ZAMROZA : NOUVEL ALBUM DE GRÈN SÉMÉ
Nous l’avons écouté une fois, puis deux, puis en boucle.
Il y a quelques années — déjà 6 ans — « Hors sol », le deuxième album de Grèn Sémé était tombé comme la foudre. Le troisième opus, Zamroza, a eu le même effet. On ferme les yeux et on voyage, dans le temps et l’espace, dans les univers métis et sonores de Carlo de Sacco et de sa bande.
C’en est même un peu déstabilisant. Au point que nous avons voulu comprendre le périple. Nous avons appelé Carlo et lui avons demandé d’écouter l’album avec lui… et qu’il raconte après chaque chanson comment elle s’est construite.
Donc, pour lire cette interview, il faut prendre le même chemin, écouter le morceau, puis lire ce qu’en dit son auteur et inerprète.
A quels saints : Comment est-ce compliqué d’osciller entre la spiritualité et l’érotisme ?
« À quels saints ? » aborde plusieurs réflexions. Ce morceau souligne tout d’abord l’idée que l’Homme est perdu spirituellement. Un peu comme il est perdu sexuellement. Sa vie est pour beaucoup, dictée par ses désirs, qui sont d’ailleurs souvent fabriqués. Il ne sait plus où donner de la tête. Il se donne au plus offrant. Il cherche peut être à l’extérieur, la lumière qu’il y a au plus profond de lui même.
J’ai écris ce texte au moment des attentats de Paris. Le fait que l’Homme soit déboussolé spirituellement, laisse la porte ouverte aux fanatismes de toutes sortes.
De plus, cette chanson questionne sur la place de la femme dans les religions, la place de la sexualité, de l’amour. Nous avons tendance à sexualiser les seins, les poitrines des femmes, alors que des hommes qui dansent torses nus, ne vont pas soulever autant de polémiques.
Dans quelle église avez-vous réalisé le clip ?
Nous avons tourné ce clip dans l’église de la chapelle pointue. C’est aussi une piste de réflexion. C’est quand même dans cette église que l’on trouve le tombeau de Madame Desbassayns, une esclavagiste notoire. Encore une réflexion qui émane de ce contre sens.
Nous sommes certainement tous esclaves de quelque chose. Esclaves de nos croyances quand elles sont imposées, esclaves de nos désirs, de nos métiers…
Poussière : D’où vient cette poussière qui retombe sur Pretoria et la terre Maloya ?
Ce texte vient d’un carnet de voyage que je tenais lors d’une tourné africaine. Le soir, j’écrivais ce que j’avais vu ou entendu lors de la journée. Cela changeait par ce fait, ma façon d’être à l’affut.
En Afrique, il y a comme une poussière chaude dans l’air, comme pour nous rappeler que nous sommes tous finalement fait de la même poussière d’étoiles. Partout nous avons les mêmes besoins fondamentaux, les mêmes peurs… avec en plus cette même uniformisation occidentale qui s’impose dans tous les secteurs.
Game over : Quand te rends tu comptes que tu as trop de ciel pour si peu d’aile ?
Cette chanson parle des situations de dissonances que l’on connaît tous. Parle du décalage entre ce qu’on devrait, ou aimerait faire, et ce que l’ont fait réellement. Comment peut-on connaître le dernier rapport du GIEC et continuer nos vies comme si de rien n’était. Je crois que l’homme tombe progressivement dans une forme de démence.
Trop de d’envie, trop de rêves, trop de devoirs pour si peu de capacité d’agir.
Bhopal : Qui parle à travers toi ?
La chanson « Bhopal » est née dans le bus de tournée en Inde. La mélodie et le texte sont venus rapidement et de façon simultanée.
Le décalage entre le sourire, la joie sur les visages de ces gens et leur histoire endeuillée par l’accident chimique de 1984 m’a frappé en plein cœur.
Il faut savoir qu’aujourd’hui encore des enfants naissent aveugles ou avec des malformations sérieuses alors que le directeur américain grandement responsable de cette catastrophe est décédé sans avoir été jugé pour ses crimes.
À travers l’histoire de cette femme qui nous raconte sa vie et nous donne un message de résilience, je parle des catastrophes chimiques et nucléaires qui nous menacent tous.
« Bhopal » sonne comme une mise en garde.
Tanbour : Pour qui sonne le tanbour ?
Cette chanson questionne mon propre Tanbour. Il prend la parole. Ses réponses se trouvent dans le texte. Les tambours sacrés d’origine tamouls, font partis de nos vies sur l’île de La Réunion, de nos imaginaires, que l’on soit de culture tamoule ou pas.
Catéchisme citoyen : De quelle église vient le prêche ? Question subsidiaire : quelle est la langue de l’introduction ?
Nous avions la volonté que ce morceau soit une indigestion. La même sensation que ce que le néolibéralisme, le capitalisme délibéré a sur nous.
Si vous ressentez l’envie de zapper sur le prochain morceau pendant l’écoute c’est que nous avons réussi notre coup.
Donner envie de changer de morceau comme on pourrait changer de paradigme.
Nous pouvons voir cette création comme une cérémonie d’enterrement du capitalisme.
La langue du début est de l’Élfique marsien ou du français renversé, comme vous voulez.
Désobéir : Quelles sont la 1ère et la 1000ème raison de désobéir ?
La première des raisons, c’est peut être que nous sommes entrés dans la 6ème extinction de masse des êtres vivants et que nos gouvernements ne cessent de nous parler de croissance et de reprise…
La dernière raison serait que c’est souvent la désobéissance qui apporte les progrès sociaux et humains. Nous devons peut être apprendre à désobéir comme l’on apprend à obéir.
La Marianne : Qui est cette Marianne ? Une pute ? Une statue ? La république ?
La Marianne est une analogie entre la république et une prostituée, obligée de travailler avec des Toxico-mythomanes.
Le trou dans mon armure : Quelle force t’apporte l’enfant ?
Cette chanson naît d’une phrase de ma mère. « Tu es le trou dans mon armure ». J’ai ressenti toute la profondeur de cette phrase lorsque je suis devenu père. L’enfant est notre pied d’argile, notre faille qui nous rend fragile.
Les enfants viennent nous donner beaucoup de leçons. Ils nous font travailler sur nous-mêmes. Nous pensons éduquer nos enfants mais nous oublions qu’ils le font en retour. Encore faut-il les laisser faire et accepter cette réalité.
Pour ma part, je tente de cultiver le regard de l’enfant. L’émerveillement spontané des choses et de la vie. La pureté des émotions…
Utopie : Quel vieux compte règles-tu avec l’école ?
Ah ! J’ai beaucoup de compte à régler avec l’école.
Au delà de mes histoires personnelles, si nous comprenons que la vision extractiviste de nos sociétés occidentales plonge les générations futures dans des défis insurmontables, nous devons accepter le fait que l’école doit changer.
Tout commence à l’école.
Heureusement que beaucoup d’enseignants travaillent à faire changer les mentalités. Mais soyons honnêtes, ils ne sont pas beaucoup aidés, ni par les conditions de travail, ni par les objectifs des programmes qui sont décalés des réalités ou obsolètes, sans parler du peu de temps qu’il nous reste pour agir.
Zamroza : Entend-on là un hommage, un clin d’oeil, à Firmin Viry ?
Non pas du tout. Le Zamroza est un peu la rose du maloya.
Cette chanson aborde les beautés qu’on ne voit pas, qu’on ne voit plus.
C’est également un peu une mise en garde, sur le fait que la culture, l’identité réunionnaise est aussi belle que fragile. Qu’il est important d’en prendre soin et d’avoir envie de l’explorer, de la faire vivre.
Daniel : Intriguant — surtout quand on voit le film — quelle lourde histoire se cache derrière la chanson douce ?
Le morceau aborde le thème du suicide.
J’ai écrit le texte et la mélodie assez rapidement sur la plage de l’Étang-Salé peu de temps après le suicide d’un ami de ma manageuse.
Ça m’a beaucoup touché car il ne semblait pas aller mal. C’est souvent le cas, les gens qui vont se suicider, ne préviennent pas.
Dans mon entourage proche, j’ai des exemples de personnes qui se sont accrochés à la vie jusqu’à leur dernier souffle. J’ai du mal à comprendre comment peut-ton en arriver là, perdre espoir. Choisir de couper le fil qui nous retient dans la ronde.
Pour moi un nouveau soleil brille chaque matin, malgré les douleurs de la veille.
Ce morceau combat un peu le feu par le feu. Il nous entoure de l’ambiance qui entoure quelqu’un qui va passer à l’acte, peut-être pour nous donner envie de ne pas succomber.
Échange : Franck Cellier