EXPLORATIONS ARCHÉOLOGIQUES SUR « L’ANTHROPISATION DU CIRQUE DE MAFATE »
Pendant une vingtaine de mois, une équipe d’archéologues a exploré les îlets abandonnés du cirque de Mafate. Partout ils y ont décelé des vestiges d’occupation humaine, mais a priori pas de traces physiques du maronnage. L’enquête se poursuit.
Les pauvres du passé n’ont pas d’archives. Ils n’ont pas de photos non plus. Ils ne laissent pas de trace quand ils disparaissent. C’est la raison pour laquelle l’histoire du cirque de Mafate est si mal connue. De son peuplement, n’ont subsisté que quelques rapports rendus par les chasseurs de marons et plus tard, l’établissement des premières concessions.
Les récits qu’on se raconte de génération en génération sont censés combler les trous dans la mémoire collective. Faits vérifiés ou légendes ? Ils sont autant de questions prompts à aiguiser la curiosité.
Pour y répondre, les archéologues Jonhattan Vidal et Fanny Lachery se sont lancés dans une enquête au long cours : « mieux comprendre l’anthropisation du cirque ». Dès 2018 ils ont notamment été intrigués par l’histoire des anciens thermes, Fanny en avait entendu parler à l’occasion d’une intervention dans l’école de Roche-Plate et Jonhattan cherchait un moyen d’en retrouver la trace.
Archéobotaniste, Fanny retrace, grâce à des observations et des prélèvements de végétaux et de pollen, l’apparition d’une espèce exotique sur un lieu vierge. Ainsi, peut-elle déduire qui l’a introduite. Ses micro-découvertes sont autant de petits indices susceptibles d’aider à la reconstitution de l’histoire plus générale de l’arrivée et de l’implantation des premiers Mafatais.
Jonhattan Vidal a amené, quant à lui, dans sa panoplie de Sherlock Holmes, un outil beaucoup plus volumineux : le «LiDAR» pour « light détection and ranging ». Il porte ce programme de recherches autorisé par le l’État après un examen en commission scientifique et validation par le Service régional d’archéologie de la Direction des affaires culturelles de l’océan Indien.
Le relief modélisé en 3D avec une précision de 10 centimètres
Un survol du cirque en hélicoptère en 2014 a permis de « scanner » les lieux et de les modéliser en 3D. La maquette numérique ainsi obtenue fait apparaître les accidents du relief avec une précision de 10 centimètres. Même recouvert de végétation, le moindre muret devient détectable. Le rendu fait apparaître toutes les parties plates et une évidence s’impose : «De manière systématique, on constante que quand la pente est inférieure à 20 %, l’espace a été colonisé. Ces données sont confirmées par les récents travaux d’une étudiante en géomorphologie », explique Fanny Lachery.
Les détectives ont ainsi relevé les traces laissées par les différentes occupations humaines : des murs, des escaliers, des terrasses… Et même des chemins oubliés dont la fameuse « route coloniale » qui reliait les thermes de Mafate à Saint-Paul via un tracé abandonné suite à des éboulements massifs.
La première phase de prospection s’est déroulée devant les écrans d’ordinateurs et dans les archives. Le confinement de mars-avril-mai 2020 a obligé l’équipe à ronger son frein. Dès la fin des interdictions de circuler, ils se sont précipités sur les îlets oubliés, toujours en « hors piste », parfois à l’aide de cordes.
Fanny et Jonhattan étaient alors accompagnés d’agents du Parc national, parfois d’Andréa di Muro, géologue de l’observatoire volcanologique, équipé de sa caméra thermique, d’une étudiante en géomorphologie et même d’une équipe de production, qui réalise un documentaire sur leurs recherches.
Les explorations se sont étalées de mai 2020 à décembre dernier sur 17 sites répartis entre le Bras de Sainte-Suzane, Aurère, Îlet à Bourse, le plateau Picard, la Roche ancrée, la Rivière des Galets et Roche Plate. Il n’était alors pas question de fouiller quoi que ce soit au cours de ces prospections, cela pourra intervenir plus tard, dans le respect des règles de l’art, sur la base d’un nouveau projet scientifique et après autorisation de l’Etat.
Le maronnage absent des résultats
Que cherchaient-ils ? Des villages, des îlets perchés, des anciens espaces agricoles… « tout le monde à en tête la question du maronnage quand il s’agit des cirques de l’île, mais l’espoir d’en retrouver des traces est mince, explique Fanny Lachery. Une thèse a été menée sur le sujet de 2008 à 2016 par Anne-Laure Dijoux, qui n’a cependant pas trouvé de site de maronnage dans Mafate. Il y a de nombreuses raisons à cela, les marons laissaient peu de traces. Ils étaient très mobiles. Leurs constructions étaient en matériaux périssables. S’il en reste quelques traces, ce pourrait être les trous où auraient été plantés les poteaux qui soutenaient leurs abris. Quoi qu’il en soit le maronnage n’est pas l’unique sujet de nos recherches qui sont diachroniques, c’est à dire que l’on cherche à étudier l’histoire du cirque sur le temps long, à restituer l’évolution progressive de son peuplement ».
Les recherches de ces deux dernières années se sont évidemment appuyées sur les précédents travaux scientifiques. Notamment sur la toponymie, les origines malgaches des noms de lieux qui montrent comment le maronnage s’était installé dans les hauts et les cirques de l’île au tout début du peuplement.
Le programme de recherches se poursuit et une étape de restitution des résultats auprès des Mafatais est envisagée, elle permettrait des échanges pendant lesquels ils éclaireront de leurs connaissances empiriques les hypothèses soulevées.
Maffack, Mafatte, Mafate…
Que sait-on aujourd’hui ? Sur les premières cartes (1763), les différents cirques ne forment qu’un seul et même milieu appelé les Trois Salazes (référence aux massifs du Piton des Neiges et du Gros Mornes et non au Trois Salazes répertoriées désormais à l’est du col du Taïbit). Le nom de Mafatte, puis Mafate, apparaît bien plus tard.
On évoque l’histoire, ou la légende, du maron appelé Maffack tué par François Mussard dans les environs du Bronchard. Le rapport officiel de cette incursion date de 1751… La légende veut alors attribuer le nom du cirque à ce maron alors que bien d’autres hypothèses existent sur l’origine de la dénomination du cirque. A chercher des réponses, on soulève de nouvelles questions.
Les relevés du LiDAR, confortés par les observations sur le terrain, ont surtout mis à jour l’ampleur qu’a pu prendre le peuplement du cirque de Mafate : « Il y a eu beaucoup plus d’habitants que les 800 aujourd’hui recensés », remarque Fanny Lachery. En même temps que les marons, dès la fin du dix-huitième siècle, ceux qu’on appelle les « Petits Blancs », ont dû établir des concessions dans les hauts tant il n’y avait plus de terres exploitables sur le littoral.
Cette classe sociale déshéritée a occupé tous les plateaux vaguement cultivables. Mais une minorité de ces occupations est documentée. « Au début du vingtième siècle, les habitants de Mafate étaient très mal considérés. Ils étaient décrits comme des « indigènes vivant nus, dégénérés et consanguins dont il faudrait se méfier », explique l’archéobotaniste qui a examiné les fonds d’archives.
Les populations déplacées au gré de l’érosion
Elle a observé des vestiges de plantation sur chaque site colonisé : des manguiers, du café, des bibasses, du jamblon et même du pitaya. Mais aussi des plantes ornementales pour les jardins et des espèces « bornes » pour délimiter les enclos.
Dans les îlets désertés, les scientifiques ont relevé des escaliers et les soubassements en pierres des maisons. Les madriers et la charpente en bois ont été emportés par les habitants lors des déménagements ou ont disparu avec le temps. De tout temps, ces déplacements de populations trouvent leur origine dans la forte érosion qui a coupé des itinéraires d’accès ou emporté des zones habitables. L’autorité administrative — souvent en conflit avec les populations — imposait des déplacements en raison du risque d’éboulement et des difficultés d’accès. Depuis la départementalisation de 1946, tous les habitants ont été regroupés dans les îlets les plus stables.
Les Mafatais ne laissaient pas grand-chose derrière eux à chaque déplacement. Cependant les scientifiques ont récolté quelques objets abandonnés, notamment dans un espace « dépotoir » de l’un des îlets abandonnés. Dans le secteur du Bras Sainte-Suzanne, bien connu des braconniers d’anguilles, le plus ancien est un briquet à main (qui donne une étincelle quand on le frotte contre une pierre), datable du XVIIIe siècle qui a été retrouvé. Ailleurs, de nombreux fragments de céramique, pipes en terre, verres et objets du quotidien, datés du XIXe siècle, nous renseignent sur les modes de vie des habitants de ces sites aujourd’hui inaccessibles. En surface, ce sont aussi beaucoup d’objets de la première moitié du XXe siècle qui sont retrouvés.
L’histoire des thermes ensevelis
De tous les sites abandonnés explorés, un seul dispose d’une histoire bien documentée avec une lithographie de Roussin (1870) et même quelques photographies : « L’établissement thermal de Mafatte » est surtout le seul a avoir connu un véritable essor économique.
Quand est découverte en 1853 la source d’eau chaude sulfureuse de Mafate, deux Saint-Paulois, le médecin Millet-Fontarabie et le pharmacien, Grélot, se précipitent pour exploiter ce miracle de la nature. L’eau de Mafate, unique dans la région, promet de supplanter les eaux thermales de Hell-Bourg et de Cilaos, pour ses vertus curatives.
Soutenus par les pouvoirs publics ils ouvrent les thermes avec des bains. Ils font construire une voie d’accès qui remonte la Rivière des Galets. Elle est appelée « la route coloniale ». De riches curistes l’empruntent en chaise à porteur. Un village se développe. Le premier curé de Mafate y est affecté dans les années 1870. Les familles aisées de Saint-Paul y érigent des cases de « changement d’air ».
Le « gardien des eaux » s’appelle Gaston Bidel. Sa belle maison illustre une carte postale de l’époque. Les scientifiques en ont retrouvé les vestiges grâce à l’examen des relevés LiDAR puis à des expéditions sur place. Ils ont aussi pu repérer l’ampleur des éboulements et crues successifs qui ont détruit les thermes de Mafate. Le plus massif a eu lieu en 1913. Le coup de grâce est donné en 1930. Ce qui reste du village est démonté, c’est ainsi que la cloche de l’église de Mafate voyage jusqu’à Grand-Place Cayenne où elle se trouve toujours.
« Nous avons pu explorer le haut du village qui a été épargné par l’éboulement, raconte Fanny Lachery. Nous avons aussi retrouvé les soubassements des cases de l’époque. Nous pouvons aussi comparer le paysage actuel avec les quelques lithographies de Roussin et plus tard les photographies du site. On distingue bien le comblement de la rivière par l’éboulis. C’est toute une histoire tombée dans l’oubli. Notre travail consiste à mener l’enquête pour reconstituer cette histoire le plus précisément possible ».
Raconter aux habitants et aux promeneurs l’histoire oubliée de Mafate pourrait en effet être la suite la plus immédiate de ces dernières explorations archéologiques. Il sera plus difficile de faire rejaillir l’eau sulfureuse des thermes ensevelis car on sait par les archives que la source est aujourd’hui sous le niveau de la rivière.
Franck Cellier