HARCÈLEMENT SEXUEL AUX TAAF
Ça a duré une nuit. Pendant ce laps de temps, les passants de la rivière D’Abord à Saint-Pierre ont pu lire les deux messages jouxtant le bâtiment administratif des TAAF (Terres australes et antarctiques françaises) pour dénoncer la culture du viol. Au petit matin, ils ont été effacés. La préfecture des TAAF, non contente de ne pas avoir su gérer correctement une affaire de harcèlement sexuel en interne, a déposé plainte pour dégradations. Une des co-auteur.e.s du tag témoigne pour les lecteurs de Parallèle Sud.
Le 2 mars, à 23 heures. C’est un jeudi, je viens de terminer le bouclage de Parallèle Sud, les articles de la nouvelle édition sont prêts pour le lendemain. Je regagne mon véhicule. Hasard surprenant, j’arrive juste après qu’une équipe de colleur.ses a apposé au muret qui jouxte le bâtiment des Terres australes et antarctiques françaises ce message : « TAAF = terre d’accueil des antiféministes ». Un peu plus loin, en face de la grille d’entrée du siège administratif installé à Saint-Pierre de La Réunion, un autre collage indique « Non à la culture du viol ».
Le lien est évident avec le témoignage d’Anouk Piteau diffusé par Parallèle Sud le 10 février. La jeune femme, embauchée en service civique, a été virée après avoir dénoncé les faits de harcèlement sexuel dont elle a été victime aux TAAF sur l’île d’Amsterdam. L’agresseur a été déplacé mais reste en poste. La gestion de l’affaire par la préfète des TAAF, Florence Jeanblanc-Risler, est dénoncée par trente hivernants de l’île d’Amsterdam en décembre 2022.
Effacement record du tag
Le lendemain matin, le 3 mars, ces tags sont effacés aussi sec par les agents de la Civis. Seule reste la story postée sur la page facebook de Parallèle Sud.
A croire que ce collage détient le record de rapidité dans son effacement sur la commune. Une attention particulière a même été portée sur la manière d’estomper la trace des feuilles, on croirait presque qu’il n’y a jamais rien eu d’autre que le vieillissement naturel du mur soumis aux pots d’échappement.
Quand on fait un petit tour de la ville, on constate que, parmi les collages féministes, il y a ceux qui dérangent et ceux qui restent en place pendant des mois. Peut-être sont-ils plus politiquement corrects ?
Quel est le message envoyé à ces femmes qui affichent leurs revendications ? Demander globalement plus de droits pour les femmes, oui, dénoncer des faits de harcèlement sexuel, non ?
Exemple symptomatique
La préfecture des TAAF a même porté plainte pour dégradations. Peut-être faudrait-il inverser les rôles dans la posture de la victime.
Finalement, cet exemple de harcèlement sexuel qui touche les TAAF, s’il se trouve amplifié par l’isolement sur place, est plutôt symptomatique et représentatif de notre société à l’heure actuelle. Il y a les discours (la façade, pourrait-on dire) et, derrière, il y a les faits.
Eh oui, parce que, depuis quelques années — notamment depuis le mouvement Me too — lutter contre les violences faites aux femmes est devenu politiquement correct. Difficile donc d’en faire fi, officiellement en tous cas.
Plainte pour dégradations
La préfète des TAAF, dans un courrier envoyé aux hivernants, « confirme le total engagement de l’administration des TAAF dans la prévention et la lutte contre le harcèlement et les violences d’ordre moral ou sexuel. » De l’autre côté, elle refuse le maintien d’Anouk Piteau dans sa mission au motif du « contexte actuel particulièrement pesant qui met en danger la cohésion de l’équipe, pèse sur le moral des hivernants et nuit à la concentration de chacun sur ses missions ».
Nous avons rencontré — un hasard encore — une des auteurs de ces tags. Comme quoi la vie fait bien les choses. Elle fait le choix de témoigner en conservant l’anonymat, étant donné la plainte déposée par les TAAF.
« La culture du viol, c’est l’encouragement des comportements sexistes »
« Finalement, l’effacement des collages, ça rejoint un peu la mentalité, faut pas parler de leurs affaires ailleurs. Personne ne sait jamais ce qu’il se passe là-bas, c’est bien dommage. Là c’est du harcèlement sexuel, mais il a pu y avoir des choses plus graves, on ne sait pas. Ça pose le doute sur l’exemplarité de la gestion des TAAF dans ces situations et l’exemplarité des personnes qui y sont. C’est pas rassurant pour les volontaires qui ont envie d’y aller pour diverses missions. »
« On approchait du 8 mars, on a fait ça dans un esprit de sororité. Il y avait aussi le ras-le-bol que, dans nos sociétés, la culture du viol soit toujours acceptée : les plaignantes sont pénalisées et pas grand-chose n’est fait contre les agresseurs. » Elle développe : « La culture du viol, c’est l’encouragement, l’acceptation de tous ces comportements sexistes et violents. Les femmes en sont les premières victimes mais pas les seules. »
Entre les mains d’une femme
La co-autrice des collages précise qu’ils ont été apposés sur le muret attenant au bâtiment des Taaf pour éviter tout risque légal sur un bâtiment administratif. Elle ajoute qu’ils sont réalisés de manière écologique, « avec de la colle farine » qui n’entraîne aucune dégradation. « Le but, c’est d’interpeller, de marquer notre soutien à Anouk, de passer un message. »
Dans l’affaire dont il est question, la gestion est pourtant entre les mains d’une femme, la préfète.
« Etant donné qu’ils sont un peu à huis clos, il y a une possibilité de sensibiliser, d’informer et de punir les actes répréhensibles, c’est vraiment dommage que la préfète n’ait pas saisi l’occasion pour marquer la fermeté des TAAF par rapport à ces agissements, regrette-t-elle. Elle a complètement joué le jeu de la culture du patriarcat. Ce qu’on demande aux femmes qui ont un statut de pouvoir, c’est de faire changer les choses par des petits actes, et là, c’était le moment. »
« Beaucoup de femmes internalisent les comportements misogynes »
Notre interlocutrice regrette le fait que l’information, malgré sa gravité, ait fait peu de bruit, qu’elle n’ait pas été reprise par les médias locaux comme nationaux.
« Il y a beaucoup de femmes qui ont énormément internalisé les comportements misogynes et sexistes de façon générale et elles jouent, du coup, le jeu du patriarcat et des hommes en situation de domination. Quand elles ont un minimum de pouvoir ou d’influence, certaines vont écraser les autres femmes, quand d’autres vont en profiter pour aider et élever les femmes autour d’elles. »
Elle s’appuie sur l’actualité pour étayer son propos. « Les deux sénatrices, Viviane Mallet et Nassimah Dindar, par exemple, ont voté pour la réforme des retraites alors que c’est une réforme très pénalisante pour les femmes et encore plus pour les femmes réunionnaises. Alors que d’autres, comme Karine Lebon, vont essayer de sensibiliser, de parler des difficultés spécifiques aux femmes réunionnaises. On pourrait aussi parler de Marlène Schiappa qui n’a absolument rien fait pour la cause des femmes, même si elle dit le contraire. »
« Grosse responsabilité »
Selon elle, ces femmes qui ont des leviers d’action ont une « grosse responsabilité ». « Certaines atteignent ce statut en s’étant battues, elles ont dû faire face au sexisme. Pourtant, quand elles arrivent en haut, elles vont effacer tout ça pour garder les avantages acquis. »
« La réponse de la préfète est allée à l’encontre de l’amélioration de la vie des femmes sur les bases », témoignait Anouk Piteau lorsque nous l’avions interviewée.
Pourquoi ce comportement est-il manifeste de la part de certaines femmes ? « On a tellement inculqué aux femmes que les autres femmes sont des rivales, il y a ce côté revanchard : moi je l’ai fait, j’ai énormément galéré, maintenant, à votre tour », estime la colleuse.
« Pas une fatalité »
A des postes habituellement occupés par des hommes, ou dans des milieux très fréquentés par les hommes, certaines femmes adoptent des codes masculins : la concurrence, la rentabilité, la fermeté, voire la dureté.
« Mais il faudrait leur demander à elles, ce qu’elles en pensent de tout ça ? Peut-être est-ce la peur de perdre ce qu’elles ont durement gagné, la peur d’être remplacées. »
Notre interlocutrice se questionne, avec d’autres femmes, sur ces questions prégnantes dans notre société, et ne veut exclure personne. Elle s’interroge sur la manière de sensibiliser les hommes comme les femmes. « Ce n’est pas une fatalité, la culture du viol, c’est une construction sociale », fait-elle remarquer. « J’aspire, comme d’autres, à une société plus juste et équitable entre tous les citoyens, quel que soit leur genre, leur religion, leur ethnie, leur classe sociale, leur handicap… Je souhaite que tout le monde ait les mêmes chances, les mêmes opportunités. »
« Avoir fait ce collage, pour moi, c’est aussi une manière de récupérer sa voix et de l’amplifier. L’idée, c’était aussi de réinvestir l’espace public. On a fait ça de nuit avec mes ami.e.s et c’est un environnement dans lequel les femmes ne se sentent pas en sécurité habituellement. »
Jéromine Santo-Gammaire