PARTAGE D’EXPÉRIENCES DE SCIENTIFIQUES MALGACHES ET MAURICIENS
Des petites actions bien réfléchies plutôt qu’une grosse opération à la limite du greenwashing. Une trentaine de chercheurs malgaches et mauriciens ont partagé cette semaine leurs expériences pour que la préservation de la biodiversité, de la nature, bénéficie en premier lieu aux communautés locales.
Trois jours d’immersion dans un colloque de scientifiques, organisé cette semaine à Madagascar, dévoilent l’ampleur des destructions de la nature à Madagascar (20 chercheurs présents) et à Maurice (6 chercheurs). La Réunion n’était représentée que par Parallèle Sud, intervenant avec d’autres médias malgaches pour conseiller les chercheurs dans leurs relations avec la presse.
« On a dilué du colorant chimique utilisé pour teindre les écharpes de soie dans une eau de rivière et du colorant naturel. Avec le colorant chimique tous les poissons sont morts en quelques minutes, avec le produit naturel, les poissons ont survécu », raconte Herimalala Raharitsiadana. Spécialisée dans la valorisation des ressources naturelles elle développe les plantations d’espèces générant des colorants végétaux qui peuvent être sources de revenus pour les communautés locales.
Eaux polluées, forêts détruites, régions asséchées, récifs coralliens en péril, animaux et plantes endémiques en voie de disparition, inondations des berges ou ensablement des rizières causé par des chercheurs d’or, raréfaction des poissons et des crocodiles… la grande île semble cumuler toutes les atteintes possibles à l’environnement.
Les chercheurs mauriciens, emmenés par le professeur Vincent Florens, dressent un tableau au moins aussi inquiétant pour la nature mauricienne, « le pays présente un taux de couverture urbaine 18 fois plus fort que la moyenne mondiale », dit-il avant que la doctorante Ashmi Bunsy n’ajoute que Maurice serait n°1 mondial pour l’utilisation de pesticide (Ecoutez son interview réalisé par le studio Sifaka). « Nous sommes le laboratoire de ce qu’il ne faut pas faire ». Dans certains discours ultra-libéraux, les Mauriciens se demandent pourquoi ils devraient payer pour restaurer une biodiversité détruite par les colons français puis anglais…
Des chauves-souris aimées ou détestées
Ashmi Bunsy présente son travail sur les chauves-souris. Il faut savoir que, sous la pression des agriculteurs, les autorités mauriciennes avaient autorisé l’abattage des roussettes des Mascareignes, pourtant inscrites sur la liste des animaux protégés.
La Réunion, avec ses fast-foods, ses embouteillages et son bétonnage, n’a pas de quoi pavoiser non plus.
Les quelque trente chercheuses et chercheurs réunis à l’écart d’Antananarivo, au milieu des rizières et des champs, ont chacun pour mission de trouver des solutions dans le cadre du programme Varuna, financé par l’Agence française de développement et mis en œuvre par Expertise France. Parmi les 7 projets du programme, l’IRD (Institut de recherche pour le développement) coordonne celui de « la science de la durabilité ».
L’entente entre l’agriculture et l’écologie
Tous ces scientifiques ont comme point commun de démontrer que la préservation de la biodiversité concerne les humains au moins autant que les plantes et les animaux endémiques. Ils interviennent sur tous les fronts. « Les politiques de développement durable ne doivent pas être défaillantes d’un point de vue social, elles ne doivent pas créer des inégalités », précise Philippe Méral de lIRD. Il cite l’exemple de la cherté des véhicules électriques qui ne sont pas à la portée des plus modestes… et relève carrément de la science fiction pour 99% de la population malgache.
Philippe Méral a notamment travaillé sur la préservation du ver à soie sauvage qui permet de lancer une filière rémunératrice pour les habitants : « Contrairement à ce qu’on peut entendre en France, il n’y a pas d’opposition mais des liens forts entre l’agriculture et l’écologie. » Il vante aussi l’initiative malgache de responsabiliser les communautés locales en leur confiant la gestion des ressources de leurs territoires.
Randianina Radilofe, professeur de droit public, se penche sur l’impact des multinationales et le respect des droits de l’Homme, sur la façon dont le droit malgache peut s’améliorer pour que ces géants du profit n’abusent pas de dérogations à certaines conventions internationales de protection de la nature.
L’historien Alex Claudio Randriamahefa s’intéresse quant à lui aux origines historiques des pressions anthropiques sur la forêt de l’est malgache. Il faut selon lui faire évoluer des mentalités séculaires pour faire passer les messages de sensibilisation à la protection de la forêt parmi les populations qui y vivent. Hélas, il estime que « cette forêt subit un énorme dégât.»
Rojo Rasamoelina de l’École de gestion des ressources naturelles (EDGRND) valorise les vieux contes sakalava et montre leur concordance avec des mesures de protection de la nature.
Nantenaina Rabetokotany travaille sur l’analyse des déchets ou sur celle du guano de chauves-souris vivant dans les grottes de la région de Tuléar pour produire de l’engrais naturel et moins cher que l’engrais chimique.
Conflit entre chercheurs d’or et riziculteurs
Famenoansoa Ramahavalisoa a réussi à trouver un moyen de domestiquer un poivrier sauvage pour freiner sa cueillette dans la nature et développer sa culture par les paysans.
Njarasoa Andriamiharimanana cherche à valoriser les déchets végétaux et leur transformation en briquettes pour proposer une alternative au charbon de bois facteur de déforestation.
Tsiarofy Andrianirinolosoa, géographe, relève les modifications et excavations provoquées par les chercheurs d’or dans une rivière des hautes terres. Il intervient sur un sujet hautement sensible car les communautés locales affrontent les orpailleurs venus par centaines. Il les accusent d’avoir provoqué l’ensablement de leurs rizières.
Andrianjaka Ravelomanana étudie les insectes, et plus particulièrement ceux qui sont comestibles et pourraient être proposés aux populations démunies comme réserve de protéines…
La liste n’est pas exhaustive et le programme Varuna, dans sa volonté de toucher l’ensemble de la population, fait intervenir des ePopers (petites ondes participatives en français) pour réaliser des reportages très basiques sur des cas de disparition de biodiversité. Ils sont une quinzaine à avoir été sélectionnés dans tout le pays. Olivia Raveloandriana et Tojoniaina Mamiarisolo sont partis caméra au poing recueillir les témoignages d’un vieux pêcheur déplorant l’assèchement de sa rivière et la raréfaction de ses poissons ou celui d’une mère de famille s’inquiétant de la surexploitation des arbres du voyageur et des bambous pour construire de plus en plus de cases traditionnelles.
Toute cette communauté de chercheurs et d’ePopers apporte, chacun à sa mesure, des solutions concrètes et à taille humaine pour « freiner l’érosion de la biodiversité ». Leur action est-elle quantifiable ? Sans doute moins facilement qu’une campagne de reboisement. Et pourtant les scientifiques ont de plus en plus la certitude que les initiatives alternatives comme celles-ci sont plus réfléchies et plus efficaces que les grosses opérations médiatiques.
Franck Cellier
Varuna
Le programme Varuna a pour ambition de contribuer à freiner l’érosion de la biodiversité du sud-ouest de l’océan Indien au bénéfice des habitants de la région (sic : on n’ambitionne plus de sauver la biodiversité mais au moins de ralentir sa disparition). Plus précisément, « Varuna science de la durabilité » vise à renforcer le dialogue entre la science et la société au sujet de la gestion de la biodiversité, de la nature, en privilégiant les initiatives qui recherchent des solutions pour l’avenir. Il se déploie à Madagascar de 2022 à 2025.