production agricole

Eric CERNOT qui envisage un projet de bâtiment pour gîte

 Madeleine et Eric sont les enfants Cernot de l’îlet Cernot (Cerneau / Cimendal sur les cartes)

Un ensemble préservé et à préserver, situé à proximité d’une boucle du chemin de charrette au dessous de l’alambic de l’ancienne coopérative et de la case de Théodule Oreo ! Sans doute un témoignage assez rare de l’héritage, que l’on peut considérer significatif, d’une implantation traditionnelle au dehors des circuits touristiques destructeurs. Nous sommes en 2006 et les années qui suivent verront probablement de multiples transformations se présenter.

  • Mafate
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En 2006, le minuscule îlet de chemin Charrette constitue un ensemble homogène et cohérent : 

– Bâtiments, cour, plantations, élevage.

– Sentiers et accès

– Cultures et environnement

– Bâtiments « lontan » – Cuisine traditionnelle avec toit en vétiver

– Cour intérieur avec plantations florales

– Parc cochon traditionnel, ruches en planches (improprement appelées bombardes par tradition), cages zoizeaux, machine à géranium, anciens poulaillers transformés en habitations…

Michel Cernot, le patriarche, garde ici sa kaz an pay, une kwizin, dernier témoin d’un monde qui s’efface progressivement devant les projets envisagés • Apiculteur chevronné, il y a installé ses ruches dont il soigne les mouches à miel avec une vigilance sans défaut.

Dès 2006, les projets s’élaborent : ouverture d’un gîte, plantations de géranium et installation d’un alambic déjà amené sur la propriété, autres cultures lontan, etc…

L’ensemble des échanges, premières réalisations et évocations futures, illustre parfaitement les combinaisons intelligentes de l’endogène et de l’exogène. Fabrice, par exemple, est un « moun du dehors, » allié à une conjointe Mafataise à laquelle il apporte des possibilités neuves…

Il apparaît extrêmement souhaitable que les intervenants du Bureau Mafate aient la volonté d’investir ce lieu et de soutenir les projets envisagés par les habitants. Accès, emplacement, dispositions architecturales et paysagères, bâti existant et projeté, cultures environnantes, élevages, etc. tout concourt à faire de ce site un bijou promoteur du patrimoine. Les habitants sont loin d’y être insensibles. On est très loin de la dévastation infligée à La Nouvelle par défaillance de gestion de développement du territoire. 

L’exigence, l’encouragement soutenu, le partage d’expertise, etc. peuvent concourir à faire de l’îlet du Chemin Charrette un relais patrimonial important, articulé de façon organique au développement de l’îlet Cernot.

Lorsque Michel CERNOT (né en 1936 et décédé en avril 2008), désigne le paysage environnant, c’est surtout pour rappeler que, précédemment, tout ici était travaillé, cultivé, « propre ». Maïs, grains, géranium… Et que les envahissements de broussailles et de galaberts n’ont que progressivement illustré l’abandon par l’homme de sa gestion laborieuse du territoire. Il s‘attarde à montrer que du côté de la ravine Cimendal et du chemin Charrette proprement dit, on a planté en abondance des cryptomeria comme forêt de protection, bien plus que comme forêt de production. Sentiers et accès, cultures et environnement, à Mafate, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les transformations sont constantes et l’environnement se modèle selon les initiatives qui se succèdent au gré des générations.

L’occupation de cet espace est relativement récente sous sa forme actuelle. Sur la concession obtenue vers 1985 par Alix, son premier fils né en 1962 et malheureusement décédé, Michel Cernot a construit avec lui la totalité des bâtiments existants. Précédemment, il n’y avait ici que des cultures dont notamment le géranium. La case en paille, dernier vestige de l’époque qui m’intéresse particulièrement, est implantée au sein d’un ensemble homogène et cohérent : Bâtiments, cour, plantations, élevage.

Elle date de l’époque (entre 1985 et 1990). Eric, frère de défunt Alix, nouveau concessionnaire et promoteur d’un projet d’accueil de visiteurs, souhaite l’agrandir, la recouvrir à nouveau de paille et refaire la caisse avec un bardage de planche de bois (février 2007). Et bien sûr « faire cuire à manger » ! Pour lui, la nourriture « lé meyèr » avec le bois. Ce n’est pas une question de coût du gaz, affirme-t-il.

La conviction s’établit dans l’équipe que l’évolution ne va pas s’arrêter, même si elle ne transforme pas d’un coup l’espace habité. Les projets en cours, partagés de manière réaliste par les gens de l’îlet promettent des métamorphoses qui, sans trahir les héritages familiaux, sont appelées à refléter les conquêtes d’une modernité s’appuyant plus fortement sur le tourisme que sur des productions locales devenues la plupart du temps obsolètes.

En ce qui concerne les activités agricoles, l’objectif est de comprendre ce qui a conduit à la situation actuelle (inventaire), par un entretien sur les activités dans le passé (descriptif), et l’interrogation sur les motivations actuelles (soutenance de projet). En fonction des connaissances, et sous réserve de confirmation, des avis techniques pourront être notifiés.

Plusieurs points marquants sont à signaler :

• Projet de poules pondeuses à Chemin Charrette, présenté il y a déjà plus d’un an, très motivé, bien avancé dans son étude, validé en Comité Mafate, porté par Madeleine Cernot et son conjoint Fabrice Duval.

• Un rucher important (environ 20 ruches très actives), à Ch. Charrette, entretenu par Michel Cernot, technique traditionnelle.

• Un projet de jardin maraîcher et cressonnière porté par Fabrice Duval, peu de terrain disponible.

• Liaison avec La Nouvelle par Ch. Charrette, problème de proximité des poubelles.

• Liaison avec îlet Cernot (bas), par un sentier très pentu, de difficulté élevée (pour randonneur expérimenté), d’environ 2 kilomètres, la continuité paysagère n’est pas évidente.

L’élevage de poulets de chair a connu une bonne activité, puis sont survenues des difficultés de prix de vente et d’écoulement avec les gîteurs locaux. L’apiculture est très intéressante, le miel se vend bien sur La Nouvelle, ce qui a conduit Michel Cernot à se spécialiser dans cette production. Les autres cultures se situent en aval sur le chemin vers La Nouvelle, on y trouve tout sorte de productions vivrières, du maïs, ainsi qu’un alambic à géranium, témoin d’une époque de fabrication d’huile essentielle.

« Dan tan lontan », la question n’était pas tellement de produire. C’était de vendre. Il fallait transporter à dos d’homme les produits locaux jusqu’à Salazie, Cilaos, et toujours à pied : au Port, à Saint-Paul, et jusqu’à Saint-Denis.  Et ici, il n’y avait plus de sentiers aménagés pour les bœufs pano. Une fois vendue la production indigène, on remontait avec des balles de riz. Marie-Hélène Cernot nous rappellera que la balle pesait alors 80 kilos et qu’il lui arrivait d’en porter sur des centaines de mètres avec une de ses sœurs, alors qu’elles étaient à peine adolescentes…

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Le sentier de branles, à l’arrière de chez Fabrice

Le concept général est de mettre en œuvre, au service de ce développement raisonné, tout ce qui peut constituer un ensemble de « ressources et valeurs », matérielles et symboliques, qui vont se combiner, pour reconnaître à ces deux sites leur identité commune et permettre aux promoteurs de regrouper leurs capacités. 

Ces ressources et valeurs ne sont pas toujours immédiatement perceptibles ou connues. Elles doivent être repérées. Il faut aller les débusquer. Elles sont construites sur diverses démarches que l’on peut et que l’on doit croiser, et dont le dénombrement est multiple et variable : esthétiques, émotionnelles, historiques, économiques, socioculturelles, techniques, administratives, etc. On les décèlera dans l’investigation du paysage lointain et de l’environnement proche, de l’architecture des constructions présentes, des savoir-faire multiples des habitants et de leurs rêves, des productions agricoles, artisanales ou d’élevage, mais également des vestiges ou de l’actualité patrimoniale, de l’histoire de l’endroit, des souvenirs et des histoires portées par le site, des lieux de passage, des ravines et des sentiers, etc.

Toutes les démarches doivent faire constamment l’objet d’un échange confiant et d’une concertation avec les habitants. Ils vivent là pour plusieurs générations. La maîtrise de leur existence doit être profondément respectée. Nous ne faisons que passer ! 

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À côté de la « kaz papa », Eric prépare son projet d’accueil. Les rosiers exhalent le parfum des promesses de l’avenir !

L’implication individuelle et collective de la famille Cernot et alliés est réelle. Fabrice se démène pour aménager de façon remarquable et active sa concession, avec un sens des initiatives, propre aux éléments exogènes, déjà éprouvé dans les situations similaires. Les frères et la famille de Marie-Hélène (mari et enfants) ont entrepris le réaménagement des sentiers d’accès et le débroussaillage des sites où vivaient les parents décédés ou partis. Michel Cernot investit le projet de sa fille, l’aidera à reconstruire les cases en paille du site grand paternel, il promet son appui à Eric. La collaboration semble parfaitement envisageable entre tous.

De Charrette à Cernot

La pente vertigineuse du périlleux sentier qui relie directement l’îlet du Chemin Charrette à l’îlet Cernot aboutit dans une ravine dont l’aspect mystérieux comble les fantasmes les plus « tolkieniens » des fans de la Terre du Milieu…

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Une fois franchie la ravine, celle que, parce qu’on y voyait parfois une oie mâle, la famille appelle Ravine le Jars, (qui doit être un affluent de la Ravine Pêche), le sentier se stabilise et serpente jusqu’à l’îlet Cernot.

Mais l’impression pénétrante que dégage ce passage proprement féérique et fascinant demeure longuement dans l’imagerie cérébrale du visiteur…

Arnold Jaccoud

La semaine prochaine, le sentier d’Arnold Jaccoud nous conduira donc à l’îlet Cernot…

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