La pratique de la gouvernance partagée s’ancre au fil des années. A La Réunion, nous disposons désormais de l’expérience et de l’expertise d’associations et d’acteurs de la transition qui l’ont mise en pratique. D’autres l’ont fait, alors pourquoi pas nous ? Ce 1er février 2025 s’est tenu au Verger de Mahavel à la Ravine-des-Cabris, le premier festival de la gouvernance partagée organisé par le Terreau, une branche de l’association Le Clan. Un événement qui a semé des graines robustes.
Les manguiers protègent les participants de la chaleur écrasante, alors que les médias indiquent que la tempête Faïda s’approche des côtes de la Réunion. Sous le chapiteau, une soixantaine de personnes en cercle écoutent attentivement le déroulé de la journée. Ce samedi 1er février marque le premier festival de la gouvernance partagée organisé par l’association Le Clan. Au Verger de Mahavel à la Ravine-des-Cabris, c’est une belle réunion d’acteurs de la transition qui s’annonce. Dans l’assemblée, déjà beaucoup de têtes me sont connues.
Rassemblés sous le chapiteau, se trouvent des bénévoles d’associations dans le social ou l’écologie qui souhaitent impulser une dynamique de gouvernance partagée dans leur structure, mais aussi des salariés proches du corps médical, du BTP, ou même des indépendants curieux… Ils sont venus d’un peu partout pour s’informer, trouver la manière de sensibiliser leurs collègues, découvrir des outils adaptés.
La gouvernance partagée, en quoi cela consiste réellement ? La journée commence par une définition commune. « Le pouvoir est partagé entre tous les membres du groupe. » L’holacratie, la sociocratie, sont différentes formes de gouvernance partagée. « Elle se construit avec le collectif, c’est vivant, ça évolue en permanence« , souligne Fabienne, une des organisatrices du Terreau. Le Terreau est une branche de l’association Le Clan, centrée sur le développement et l’application de la gouvernance partagée au sein des structures.
Des jeux pour la mise en pratique
« Le terme de « gouvernance partagée » est né avec l’Université du Nous en 2010. Un collectif s’est monté à La Réunion, il s’appelait à l’origine La Tribu, il rassemblait des gens qui avaient envie de réfléchir à de nouvelles formes de gouvernance. Certains d’entre eux sont retournés en France et on créé l’Université du Nous. On est nombreux à s’être formé avec eux, à La Réunion comme en France, c’est grâce à eux que le Clan s’est créé en 2018. »
Plutôt que de passer la journée à théoriser le concept qui s’apprécie davantage dans l’expérience, le noyau du Terreau a fait le choix intelligent et ludique de le mettre en pratique directement à travers des jeux, des ateliers. De quoi permettre aussi aux participants de se rencontrer et d’échanger.
« Il existe plein d’outils, mais les outils sans l’état d’esprit, ça ne mène pas très loin« , explique Fabienne. Pour cela, elle insiste sur le fait qu’il est important pour installer une base saine de gouvernance partagée, de « prendre soin du chemin et de la qualité des liens entre les humains qui font partie de la structure« . « Certaines nous sollicitent parfois pour intervenir quand c’est déjà un peu tard, elles se réveillent quand c’est déjà la crise, or là c’est plus de la médiation qui est nécessaire. En réalité, il faut poser les bases en amont. »
Passée la réserve des premiers échanges, les rires résonnent rapidement à travers le verger. A travers des ateliers (« oh non, on ne peut en choisir qu’un seul sur les quatre« , regrette une participante), les organisatrices brossent les tableaux des « 10 erreurs à éviter quand on se lance« , ou encore l’importance des « trois dimensions du pouvoir » (horizontale, verticale, en profondeur). Certains vont « expérimenter le pouvoir à travers le corps », d’autres déconstruire les stéréotypes sur le statut associatif… Savez-vous par exemple qu’il n’existe dans la loi aucune obligation d’identifier spécifiquement un président, un secrétaire et un trésorier ? Ce qui est nécessaire en revanche est pour une association de disposer d’au moins deux représentants légaux.
A chaque situation, son process le plus adapté. « La gouvernance partagée permet un gain de temps énorme dans les réunions« , soulève une des organisatrices du Terreau. Fabienne complète : « Les réunions sont efficaces, les actions ont été prises, ça ne part pas dans tous les sens. Mais surtout c’est apaisé, ça amène beaucoup de clarifications. Ca permet d’éviter le flou de qui fait quoi, ce qui peut amener des tensions. On définit ce qu’on décide ensemble et ce qu’on décide seul.«
« La méthode par consentement »
Il existe plusieurs modes de prise de décision, mais « la méthode par consentement est celle que nous privilégions car on voit qu’elle permet d’obtenir le plus d’adhésions« , précise Anne qui anime autour d’une table un jeu conçu par l’association pour expérimenter ces différentes méthodes.
La prise de décision par consentement repose sur l’absence d’opposition. La décision est validée lorsque le processus a permis de lever et de prendre en compte toute objection pertinente pour l’activité. La prise de décision par consentement ne nécessite pas que chacun soit profondément engagé pour la proposition débattue. Cela la distingue de la décision par consensus qui nécessite un engagement de chacun et parfois de longs et contraignants échanges pour y parvenir.
En plus d’améliorer l’efficacité des prises de décisions, les outils de la gouvernance partagée permettent également de faire davantage correspondre les ressources internes de la structure avec ses besoins et les membres qui la composent. Chacun trouve sa place et est responsabilisé dans ses tâches, ses « rôles« .
Une « fête de la défaite« , pour valoriser nos échecs et par là, nos apprentissages, clôture la journée. C’est touchant de voir ces président.e.s d’association, un par un se lancer au centre du cercle, avec la facilité de se trouver en dehors de leur structure et dans ce climat de confiance qu’a su instaurer Le Terreau.
La réussite de cette première édition ne fait pas de doute et appelle à une suite. « Il y a un pas qui vient d’être passé« , notes les organisatrices avec entrain. « Il y a un vrai engouement.«
Quelques principes de base de la gouvernance partagée expliqués par Fabienne
« Le pouvoir horizontal, avec les autres, au sein du cercle on a tous le même pouvoir, il n’y a pas un qui a plus que l’autre, de cette horizontalité on va définir de la verticalité, du pouvoir de, à travers des rôles, dans le but d’amener de la rapidité d’action, des périmètres d’autonomie et de liberté d’action. C’est pas tout horizontal, tout vertical, c’est un mix des deux, mais la verticalité est décidée collectivement. Le troisième pouvoir est le pouvoir du dedans, redonner du pouvoir intérieur aux individus. Si on a un rôle mais qu’on se sent pas souverain à prendre ses décisions, etc., le rôle ne va servir à rien. Donc c’est plutôt la dimension développement personnel, chaque individu évolue à travers le collectif. On navigue en permanence entre ces trois pouvoirs. »
« La tension est inhérente au collectif. La tension est l’écart entre la raison d’être du collectif et la réalité. Les tensions sont tout le temps là mais ce n’est pas quelque chose de négatif. Au contraire, de la tension ça permet de rectifier le tir et de bonifier. Parler des problèmes est au coeur de la gouvernance partagée. Arrêter de mettre les choses qui ne vont pas sous le tapis, mais s’outiller pour en parler correctement, et voir comment on s’améliore. »
Jéromine Santo-Gammaire
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