Très suivi sur les réseaux, apprécié et parfois détesté, l’artiste Maloyab n’a pas son couplet dans la poche pour raconter la société réunionnaise. Son dernier clip dépose, en séga, le bilan du BQP (Bouquet Qualité Prix) censé lutter contre la vie chère, mais à l’origine, selon l’artiste, de discrimination sociale. Interview…
Comment définissez-vous ce morceau musicalement ?
Maloyab : Même si je fais beaucoup de maloya, je compose aussi du séga depuis longtemps. « BQP Vie chère » est un séga, bien rythmé, dansant, accessible. J’ai voulu faire une musique simple, facile à écouter, qui puisse toucher un large public. Même si le cœur n’est pas à la fête, parce que la chanson parle de la vie chère à La Réunion, j’ai choisi un style entraînant pour ne pas rebuter. Le morceau a été pensé pour dénoncer, mais sans exclure personne, je ne suis pas parti sur un clivage, disons de strates sociétales, parce que ça touche toute la population.
Pouvez-vous raconter comment s’est fabriqué ce dernier clip ?
On a commencé à travailler dessus il y a deux ans. Ce n’est pas une réaction d’actualité à chaud, mais un projet mûri, écrit avec mes musiciens. Tout a été fait en autoproduction. Je suis auteur, compositeur, interprète, réalisateur… c’est un gros boulot. Le tournage s’est fait avec des figurants bénévoles rencontrés via les réseaux sociaux. Ils m’ont fait confiance alors que l’humour du clip repose sur plusieurs niveaux de lecture. On a tourné à différents endroits, selon les disponibilités de chacun, pour enrichir le clip visuellement. Côté musique, j’ai retrouvé François Taïllamé à la basse (on n’avait pas joué ensemble depuis 30 ans du temps de Jupiter !), Idriss Ravate à la guitare, et SonJ à la batterie.
Vous considérez-vous comme un chanteur engagé ?
Oui, je suis un artiste engagé, un défenseur de la culture et des causes réunionnaises. Ce n’est pas une posture. Ça fait près de 20 ans que j’aborde dans mes chansons des thèmes sensibles comme la pollution, la malbouffe, la pédophilie, les espèces invasives ou encore l’errance animale. Je ne suis pas le seul artiste engagé de La Réunion, mais je suis probablement l’un des rares dont la majorité du répertoire est axée sur la sensibilisation et la conscientisation.
Qui sont les chanteurs engagés dont vous vous sentez le plus proche ?
Je respecte beaucoup Danyèl Waro, qui pousse aussi des coups de gueule. Il y a aussi Alex, un rappeur qui prend des positions fortes. Des artistes engagés, il y en a, mais on est peu nombreux à oser dire les choses frontalement, et régulièrement. Ça me bloque les porte parce que je dénonce la politique, parce que je dérange. Mais ça ne m’arrêtera pas. Je continuerai à dire ce que je pense, à ma manière. C’était aussi important pour moi de faire des images avec les Zazalé qui sont de bons dénonciateurs des injustices et des défenseurs de la cause réunionnaise.
Pourquoi avez-vous choisi le BQP comme thème de ton nouveau clip ?
Parce que pour moi, le BQP est une hypocrisie. C’est une pommade, un pansement. On nous fait croire qu’on agit contre la vie chère, mais en réalité les marges restent énormes, et les produits proposés sont parfois de mauvaise qualité, voire des invendus. Le clip met en scène un personnage, Monsieur Margouillat, en jaune et bleu, à la fois rebelle et contradictoire : il dénonce la société de consommation tout en ayant un pied dedans, il est friand de pâte à tartiner. On est tous contre la vie chère… Mais qui ose vraiment se couper du système ?
Vos engagements, parfois virulents, vous valent des réactions d’hostilité comment le vivez-vous ?
J’ai appris à faire avec. Kom do lo sur fèy sonj. J’ai reçu des insultes, des menaces, y compris de mort. J’ai dû porter plainte. Certaines personnes vont jusqu’à m’attaquer sur ma vie personnelle ou familiale. Je suis suivi par des milliers de personnes, et mes vidéos ont atteint jusqu’à 150 000 vues. Ça ne plaît pas à tout le monde, mais ça fait partie du jeu.
Comment envisagez-vous la suite ? Dans la politique ou la musique ?
Pas dans la politique en tant qu’élu. J’ai déjà figuré symboliquement sur des listes, derrière les indépendantistes Aniel Boyer puis Philippe Cadet mais je ne veux pas faire carrière là-dedans. Mon combat passe par la musique. Du point de vue artistique, une autre chanson est en préparation, un maloya cette fois, plus poétique et destiné aux mélomanes. Pas une chanson engagée.
Interview : Franck Cellier
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