1 MILLIARD DE RÉCLAMATIONS
La Région Réunion n’est responsable de rien ou presque sur les présumés surcoûts de la NRL selon la rapporteure publique. Ce mardi 17 septembre, la première audience du tribunal administratif sur le milliard d’euros réclamé par Bouygues et Vinci a été très favorable à la collectivité locale. Un premier jugement tombera le 8 octobre prochain.
Cherchez l’erreur : le marché de la Nouvelle Route du Littoral fait toujours l’objet d’une enquête au Parquet national financier pour favoritisme quant à son attribution… Et, dix ans après, l’attributaire de l’appel d’offres d’octobre 2013 réclame 1milliard d’euros à la Région au titre de présumés surcoûts.
La première audience du tribunal administratif consacrée ce mardi 17 septembre à ce milliard réclamé par Bouygues et Vinci a tourné clairement à l’avantage de la Région Réunion. La rapporteure publique, Elisabeth Baizet a proposé le rejet de quasiment toutes les réclamations du Groupement. Or, le juge administratif rend généralement des décisions conformes aux conclusions du rapporteur public. Les jugements sont attendus les 8 et 22 octobre prochains.
Pendant des heures interminables, il a été question de détails techniques et juridiques confinant à la pinaillerie : la turbidité de l’eau, les contraintes dues à la protection des mammifères ou des pétrels de Barau, les jours de pluie réduisant l’accès au chantier, les retards pris pour les dossiers administratifs, l’utilisation d’un matériau plutôt qu’un autre, la maintenance des bouées de balisage, etc.
Pendant 90 % du temps de l’audience, la rapporteure publique a livré des conclusions très détaillées. Elle a relevé régulièrement les incohérences et la faiblesse des documents fournis par les plaignants. Ceux-ci n’ont jamais réussi à la convaincre de la responsabilité de la Région dans les différents surcoûts qu’ils ont fait valoir .
C’était une audience à haut risque pour les finances de la Région Réunion. En effet, le Groupement réclame près d’un milliard d’euros supplémentaire à la facture de près de 2 milliards d’euros que la collectivité a déjà payée pour réaliser une NRL qui n’est même pas achevé. Si elle devait payer, ne serait-ce que la moitié de ces réclamations, la Région se verrait privée de toute capacité d’agir pour La Réunion.
Manque de matériaux
L’audience de ce mardi 17 septembre ne portait que sur une partie des réclamations : un peu moins de 300 millions. Il y aura une deuxième audience avant la fin de l’année et sans doute une troisième l’année prochaine.
Pour ce premier acte, le tribunal a consacré la matinée aux 26 réclamations portant sur les digues. On a par exemple appris que l’une des réclamations (260 000 €) portait sur un marché « artificiel » qui avait servi à calmer la grogne des transporteurs en septembre 2020…
La plus conséquente des réclamations portait sur le surcoût des matériaux et l’incapacité du Groupement, à ouvrir les carrières nécessaires à l’approvisionnement du chantier en roches massives. C’était la question la plus sensible car le Groupement ne manquait pas d’arguments pour en faire porter la responsabilité à la Région qui était censée faciliter l’ouverture de ces carrières.
La rapporteure publique est restée fidèle à la doctrine selon laquelle le constructeur est seul responsable de l’approvisionnement de son chantier. Reste à voir si cette doctrine sera reprise par le juge administratif dans sa décision et si elle tiendra encore devant les probables procédures d’appel à suivre. Bonne nouvelle en tout cas pour la Région car ces surcoûts en matériaux représentent plus de 200 millions d’euros de réclamation.
L’après-midi d’audience était quant à elle consacrée au viaduc de 5,4 km qui relie Saint-Denis à la grande chaloupe. Bouygues et Vinci réclament pratiquement le doublement du coût de ce chantier avec 660 millions d’euros de réclamation.
Il n’a été question lors de cette première audience « que » d’une soixantaine de millions d’euros. Les magistrats se sont intéressés à la fiabilité des études géotechniques préalable au marché. Elles sont au centre de toutes les réclamations. Les constructeurs estiment que ces études, présentées dans le dossier de consultation des entreprises (DCE), les ont induits en erreur.
Les études géotechniques au coeur du contentieux
Me François Balique affirme qu’il a fallu une deuxième étude plus poussée pour se rendre compte que le sol marin était plus flasque que prévu et plus profond. Ce qui aurait obligé les constructeurs à modifier la fameuse barge ne passant d’une version Bigue (à 4 pattes) à la version Zourite à 8 pattes plus hautes. Coût de cette transformation par rapport au dossier de candidature à l’appel d’offres : 50 M€ !
« C’est une fable », s’indigne l’avocat de la Région, Me François K’Jan. Il a démontré que la fameuse deuxième version de l’étude géotechnique a été remise au constructeur le même jour que celui-ci produisait les plans définitifs de Zourite. Selon lui, donc, le surdimensionnement de Zourite servait essentiellement à optimiser sa capacité à porter les lourdes charge que sont les voussoirs qui constituent le viaduc. « Ça permettait de diviser par deux le nombre de voyages de Zourite pour que Bouygues et Vinci annoncent un chantier en 54 semaines au lieu de 59, ce qui fut déterminant pour l’obtention du marché. »
La rapporteure publique a elle aussi estimé que les différences qui sont apparues dans les différentes études géotechniques ne sont pas de nature à engager la responsabilité de la Région Réunion quant au choix techniques du constructeur du viaduc.
Lors des prochaines audiences, les études géotechnique seront à nouveau au cœur du débat pour pointer la responsabilité du maître d’ouvrage dans les difficultés rencontrées au niveau de la pointe du Gouffre. Il a fallu couler un béton spécial sous-marin pour ancrer les piles du viaduc car le sol n’était pas aussi régulier qu’attendu.
François Payet, le président de l’association ATR Fnaut, qui a toujours été très critique vis-à-vis de la NRL, était à l’audience. Il note une contradiction dans le discours de Bouygues et Vinci lorsque leurs avocats évoquent le caractère flasque du sol pour réclamer des millions de surcoûts.
Selon lui cet argument n’est pas très rassurant quant à la solidité de l’assise des piles. Le groupement avait un effet opté pour des piles simplement posées sur le sol au lieu de les ancrer. Faut-il craindre pour autant une instabilité de l’ouvrage d’art ? L’avocat de Bouygues et Vinci s’en défend soulignant « l’amour » de ses clients pour La Réunion et la fiabilité de leurs ouvrages. De là, à imaginer que Bouygues et Vinci seront à nouveau candidats pour finir la NRL après avoir poussé le maître d’ouvrage au contentieux… Ce ne serait qu’une contradiction de plus dans un dossier qui n’en manque pas.
Franck Cellier