ÉPISODE 23 — KWIZIN AN PAY • CUISINES EN PAILLES
« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Pour ce 23e épisode, il présente les aménagements et mobiliers des cuisines traditionnelles telles qu’on pouvait les trouver en 2007.
« La cuisine est le centre privilégié de l’habitat créole; elle est toujours construite plus solidement que la maison principale.
Lorsque les paillotes sont transformées en maisons de bois sous tôle, on continue en milieu rural à couvrir la cuisine avec de la paille.
Twa d’vétivèr la kuizine lé pli rézistan ke twa d’tol la kaz »
Christian BARAT – LES PAILLOTES DE L’ÎLE DE LA RÉUNION – 1978
Les dimensions des cases en paille, ainsi que le mobilier qu’on peut y trouver sont objet d’interrogation. Bien entendu, ressources et aisance des habitants sont dans toutes les cultures du monde un indicateur significatif. Cependant, ainsi que le mentionne Paul Pandolfi (1998), les témoignages systématiques font souvent défaut, par suite de la disparition des « paillotes », du moins en ce qui concerne Salazie. Pour Mafate, on dispose heureusement de données directes, tant anciennes qu’actuelles.
Ainsi que cela a déjà été brièvement indiqué ailleurs, trois sources d’information sont disponibles.
1 – La première, historique, concerne les cases d’habitation qui abritaient l’ensemble de la famille et de son existence, et dont on ne trouve en ce début du 21ème siècle plus aucun exemplaire en usage, à ma connaissance à Mafate, même si certaines bâtisses en gardent encore les traces (par exemple chez Sylvio Thomas, à Bourse, héritier de la concession de défunt Albert Attache vers 2000).
2 – La seconde est relative aux cases encore quotidiennement utilisées aujourd’hui pour la cuisine, et qu’à Mafate on appelle tout simplement « cuisines en paille » – kwizine an pay. C’est celle qui fait l’objet de cette présentation. Et j’en présente ici une illustration significative : la cuisine de Jeanne-Marie Thomas.
3 – On n’omettra pas la troisième qui s’intéresse aux cases servant actuellement de magasin, de débarras ou de chambre d’amis.
Il faudrait inclure dans ces observations certaines bâtisses qui sont aujourd’hui recouvertes de tôle, mais qui ont été construites initialement avec une couverture létiver ou qui, directement équipées d’un toit de tôle, ont copié exactement le modèle couvert de paille.
De façon générale, la description de Pandolfi, évocatrice de la construction et de l’aménagement des cases de Salazie disparues, pourrait être appliquée pratiquement mot pour mot aux cases en pailles de Mafate d’aujourd’hui, encore utilisées pour la cuisine. Seuls quelques termes les distinguent : le terme de farfar est inusité; on parle de bankar (brancard), mais également parfois d’une étagère latérale posée également au-dessus du foyer et appelée sèseri (séchoir). Jamais encore cependant, excepté à La Nouvelle chez Bernard Bègue, je n’ai observé de fauteuil du gol. Dans aucune cuisine traditionnelle, je n’ai vu de table. De même, le terme de moulal n’est guère répandu.
Il semble bien que le « modèle malgache » de la case à deux pentes (kaz tapenak) se retrouve également dans sa disposition intérieure. On a depuis longtemps observé l’influence malgache du peuplement du cirque, à partir du marronnage. Cette probable influence qui a marqué -de façon devenue aujourd’hui inconsciente- la totalité des repères de l’existence collective, à commencer par la toponymie, s’est largement perpétuée au travers des décennies dans la vie domestique des Mafatais. On la retrouve aujourd’hui encore, non seulement dans la technique et le mode de construction des cases en paille (les différences concernant essentiellement les matériaux offerts par l’environnement local), mais encore dans l’organisation de leur espace intérieur.
Les pages suivantes présentent les aménagements, mobiliers, objets et ustensiles les plus fréquemment recensés dans les cuisines repérées, (inventaire que l’on pourrait ensuite étendre aux chambres et magasins, qui subsistent encore dans le cirque).
La solidité des cuisines en pailles et le sentiment de protection dans les intempéries
Dans le discours populaire, les cyclones semblent s’être ligués avec l’amélioration du niveau de vie pour produire une modernisation très progressive de l’habitat des populations démunies et la disparition des toits de vétiver.
Celui de janvier 1948, sans nom, avec des vents de 250 à 300 km/h. provoqua 165 morts – produisit des dégâts énormes, et une perte totale pour les cultures. Jenny, le 28 février 1962, dont les vents, déferlant à 260 km/h. détruisirent sur l’île 4000 maisons et laissèrent plus de 13000 sans abris. On peut compter également Gisèle en 1964 et Denise en 1966…
Dans les cirques, une fois la case emportée, on préféra généralement la reconstruire en bois ou si possible en tôle plutôt qu’en matériaux végétaux plus fragiles. Vogel (C. VOGEL (Sous la direction de) BE CABOT – Approche ethnologique d’un écosystème – Centre Universitaire de la Réunion – juillet 1980) l’expose en tout cas en ce qui concerne le cirque de Salazie, à la suite du cyclone Jenny en 1962. Si on en avait les moyens bien sûr. Et la tôle, on l’obtenait en déroulant et en martelant les fûts métalliques galvanisés qui arrivaient de « lot coté la mer« . Le coût de la tôle ondulée est demeuré longtemps dissuasif dans les Hauts et dans les cirques. ( La première tôle revêtue était de la tôle étamée, appelée encore fer-blanc et dont la naissance a précédé de plusieurs siècles celle de la galvanisation. Le brevet de la tôle ondulée galvanisée date de 1829.) ( On ne décèle pas, comme le note Pandolfi en p. 90 de son travail, de différences structurelles majeures entre kaz an pay et kaz an bwa sou tol. « Leurs différences tiennent pour l’essentiel aux matériaux utilisés pour leur construction et sont le résultat d’une évolution historique. Leurs points communs sont nombreux et les techniques de construction mises en œuvre très voisines. »)
Mais paradoxalement, tous les possesseurs de cuisines en paille de Mafate, sans exception, vont toujours chercher en plein cyclone la protection de leur construction ancienne. Solidité de l’implantation des poteaux, assemblages simples fermement cloutés, atténuation des bruits de la pluie et du vent sur la paille, les témoignages sont constants :
• Jean-Yves Thomas – Îlet à Bourse les Hauts (37 ans) : Kal in mezon avek point, e le solid, plu solid k ma mezon. Vreman sa in afer, pour in siklone, vreman an sekerite.
Une maison calée avec des pointes … elle est solide, elle est plus solide que ma maison. C’est vraiment une bonne chose dans un cyclone, on est vraiment en sécurité.
• Jean-Luc Cernot – La Nouvelle – (42 ans) : I sa va set ou wit an se meyer, meyer mèm pou siklone, tou sa le meyer pou siklone. Si ou le dan la caz an tol si i fe in ti kou de briz ou dire sa siklone le for deor. Si ou le dan in ti kaz an pay i fe ke ou antan pa riyin dedan.
Dan in ti caz an tol li souf li fe in pe desord par lo tol, ou la pis per ankor, tandisk ou na inti boukan paray, le pli meyer. Dann lo siklone, mi rest ater là mon tou sel mi dor isi andan .
Ça tient très bien 7 ou 8 ans, même en cas de cyclone, c’est mieux pendant le cyclone… Si tu te tiens dans la case en tôle, si il y a un petit coup de vent, tu te dis que le cyclone fait rage là dehors… Si tu es dans une petite case en paille, ça fait que tu n’entends rien à l’intérieur.
Dans une case en tôle, le vent agite la tôle, ça te fout encore plus la trouille, tandis que c’est bien mieux si tu as un petit boucan comme celui-ci. Pendant les cyclones, je reste là tout seul, je dors ici dedans.
• Barnabé Thomas – Îlet à Bourse (67 ans) : Kan y a un movè tan, la pliy i pé tombé for. I antan pa. I antan déor. Mais ici d’dan, i antan pa la pliy ».
Quand il fait mauvais temps, la pluie peut tomber fort ! On n’entend pas ! Dehors, on entend ! Mais ici dedans, on n’entend pas la pluie…
À propos du rouleau de son magasin, attaché aux deux chevrons extérieurs (bois d’olive rouge à gauche – gouyavié à droite), Barnabé :
« On attache le rouleau ansamb. Kan i fé siklone, siklone i lèv la pay an lèr. Mé kan sa lé pesé com sa, siklone lé in pé difficil a li pou met en lèr. »
« On attache le rouleau ensemble. Quand il y a un cyclone, il soulève la paille. Mais quand c’est attaché de cette façon, c’est difficile au cyclone de la soulever… »
Depuis 2005, je n’ai trouvé, bien entendu, aucune « case d’habitation familiale » qui ait conservé sa couverture de vétiver. Mais la tendance demeure vivace, de se réfugier dans sa cuisine en paille, lorsqu’elle existe encore, avec ses animaux (volailles) qui pourraient être emportés par les vents et noyés dans les intempéries
Un environnement caractérisé : Bourse, un îlet de tradition
Mon désir est d’abord de retourner un peu à Ilet à Bourse et à ce qu’était cette communauté de vie en 2007. L’îlet n’est peuplé que de Thomas. Tout au début des années 60, les quatre frères qui venaient des Orangers y ont installé leurs familles et n’en sont plus repartis.
En 2007, on trouve 9 cases couvertes de pailles à îlet à Bourse. Ici, on les nomme kaz an pay et jamais paillotes, qui est une appellation des bas ou de zorey ou de scientifiques. Sur les 9 cases, 6 sont utilisées comme cuisines de façon quotidienne ou épisodique. Trois servent alternativement de chambres et de magasins. Une de magasin exclusivement, après avoir abrité un couple pendant la construction de son habitation.
Ce patrimoine est vivant à plus d’un titre. On est totalement en dehors de la logique du musée. Les gens mènent leur existence quotidienne dans leur kaz, ils y font leur cuisine, y abritent leurs animaux, y déposent et entretiennent objets, lingerie, équipements et produits divers. Sensibilisés à la sauvegarde et à la promotion de leur socioculture traditionnelle, certains jeunes habitants se remettent à planter du vétiver (« létiver« ). Trois projets de structures d’accueil touristique comportent des couvertures de vétiver – 2 structures de bungalows et une boutique pour un camping. Deux nouvelles cases magasins sont également envisagées pour un usage personnel.
En février 2007, l’inventaire des cases offre un panorama bigarré présenté par ailleurs dans ces pages.
• Quoique basées sur un modèle relativement identique, les cases cuisines existantes ont des dimensions extrêmement variables. L’auto-construction, c’est la liberté alliée à l’adaptation :
• La plus ancienne est la cuisine de Georges Thomas, qu’on appelle toujours du nom de son ancien propriétaire « la caz à Adelaire » (Thomas également qui venait de Roche Plate, mais à Bourse, tout le monde porte ce patronyme !) est en même temps une des plus vastes. Il y vivait à demeure. Elle mesure 4,60 m. x 3,50 m. ( Adelaire Thomas, venu de ROCHE PLATE, était le frère de Barthélemy, toujours domicilié dans cet îlet et dont le petit nom gâté est Merlin.)
• La cuisine de Jeanne-Marie Thomas, à Bourse les Hauts, est présentée en détail dans ces pages. Ses dimensions sont de 5,30 m. x 3,30 m.
• Quatre cases magasins au moins, avec un lit pour accueillir la famille ou les amis, subsistent également sur l’Îlet.
• Le magasin – chambre d’ami de Jean-Yves (toit de vétiver) mesure 3,50 m. x 2,80 m.
• La chambre du garçon adulte de Barnabé et Jeanne-Marie (4,10 m. x 2,50 m.)
• La chambre magasin de Bernard derrière l’école (4,50 m. x 2,50 m.)
• La chambre parfaitement aménagée de Michel (3,70 m. x 2,70 m).
Ce qui demeure de l’aménagement et du mobilier de la kwizine traditionnelle (qu’on appelle parfois boucan)
Une cuisine d’îlet à Bourse • Chez Jeanne-Marie
J’ai toujours éprouvé des sentiments mélangés en me courbant sur le seuil des cuisines en pailles de Mafate. Entrer dans la cuisine, c’est pénétrer au cœur même de la vie familiale traditionnelle. Crainte de mettre les pieds où il ne faut pas, reconnaissance d’être accepté dans une familiarité sans complication dans cet espace caractéristique d’une vie domestique toute de sobriété, voire de vrai dénuement. Il n’y a pas que la hauteur limitée du linteau de la porte qui incite à s’incliner…
La première cuisine présentée ici est celle de Jeanne-Marie et Barnabé THOMAS à Îlet à Bourse.
Cette bâtisse, dont j’ai dit plus haut qu’elle a été reconstruite (vers 1970) après un déplacement dû au cyclone Jenny en 1962, fait l’objet d’un usage quotidien.
Elle dispose de deux entrées, de 50 cm. de large et de 1 m. 10 de haut, l’une sur le pignon et l’autre à l’arrière du côté adjacent à la case d’habitation. Elle mesure 5 m. 30 sur 3 m. 30. Sa hauteur à la faîtière est de 2 m. 30 et la sablière est à 1 m. 40.
* Le brancard (« bankar« ) recouvre la moitié de la cuisine, au-dessus du foyer (à droite sur le croquis)
La couverture du toit – S’abriter
Le toit de vétiver de cette cuisine, « cousu » sur des golet de gouyavié avec des fibres de kader, devra être bientôt réparé. Comme l’extérieur, l’intérieur exprime son âge aussi bien que la fréquence de son usage. Il est noir de goudron et luisant comme après avoir été passé au vernis. On appelle moulal, dans certaines régions, la suie mêlée de goudron qui se dépose ainsi sur les parois et l’intérieur de la toiture. Elle est le produit de la fumée qui prend possession de l’espace dès que le foyer est allumé et qui ne s’échappe que par les interstices de la couverture. Et c’est la réalité de chaque jour. Fumées et goudrons durcissent le bois et le vétiver et accroissent sa durée. Ils attaquent en revanche, dit-on, le métal des toits de tôle…
La teinte qu’a prise l’intérieur de la case, charpente et couverture de vétiver, est impressionnante, d’un noir luisant, comme si tout avait été verni. Les fumées ont coloré d’ébène cet espace, jour après jour, pendant des années et leur dépôt, ne se contentant pas de durcir les matériaux, leur octroie un aspect saisissant.
L’usage du toit : le boucanage des viandes
Frappant immédiatement le regard, suspendu aux chevrons, anecdotique et essentiel, le boucané d’andouilles – boukané zandouiy – fumé et protégé par les émanations du foyer. On a fait boucherie et il n’y a, traditionnellement, pas meilleure façon de conserver la charcuterie. De plus les prédateurs n’y ont guère accès. Le toit sert ainsi de garde-manger. De plus les prédateurs n’y ont guère accès. Parfois, le toit des cuisines constitue ainsi une incroyable réserve de nourriture suspendue et, selon la tradition, préservée par un boucanage qui dure plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
Le sol
Il a dû être cimenté après enrochement des poteaux. Mais très grossièrement. Et ça fait bien longtemps. Il est progressivement retourné à la terre battue. Les canetons qui sont élevés dans la cuisine jusqu’à maturité, pour leur éviter les affres de la saison des pluies (on est en février) ou les agressions des plus grosses bêtes de la basse-cour, achèvent de souiller de leurs déjections une large partie de l’espace.
L’aménagement – les espaces de rangement
À gauche de l’entrée côté case d’habitation, un cadre qui fait l’angle et va jusqu’au milieu de la paroi opposée. Bois rond ou demi-rond, assemblages rudimentaires, mais solidité assurée ! Sur le kad, des sacs d’engrais, de riz et d’autres dépôts. Une corbeille avec divers contenus. Tout au bout, sur un support plat, un des deux moulins à maïs.
Pratiquement toutes les cases cuisines comportent un kad plus ou moins analogue, dont la double fonction était, bien évidemment, de servir de dépôt pour les goni de riz et de grain, ainsi que divers outillages, généralement le moulin à maïs en roche piquée, mais également d’abriter, au-dessous, la volaille menacée d’être emportée ou exterminée pendant la saison cyclonique.
• Les propos en créole de Jeanne-Marie sont extraits d’une vidéo réalisé chez elle :
– Jeanne-Marie « … Paske kan lé ptit, lé oblizé mett ici d’dan pou fèr grossir paske lé gro i tape lé ptit… Mé kan la fini in ptit pé for, bin la mi mett deor. … Paske lé gro i an profitt, lé ankor tro tand. Dé fwa mimett kom sa, mi fé kontinué in ptit pé dan la kuisine e aprè mi mett deor, paske lé gro i assom, i tapp lé ptit, bin aprè dé fwa i tue, in… Mé aprè la kan li é in ptit pé for, mi mett a li deor. »
Parce que quand ils sont petits, on est obligé de les mettre ici dedans pour les faire grandir, parce que les gros, ils tapent les petits… Mais quand ils sont un peu plus forts, eh bien je les mets dehors… Parce que les gros, ils en profitent, ils sont encore trop tendres. Parfois je les mets comme ça, je les laisse quelque temps dans la cuisine et après je les sors… parce que les gros ils assomment, ils frappent les petits, et après parfois ils les tuent… hein… Mais ensuite là, quand ils sont un peu plus costauds, je les mets dehors… »
Entre les deux portes, un buffet – commode, fabriqué sur place. Jeanne-Marie y dispose les ingrédients servant à préparer le repas, le pilon et le kalou, divers ustensiles. L’ensemble est disjoint, mais il est sans conteste de l’époque de la reconstruction de la case, vers 1970. L’intérieur, en revanche, ne semble plus utilisé régulièrement. La vaisselle et les autres instruments domestiques se trouvent dans la case d’habitation adjacente.
S’asseoir
Sur le sol, la « cuisinière » peut s’asseoir autour du foyer sur un banc très bas, qui a été récupéré dans l’ancien gîte ONF.
Le bois est usagé, dur. Jeanne-Marie dit que c’est du filao. Le banc mesure à peine 12 cm. de hauteur. Sa longueur est de 2 m. et sa largeur de 18 cm. Même avec sa provenance particulière, cette pièce illustre parfaitement le principe des sièges bas dans les cuisines en paille sans cheminée, qui nécessite que l’on échappe à la fumée du foyer ouvert, planant à 1 m. du sol. Et d’une certaine manière, ce type de siège nous rappelle les civilisations anciennes, mais encore proches, où l’on vit toujours au ras du sol.
En face, à côté du buffet – commode, un autre banc pour une seule personne, fait de planches clouées, et tout aussi bas…
Le foyer
Le foyer est au centre, sous le bankar. Il est allumé pratiquement toute la journée dans la case.
– Jeanne-Marie : « i lèv gran matin. I allum le fé. I sof in pé la kwizin é aprè i commans a met la marmit o fé. I met in pé le grin pask le grin i fo met bonèr pou gaign manz pou midi. Bin i met le grin o fé e pi i met tout la zournée nout marmit su le fé, su le fwayé… »
« Je me lève grand matin. J’allume le feu. Je chauffe un peu la cuisine et ensuite je commence à mettre la marmite au feu. Je mets un peu de grain, parce que le grain, il faut le mettre tôt pour avoir à manger à midi. Et après avoir mis le grain au feu, je mets la marmite toute la journée sur le feu, sur le foyer… »
« Le gaz lé cher. I fo byin i serv in pe d’bwa de foré, pask i arrive pa, la distans il é… pou achté in bidon d’gaz. Alor nou on serv le gaz pou sof in pé d’café, in pé d’lait, si kelkin ariv… Le marmit, tou le marmit nou fé la… »
Le gaz est cher. Il faut bien qu’on utilise un peu de bois de forêt, parce qu’on peut pas… pour acheter un bidon de gaz, c’est loin… Alors nous on utilise le gaz pour chauffer un peu de café, un peu de lait, si quelqu’un arrive… De fait on utilise surtout les marmites…
« Kan le travay la fini, lo repa la fini, ben le fé lé toujours la. Le soir nou a recommans, l’apré midi in pé bonèr, nou recommans a prépar le repa d’le soir… »
Quand on a fini le travail et achevé le repas, le feu est toujours là. Le soir, on recommence…, assez tôt l’après-midi, on recommence pour préparer le repas du soir… »
Les marmites reposent sur deux barres de fer forgé, fixées sur deux pierres parallélépipédiques avec des agrafes métalliques. Le tout est supporté par une sorte d’âtre en béton d’une dizaine de centimètres de haut.
La cuisine est faite entièrement au feu de bois. Il doit donc être alimenté par du combustible que la famille, depuis toujours, va chercher dans la forêt. Prélèvement constant qui ne va pas sans problème, selon les dires des uns et des autres.
Pour la petite histoire
Le courrier envoyé le 17 octobre 1981 par le frère Albert Gimalac à l’évêque de La Réunion, mentionne déjà la besogne à laquelle étaient soumis, comme beaucoup, les marmay de Barnabé :
Monseigneur,
Je reviens de Mafate (Malheur, Bourse et Grand Place) Il faut que je vous traduise mon impression en passant à Îlet à Bourse et Grand Place très spécialement. J’ai vu les enfants, les parents, les familles. Je n’ai pas pris de photos; quiconque resterait pantois devant ces enfants assis là en file, indécis, frustrés, résignés, attitudes pénibles d’enfants désœuvrés… Oui ils sont allés à la corvée de bois; J’ai rencontré garçons et fille de Barnabé THOMAS, faisant leur provision de fagots dans la ravine, mais cela a duré deux heures de temps, ils sont revenus et ne savent plus à quoi vaquer…
– Barnabé : « Nou sa rod le bwa in ptit pé loin, mé com di bana na dé fwa i fatig pou alé rod sa…E la e dan l’fon la nena le bann filaos. Mi té oblige pran in camarad Aurère, mi paye a li. li pran tranconneuse pou coupé… par bout kom sa. Pi kan la fini, aprè mi ardi bann marmay fand ek la hache. Met a li o soley. Kan lé fini sec i dépos a li dan in kwin an lèr la kaz la o, kom sa ke li giny pa la pli. »
« On va chercher le bois assez loin, mais on se dit des fois que c’est plutôt fatiguant…
Par exemple là au fond il y a des filaos. J’étais obligé de me faire aider par un camarade d’Aurère et de le payer. Il utilise une tronçonneuse pour couper des morceaux de cette longueur… Quand il a fini, je demande à tous mes garçons de fendre le bois à la hache. Je le mets au soleil. Quand il a fini de sécher, on le dépose dans un coin de la case, en hauteur, pour qu’il soit à l’abri de la pluie. »
« Lo gard… , avan sa na in gard, té ici. Mwin la domann ali, domann ali pou coupe in peu do bwa pou mwin, bwa filaos pou mwin, fe sec. Adi « Barnabé, le bwa le a zot, y pé coupé, in ! »… « e bin la mi domann pu le gard pou coupé, mwin ! » … « Aprè depuis ce tan la nou la pu domann domoun, na pu domann personne. Nou a beswin coupe le bois, nous rant dan la foré, nou coupe nout pé d’bwa. De toute fason, nous coupe nout pé de bwa, pou nou anservir pou le feu… in ! »
Le garde… avant, il y avait un garde forestier ici. Je lui demandais de pouvoir couper un peu de bois pour moi, du bois de filao, sec. Il m’a dit « Barnabé, le bois est à vous, tu peux couper selon tes besoins… » Eh bien moi, je ne demande plus au garde pour couper. » … « Ensuite, depuis ce temps-là, on n’a plus demandé à personne. On a besoin de couper du bois, on va dans la forêt, on coupe un peu de bois. De toute façon, on coupe notre bois pour l’utiliser pour le feu… hein ! »
« Pask ici an o le gaz é tèloman ser, alor nou lé pa capab dé aseté le gaz pou fèr cuir le repa in… I fo bien ni fé ek lo bwa é nou lé pa capab de fèr cuir le gaz avek le… aseté le gaz pour fèr le repa pasque… le swar le matin midi swar… i arriv pa, in… » … « T’vwa, cé pa bon du tou, pasqu’un bidon de gaz su le fé, i fé mèm pa une semaine pour li resanze. Kant li resirsi l’a pa le gaz, nou lé foutu… in ! » «
« Parce qu’ici en haut, le gaz est tellement cher, alors on peut pas acheter le gaz pour faire cuire les repas… Il faut bien qu’on fasse avec le bois… nous on peut pas faire cuire avec le gaz… acheter le gaz pour faire les repas, parce que… le soir, le matin, midi, le soir… on n’y arrive pas… hein ! » … « Tu vois, c’est pas bon du tout, parce qu’un bidon de gaz, ça fait même pas une semaine avant qu’on doive le changer. Quand il est vide, si on n’a pas le gaz, on est foutu… hein ! »
Protéger la nourriture – La fumée
La fumée s’échappe en permanence des portes et des interstices laissés entre la kès ater et la charpente. Ce n’est évidemment pas sans « raisons pratiques », même si, au premier abord, elle crée surtout un inconfort chronique pour qui se trouve dans la cuisine ou même à ses abords immédiats. Mais la question d’un canal d’évacuation des fumées ne se pose absolument pas…
Dans la charpente au-dessus du foyer, sont accrochés (comme signalé plus haut), les substances et les aliments qui ont besoin d’échapper aux prédateurs (viandes ou poissons à boucaner, semences à préserver…) Il convient d’ajouter à cette argumentation les avantages de la fumée pour la conservation et le durcissement de la couverture de vétiver, attestés par plusieurs interlocuteurs. Dans une cuisine, le vétiver dure 7 à 8 ans. Alors qu’il faut changer la paille des chambres et des magasins tous les 2 à 3 ans…
– Jeanne-Marie : « Dan lé cuizin en pay, « i gaign pa fèr le seminé », pasque si vou fèt le seminé dans la caz an pay, i fo fèr in trou è kan la pluy i tomb, sa coul. E tandi ki fo èn mézon spécial pour fèr le seminé. Si on a èn mézon an tol, i fé èn seminé sur le côté, mé dan la cuizin en paille, i gaign pa fèr le seminé… i fo én cuizin spécial, soi èn cuizin an tol… paske si tu perces un trou dans la cuizin en pay, i serv de rien, kan la pluy tomb, sa coul… » … « … Dan la cuizin an pay, i gaign pa fèr le seminé… N’a touzour boucané kom sa. Person nou la coupé de… Nou fé kom nout paran i élèv a nou. Nout paran i élèv a nou dan la cuizin an pay, dan la fumé. Ben nou la repran kom sa avec nou mèm personnel, pou suiv la tradision dé paran… kom tou l’moun… hein ! »
Dans les cuisines en paille, « on peut pas faire de cheminée », parce qu’il faudrait faire un trou et quand la pluie tombe, ça coule … Tandis qu’il faut une maison spéciale pour construire une cheminée. Si on a une maison en tôle, on construit une cheminée sur le côté, mais dans la cuisine en paille, on ne peut pas… Il faut une cuisine spéciale, ou bien une cuisine en tôle… parce que si tu perces un trou dans la cuisine en paille, ça sert à rien, quand la pluie tombe, ça coule… » … « …Dans la cuisine en paille, on peut pas construire de cheminée… On a toujours boucané comme ça. Personne ne nous a coupé de… Nous, on fait comme nos parents nous ont élevés. Nos parents nous ont élevés dans la cuisine en paille, dans la fumée. Hé bien nous, on ont fait la même chose comme ça tout seuls, pour suivre la tradition des parents… comme tout le monde, n’est-ce pas ! »
La tradition doit être sauvegardée. « On a toujours fait comme ça… » Les changements ne s’opèrent pas si facilement, la créativité n’est pas à l’ordre du jour, la manière de faire est structurée par la transmission familiale. Pourtant il y a de bonnes raisons que Jeanne-Marie n’évoque pas ! Des explications techniques s’ajoutent bien entendu à ses assertions :
• En climat tropical ou équatorial, un des problèmes qui a toujours préoccupé le monde rural et les agriculteurs en particulier, c’est la conservation des produits agricoles. Sans avoir acquis des connaissances techniques approfondies, les cultivateurs se sont toujours basés et se basent encore sur leurs expériences, se transmettant de père en fils les moyens de stockage et de protection découverts par leurs aïeux.
• Dans la mémoire collective, la tradition mafataise a utilisé de tout temps la conservation traditionnelle du maïs par stockage au-dessus du feu de cuisine, méthode répandue par ailleurs largement dans les pays du sud de la planète. En Afrique, notamment, ainsi qu’à Madagascar. Selon qu’ils attendent d’être passés au moulin et cuisinés, ou d’être plantés lors de la prochaine saison, les épis sont entassés sur le bankar ou attachés par deux et suspendus en fourche sur une golet au bord de la kès, à proximité du foyer. Ce sont naturellement les plus beaux épis qui serviront à la semence de l’année.
Le bankar – brancard
Chez Jeanne-Marie et Barnabé, sur le modèle de toutes les cuisines de Mafate, suspendu au-dessus du foyer, le bankar est précisément cet important rayonnage – magasin, qui occupe toute la largeur de la case, et sur lequel on met (ou on mettait) à sécher le maïs. Celui-ci est construit avec une barre de soutien en filao, alors que le lattis est fait de choca (soka ou kader) dont on a enlevé la mie (pulpe) et qui a durci au feu.
On trouve ailleurs des bankar plus fournis selon l’époque de l’année, les produits encore cultivés sur labitasion ou le mode d’alimentation des concessionnaires ! Ici à Marla, chez Giroday et Paulina Hoareau :
Chez Claude et Céline Libel, à Malheur les Hauts, le bankar est construit avec des golet de gouyavié. La récolte a été suffisamment abondante.
Chez Expédit et Yolande Hoareau, à Marla, le bankar est fait d’un cadre de bois industriel et de planches.
Et partout, la réserve de maïs est mise à sécher selon cette méthode de tradition, avant qu’il soit moulu.
La semence de maïs
Si le maïs de consommation est conservé, entassé sur le bankar, les épis de maïs suspendus en fourche et soigneusement alignés sont destinés aux semences de l’année suivante.
Du côté de la porte sous le tapenak, derrière Jeanne-Marie, sa réserve de semences. Sur le cliché ci-dessus, comme dans d’autres cuisines, des bottes d’ail à planter l’accompagnent. À côté du banc, on remarque le kalumé –tangol en tamoul- posé au milieu des bûches de bois et qui sert à attiser le feu sous l’effet du souffle de l’utilisatrice.
– Jeanne-Marie : « Bin sa sé le bidon kan i amass la semans dedan… la semans maï pou planté. Kan sa laba la fini sec, nou sa plant sa. Kan sa laba la fini sec mi regad parey, mi remé dan lo bidon la. Mi mett in ptit pé pétrol, in ptit pé lessanc d’dan pou conserv lo grin… pou conservé la semans, o mouin i pik pa. Pask si i lès lontan déor kom sa la, lo pti… kom in zanr ptit… laï i fè dir an nich, kom in ptit seniy d’dan, i pik lo maïs.
Ben, ça c’est le bidon pour conserver la semence… la semence de maïs pour planter. Quand il a fini de sécher, on le plante. De même, quand (les épis sont) secs, j’en remets dans le bidon… J’ajoute un petit peu de pétrole, un petit peu d’essence dedans, pour conserver le grain… pour conserver la semence… au moins elle n’est pas piquée. Parce que si on la laisse dehors longtemps comme ça, le petit… comme un genre de petit papillon… comme une petite chenille dedans… il vient piquer le maïs.
« Le p’ti laï, lé kom in ton ki sort déor. Y vient d’déor. Mé in moman d’tan is’met an ptit chenille. Y vyin an p’ti laï. Cé lui ki pik le maï… » … « Nou mett d’la fumé, mais sa i défand pas zot ! I défand pas zot in ! … i fé zot travay in, mi vé dir, … i vyin mèm kan mèm… »
« Le p’ti laï », c’est comme un taon qui vient de dehors. Mais au bout d’un moment il se transforme en petite chenille. Ensuite ça devient un petit papillon… C’est lui qui pique le maïs… » … « On a beau l’enfumer, ça protège rien… Il agit quand même, je veux dire… il y va comme si de rien n’était ! »
« Lo grin a lèr si ou mett pa in afèr dedan dé fwa kan ou vyin amass, si ou mett pa in afèr pour tué le bèbèt, bin kanb ou kalkul lo… lo grin lé ankor bon, bin la fini tou piké. » … « Kekfwa, mi sa mett in pti pé d’pétrol ou soi in pti pé de baygon. Mi mett dedan pou dé mwa si néna in pti bébèt dedan, mi gaign fèr tué é aprè la semans lé bon. »
« Le grain à l’air, si tu mets rien dedans quand tu l’entasses, si tu mets rien pour éliminer les bébêtes, eh bien quand tu crois que… le grain est encore bon, eh bien à la fin il est tout piqué. » … « Parfois j’y mets un petit peu de pétrole ou bien un peu de Baygon. J’en mets dedans pendant deux mois, et s’il y a des insectes dedans, ils sont éliminés et ensuite la semence est bonne.
Les objets et ustensiles
Ici, comme dans la plupart des cuisines anciennes, ils sont véritablement en nombre extrêmement restreint.
Marmites – Les marmites et les mok propres sont placées à même le sol entre la droite de la porte et le buffet.
Les moulins à maïs (moulin maï). Celui installé sur son support est encore utilisé.
L’autre moulin, plus massif, plus monumental, posé à terre et entouré d’un imposant cerclage métallique, ne fait plus usage.
– Jeanne-Marie : « Dan l’tan lontan, nou té i gaign bokou maï, nou té i moul. Bin aprè Barnabé té i moul è moin té a vann. Mi tir la farine, do son pou zanimo, pou coson, é le maï fin moin té i tir pou nout manzé é le gro maï, moin té i mett an goni pou moul plu tar. E paske dé foi nou té i gaign tèleman maï min té obligé cassé an dé pou mett dan le goni, pou mett lé zot sul bankar. »
Dans le temps longtemps, on avait beaucoup de maïs, on avait beaucoup à moudre. Barnabé se mettait au moulin et moi à la vann. Je triais la farine, le son pour les animaux, pour les porcs, et je triais le maïs plus fin pour notre manger , et le gros maïs, je le mettais dans un sac pour le moudre plus tard. Et comme parfois on avait tellement de maïs, j’étais obligée de le répartir en deux pour en mettre une partie dans des sacs et le reste sur le bankar.
Mé dan s’tan la, l’arzent lété in pé kour… Mé en effé d’manzé nou l’avé. Selman cété pa de ri. De ri la nou té aseté sa par fantési. Alor i arriv in zour d’fèt, in repa d’ri fé plésir la famiy. Apré nou té i manz nout maï.
Mais à cette époque, il n’y avait pas beaucoup d’argent… on avait pourtant assez à manger. Seulement c’était pas du riz ! Le riz, on l’achetait pour se faire plaisir. Les jours de fête, un repas de riz, ça réjouissait toute la famille… Et après, ben on mangeait notre maïs …
… Bin bal maï an grin, gro maï alor, nou té i cas en dé, nou té a vann, nou té i tir le fin dedan e aprè kan fini té i tir le fin, i mett le gro dan in goni e nou té i tir la farinn pou lé cosson, la zèl…, la farinn ti son alor nou té i tir pour lé cosson, pour soinié lé cosson, pour angrès lé cosson avek.
Une balle de maïs en grain, du gros maïs je veux dire, on le cassait en deux, on le passait à la vann, on triait le plus fin, après quand on avait achevé de trier le plus fin, on mettait le gros dans un goni. Puis on triait la farine pour les cochons, les « ailes »…, la farine petit son, on la triait pour les cochons, pour les soigner et pour les engraisser…
Pilons et kalou
Le pilon en roche est posé sur le buffet au milieu d’un certain désordre de bouteilles et d’ustensiles, mais juste à côté, un pilon en bois, de 20 cm. x 20 cm., avec un manche ! Cet objet est original. Malheureusement sa matière, insuffisamment compacte, s’est fendue et a éclaté sous l’action du kalou. Sur Bourse, on en trouve d’autres identiques en bois d’olive.
Vouve
Transcription du malgache vovo, la vouve est une sorte de nasse, double panier de pêche conique, servant attraper les bichiques, partout ailleurs à la Réunion. Ici il sert à prendre les anguilles et les quelques poissons, que l’on trouve encore dans les eaux des rivières, souvent en braconnage.
Lo vann (usage régulier)
Lo vann’, c’est un ustensile ménager indispensable. Il sert à trier les grains, le riz ou le maïs. On en trouve dans toutes les cases.
A Mafate, les vann’ étaient traditionnellement fabriquées en bambou selon une technique à la fois simple et délicate ! Elles étaient d’une solidité à l’épreuve du temps et sans commune mesure avec celles en vacoa qu’on trouve sur les marchés forains.
On tronçonne le bambou nœud à nœud, ce qui déterminera son diamètre. On sépare les fibres au couteau ou au sabre à canne, en leur donnant l’aspect d’un brin plat, d’un centimètre de largeur approximativement. On tisse les brins, selon une procédure d’entrelacs complexe, identique à celle des bertels. Dernier tisseur de vann à Mafate, Michel CERNOT de l’îlet éponyme !
Le moulin à café à manivelle
La famille de Barnabé et de Jeanne-Marie est une grosse consommatrice de café. Ce moulin à manivelle a été associé, pendant longtemps à la torréfaction domestique du café vert produit sur place ou acheté (café grillé que Jeanne-Marie mélangeait souvent avec un succédané, l’indigo – Cassia occidentalis, qui pousse autour de la case).
Mais Jeanne-Marie en convient, il n’est plus guère utilisé. Il a été progressivement remplacé, même à Mafate, par l’électroménager ou alors directement par l’achat de café déjà moulu…
Jeanne-Marie et Barnabé Thomas sont des personnes accueillantes, qu’il est agréable et instructif de fréquenter. Leur savoir plonge ses racines dans les pratiques sociales populaires les plus anciennes de la Réunion.
Si les aménagements de la cuisine en paille esquissés dans ce chapitre paraissent anachroniques, hors de ce temps de début de 21ème siècle, ils reflètent explicitement les conditions de vie d’une époque où la population utilisait les possibilités auxquelles s’appliquaient des techniques dont elle disposait, si sommaires qu’elles puissent être :
Modes, techniques et outils de la construction de la case – Techniques de solidification et de longévité des matériaux – Architecture intérieure – Techniques d’aménagement et disposition des éléments mobiliers – Techniques de préparation des repas – Techniques de conservation et de protection des matières alimentaires, issues elles-mêmes des méthodes de l’agriculture et de l’élevage – Nature du foyer et du combustible – Usage de la fumée – Lutte contre les prédateurs – Protection contre les parasites – Confrontation à l’épreuve des cyclones… etc…
La recherche de plus de confort marque l’évolution normale de nos sociocultures, elle est la moindre des choses. Force est de constater qu’à Mafate en 2007, beaucoup de personnes de la génération des 60 – 80 ans, et même des plus jeunes, vivent encore dans l’environnement domestique esquissé ici. Non tellement du fait d’un choix autonome que de la soumission forcée à des conditions matérielles précaires.
On peut estimer nécessaire de sauvegarder la mémoire des vestiges du patrimoine culturel des temps révolus, et certainement pas d’y maintenir les gens par une sorte d’invitation pressante à une conservation problématique, contraire au respect qui leur est dû… Les objets culturels qui intéressent les chercheurs ou les aménageurs renvoient tous à l’époque de la misère et de la dévalorisante précarité, auxquelles ont tenté d’échapper de toutes leurs forces les habitants des îlets. Il n’est pas approprié de forcer l’attrait de ces vestiges : constructions et ustensiles, pratiques de vie, savoir faire artisanaux, productions et modes alimentaires… Leur sauvegarde est importante, mais il convient de le répéter : les habitants de Mafate entendent accéder, il va de soi, au monde d’aujourd’hui et en aucun cas être considérés comme les arriérés de la Réunion.
Arnold Jaccoud