Née d’un parcours familial marqué par le rapport complexe à la langue, Mi Koz est une application réunionnaise qui entend faciliter l’apprentissage du créole, pour les enfants comme pour les adultes. Un projet à la croisée de l’intime, du culturel et du numérique.
Une langue longtemps vécue comme un frein
Comme de nombreuses aventures de la tech avant eux, c’est dans ce qui peut ressembler à un garage que je rencontre Jean-Sébastien et Béatrice Techer. Mais non, ce n’est pas Apple ou de Microsoft que l’on va parler. Mais plutôt d’une application locale, qui s’appelle Mi Koz et qui a pour objectif de favoriser l’apprentissage de la langue créole pour les marmay mais aussi pour ceux extérieurs à la culture réunionnaise en général.
Il faut dire que chacun a un rapport particulier avec sa langue et sa culture. Béatrice, elle, a grandi dans l’hexagone, en banlieue parisienne jusque’à ses treize ans et dès le plus jeune âge, elle a pris conscience du regard des autres et de la nécessité de « cacher son accent ». Cette crainte du déclassement, elle l’a ressenti aussi pour ses enfants, celle qu’ils n’arrivent pas à maîtriser le français. Pour Jean-Sébastien, l’école à La Réunion a toujours été compliqué. Bon élève, il a du mal à maîtriser l’orthographe et il en vient à se demander si « c’est peut-être parce que sa langue c’est le créole ».
Pourtant, tous les deux ont toujours baigner dans cette culture. Jean-Sébastien depuis toujours et Béatrice car même « là-bas », sa famille était toujours chez les amis de la communauté réunionnaise. Après leurs rencontres, ils réfléchissent à des projets pour mettre la culture créole en l’air et pensent à écrire ensemble des contes.
La rupture de la transmission au sein de la famille
En 2010, après un échec entrepreunarial, ils décident de partir pour l’Hexagone, en Bretagne et le quotidien, leur fait un peu oublier tous ces projets. Un jour, alors qu’ils discutent dans leur cuisine, leurs trois plus jeunes garçons, qui ont à l’époque entre trois et cinq ans, leur expliquent qu’ils ne comprennent rien à la langue que parlent leurs parents. Béatrice font en larme : « Je me suis rendu compte à ce moment-là, que depuis tout ce temps je contenais tout ce que j’étais. » Ils prennent alors conscience de l’importance de remettre leur langue et leur culture au centre de leurs priorités.
Un retour à La Réunion pour recréer un lien linguistique
Conscients du lien manquants pour leur enfant avec l’île, car seule leur première fille avait vécu ici jusqu’à ses dix ans, ils décident de revenir en 2020, juste avant le Covid. Les plus petits se retrouvent dans une école créole à Bois de Nèfles et apprennent la langue en immersion, non sans quelques difficultés.
C’est dans ce cheminement personnel, intime même, que Jean-Sébastien et Béatrice vont faire un rapprochement inattendu. Passionné par la culture coréenne, ils s’intéressent à l’histoire du Hangueul, l’alphabet coréen créé au XVe siècle.
Le Hangueul, un modèle d’écriture pensée pour l’oral
À l’époque, la langue coréenne s’écrivait à l’aide de caractères chinois, complexes et réservés à une élite lettrée et considérée comme un pouvoir colonial. Le Hangueul a été pensé pour rompre avec cette domination : un alphabet construit scientifiquement à partir des sons de la langue, simple à apprendre, accessible à tous et capable de refléter les variations de prononciation. Un outil d’émancipation, autant qu’un marqueur fort d’identité culturelle.
Pour Jean-Sébastien et Béatrice, le parallèle avec le créole réunionnais est évident. Langue profondément orale, riche de ses variations régionales et sociales, le créole souffre encore d’un rapport complexe à l’écrit. Sa graphie, récente et débattue, repose largement sur l’alphabet latin, hérité du français ou sur l’alphabet KWZ, et ne parvient pas toujours à rendre compte de la diversité des usages. À l’image du Hangueul, ils estiment qu’une réflexion plus large est nécessaire : partir de la langue telle qu’elle est réellement parlée, observer ses sons, ses variations, et penser l’écriture comme un outil inclusif, au service des locuteurs et non comme une norme figée.
Mi Koz, une application pour apprendre le créole autrement
De cette réflexion globale naît donc le projet Mi Koz, une application pensée comme un pont entre la langue, la culture et les générations. Destinée aussi bien aux marmay qu’aux adultes, aux Réunionnais comme à celles et ceux venus d’ailleurs, l’application a pour ambition de faciliter l’apprentissage du créole à travers une approche ludique et immersive. Jeux, répétition, écoute, podcasts, contes, devinettes (Kosa in shoz?) : Mi Koz met la langue en situation, dans ses usages quotidiens, loin d’une vision strictement scolaire et en adéquation avec l’usage toujours plus présent des smartphones.
Mais l’application va plus loin. Elle se veut également une plateforme collaborative, ouverte aux conteurs, artistes, musiciens et créateurs, afin de faire circuler des voix, des histoires et des savoirs en créole. À travers Mi Koz, Béatrice et Jean-Sébastien cherchent à leur échelle, à favoriser l’apprentissage du créole, mais aussi à lui redonner sa place pleine et entière : celle d’une langue vivante, partagée, capable de rassembler et de transmettre une culture à la fois locale et ouverte sur le monde. Une version bêta de l’application devrait bientôt être disponible pour les plus curieux.
Olivier Ceccaldi


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