MUSIQUE ET CHANSON
René Lacaille ne veut pas mourir… Rare sur l’île, il sera en concerts pour fêter ses 70 ans de carrière samedi 14 au Théâtre Luc Donat, le 15 au Téat Plein Air de Saint-Gilles.
Un artiste très complet
René Lacaille est tombé dans la musique très tôt. Né dans une famille de musiciens, il n’a pas encore dix ans, lorsqu’il participe aux « bals la poussière » aux côtés de son père et de ses frères, d’abord à la batterie et à l’accordéon, avant de se mettre au saxophone et à la guitare. Chez les Lacaille, la musique est omniprésente. Ses enfants Oriane et Marco ont suivi les traces de papa et sont tous les deux des artistes reconnus. Autodidacte, c’est en métropole qu’il apprendra la trompette et suivra des cours de solfège. Musicien complet et éclectique, il est adepte d’un maloya plus « électrique » et monte à son retour à La Réunion plusieurs groupes (Ad Hoc, Caméléon, …) avant de retourner en métropole en 1979.
Il a côtoyé les plus grands
Danyel Waro est l’un de ses plus proches amis, ils ont d’ailleurs inauguré ensemble mercredi 12 l’Ecole Artistique Intercommunale de l’Ouest où deux salles portent leurs noms. Mais il a aussi joué avec Alain Peters, avec Henri Madoré qu’il considère comme le précurseur incontesté du séga, le « Brassens de la Réunion ») et avec un certain Luc Donat.
Installé en métropole (Paris), c’est dans les années 80 qu’il se remet réellement à l’accordéon. Les musiques sont d’inspirations diverses avec des influences à la fois venant d’Afrique, d’Amérique du Sud… Prix Charles Cros en 2010 (une référence), il a côtoyé les plus grands accordéonistes qui soient : Loeffler, Galliano, Macias, Gizavo, Peirani, Perrone, … Il sait à peu près tout jouer, du jazz au maloya, du blues au séga, et la voix est chaude, entraînante, chaleureuse, sensible. Pendant une répétition, devant les caméras de Réunion la 1ère, il interprète un célèbre texte d’Henri Madoré. Le chant et l’accordéon se marient à merveille. Moment suspendu, un peu magique !
Infatigable ambassadeur de la Réunion
Il se produit souvent, en métropole mais aussi ailleurs dans le monde, dans des configurations scéniques différentes. On le voit peu à la Réunion, c’est donc un véritable plaisir de le retrouver pour ces deux concerts. Il fête pour l’occasion ses 70 ans de scène (hé oui) avec quatre amis musiciens, dont son fils Marc dans une formule de type « quintette ». C’est aussi l’occasion de partager la scène avec de nombreux amis invités pour l’occasion, mais il faut garder l’effet de surprise! Même installé en métropole depuis longtemps, la Réunion est constamment présente, il joue quatre heures par jour, et chaque fois qu’il se produit sur scène, il sait que c’est l’image de la Réunion qu’il renvoie.
Après une saison 2024 déjà bien remplie, il sera dans quelques jours au festival de Sète (Théâtre Molière).
Dominique Blumberger
Contribution bénévole
« je veux être enterré nulle part parce que j’veux pas mourir »
Après lui avoir laissé un message, premier contact téléphonique : « Allo, Dominique ? Bonjour, c’est René Lacaille […] Ca t’embête si on se tutoie, ce s’rait plus simple ». On ne se connaissait pas, son empathie, sa sympathie, me touchent d’emblée. On se fixe rendez-vous, mais, comme il se fait rare à La Réunion, Parallèle Sud n’est pas le seul organe de Presse à vouloir le rencontrer ! Du coup, nous sommes invités à un point presse jeudi 12 au Théâtre Donat pour échanger avec lui, et il nous accorde volontiers une interview…
Ça fait longtemps que tu n’es pas venu à la Réunion, tu viens pour tes 70 ans de carrière. Il faudra attendre les 75 ans de carrière pour te revoir ici ?
René Lacaille : Il faudra attendre encore 70 ans parce que moi je reviendrai dans 70 ans (grand éclat de rire) ! […] Tu vois, Pedro Soler, un grand guitariste de flamenco avec qui j’ai joué m’a dit « moi quand je s’rai mort je veux être enterré au cimetière marin (Sète) ». On l’a enterré le 9 août. Moi je lui ai dit « je veux être enterré nulle part parce que j’veux pas mourir ». C’est vrai, je rigole, mais même avec la mort on peut rigoler.
La musique de La Réunion ça fait peur à tous les musiciens
J’ai vu que ton agenda est bien chargé, tu es un peu l’ambassadeur de la musique réunionnaise.
Je suis parti depuis 79 de la Réunion. Et puis je reviens vraiment très peu. Si y’a pas de concert, je reviens pas. On n’est là que pour six jours, j’enchaîne avec le gros festival à Sète. En plus en c’moment c’est que du bonheur. Je vais à la gare de Montpellier, y’a une grande affiche de deux mètres, quand j’arrive à Sète, y’a une grande affiche de deux mètres, dans l’théâtre Molière, y’a des grandes affiches partout. Lacaille est partout ! Mais quand je dis « Lacaille est partout », je pense pas comme ça, je dis « c’est La Réunion qu’est là ». Je pense d’abord à La Réunion, pas à ma g… Ma vie c’est grâce à la musique réunionnaise. Quand je suis parti de La Réunion, j’ai emmené un bout de La Réunion dans ma tête. J’ai pas besoin de revenir. Si je fais quoi que ce soit, quand je compose, même la moindre petite chanson, dans ma tête La Réunion est toujours là. J’ai beaucoup voyagé. J’ai fait le tour du monde, mais c’est toujours La Réunion qui m’inspire, toujours. C’est La Réunion qui me fait vivre. […] J’arrive en Californie, on dit « lui il joue une musique de tuerie, c’est la musique de La Réunion ». La musique de La Réunion ça fait peur à tous les musiciens, c’est dur de la jouer.
Ça fait plus de quarante ans que tu es revenu juste à l’accordéon, est-ce qu’il y a eu des moments où tu as douté de ce choix, ou pas ?
Non. L’’accordéon si tu veux, j’en ai joué au début. Moi je suis un peu « chasseur de primes », et en métropole, j’ai joué avec les meilleurs : Galliano, Peirani, Ithursarry, Suarez, Barboza… Et là j’me suis dit « attends, mais là ma main gauche elle joue pas ! ». Alors depuis vingt ans, je suis redev’nu un étudiant. Je bosse tous les jours minimum quatre heures. Au moins trois heures d’accordéon, et d’autres instruments. Et puis je compose, maintenant sur un logiciel à l’ordinateur. C’est plus facile, car on entend ce qu’on écrit, on peut corriger, et ça transpose dans d’autres tonalités ! C’est magique .
Ton accordéon, c’est une marque peu connue, il vient d’où ?
Il vient d’Italie, c’est un Castagnari. Marc Perrone porte cette marque depuis toujours. Quand il y a eu les cent ans de Casta à Paris, il y avait la presse et tout. Pour jouer avec lui il y avait trente accordéonistes. L’organisateur du festival me dit « tu pourras pas jouer avec lui parce que t’as pas de Casta ». Marc a dit « pas question, René y va jouer avec moi ». Il a appelé le patron de la marque qui a fait venir un accordéon. A la fin, Marc m’a dit « si tu veux un accordéon comme ça, je cause avec le patron, y te l’ fait moitié prix ». J’ai commandé ça, il a fabriqué pour moi. Et depuis, ça fait au moins quinze ans, je joue avec ces accordéons-là !
Entretien : Dominique Blumberger