[Outre-mer] La stratégie patiente du RN porte ses fruits

Les députés sortants de gauche sont en position très favorable dans une majorité de cas en Guyane, à La Réunion, en Martinique et en Guadeloupe. Mais, fait nouveau, l’outre-mer pourrait envoyer un voire deux députés RN au Palais-Bourbon. Cet article est paru chez nos amis de Mediapart.

Au lendemain du premier tour, les député·es sortant·es de gauche (Gauche démocrate et républicaine, La France insoumise) sont en position favorable dans une très grande majorité des cas, quel que soit le département ultramarin (Dom) concerné. À La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique, et en Guyane en particulier, leur réélection paraît assurée.

Opérations de vote à Saint-Pierre. © Franck Cellier

Toutefois, leur position n’est pas aussi aisée qu’elle y paraît. « Je m’attache à observer les faits nouveaux dans le champ électoral et ces élections n’en manquent pas !, commence la politiste Christiane Rafidinarivo, chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po à l’université de La Réunion. Pour la première fois, le Rassemblement national (RN) a présenté des candidats dans toutes les circonscriptions et il peut se maintenir au second tour partout. »

Il pourrait même y obtenir des député·es. À Mayotte, au second tour, le député sortant (Les Républicains) Mansour Kamardine sera en ballotage défavorable face à la candidate RN Anchya Bamana. C’est la première fois qu’une candidate RN devance un élu présent de très longue date dans le paysage politique de l’archipel.

À La Réunion, ce que certain·es décrivent comme une « vague bleu marine » est inédit à des élections autres que la présidentielle ou les européennes. Pour la première fois de son histoire, La Réunion semble en passe d’envoyer au moins un député RN au Palais-Bourbon : Joseph Rivière est en ballotage favorable face à Alexis Chaussalet, candidat du Nouveau Front populaire (NFP) dans une circonscription du sud de l’île.

Un investissement de long terme

Pourtant, le 18 juin, alors que la campagne battait son plein, Johnny Payet, le chef du RN à La Réunion, a provoqué la consternation sur son île en lançant : « On ne doit plus parler d’esclavage, c’est fini ! » Les condamnations ont été immédiates et unanimes – une plainte pour négationnisme a été déposée et une résolution du conseil départemental adoptée à l’unanimité.

Au-delà, cette polémique a été suivie de près partout dans l’outre-mer, suscitant des débats et des communiqués en Guadeloupe, en Martinique… Loin d’être un accident, la sortie de Johnny Payet s’inscrit dans une stratégie de long terme du RN. Le chef du RN à La Réunion n’en est pas à son coup d’essai : nous avions raconté comment il a invité Marine Le Pen dans le village dont il est maire, le jour de l’abolition de l’esclavage, le 20 décembre, férié à La Réunion.

« L’argument de Johnny Payet, le fait de mettre en avant la question de l’esclavage, consiste à mettre la question raciale et la question colonialiste au cœur du débat pour les écarter de fait, décrypte Christiane Rafidinarivo. Cette stratégie est une façon de déracialiser le discours du parti, dans la droite ligne de la stratégie frontiste depuis plus d’une décennie. La conquête des outre-mer est au cœur de la stratégie de dédiabolisation du RN : le vote ultramarin devient, de son point de vue, une preuve de la déracialisation du discours et du parti. »

Sanction électorale

Aux Antilles, même s’il n’est a priori pas question cette fois qu’un député RN soit élu, cette stratégie fonctionne aussi. En Guadeloupe, les sortants Christian Baptiste et Max Mathiasin seront au second tour en duel face au RN. « Les scores de [leurs adversaires] Rody Tolassy (25 %) et Laurent Petit (17 %) montrent que les Guadeloupéens se voient et agissent comme des électeurs nationaux, analyse Pierre-Yves Chicot, professeur de droit public, avocat au barreau de la Guadeloupe, de Saint-Martin et Saint-Barthélémy. Le rejet d’Emmanuel Macron et de sa politique sont très puissants et profitent d’une part à La France insoumise et d’autre part au RN. »

La sanction électorale peut aussi prendre des formes totalement différentes selon la collectivité concernée. Ainsi du député indépendantiste sortant Tematai Le Gayic éliminé au premier tour du scrutin et remplacé par l’autonomiste Moerani Frebault. 

En Nouvelle-Calédonie, les partis indépendantistes ont appelé à participer et à voter en masse pour combattre la réforme du corps électoral qui a mis leur archipel à feu et à sang. Le député sortant – rapporteur du texte à l’Assemblée nationale – Nicolas Metzdorf, est en ballotage favorable pour le second tour, face au candidat indépendantiste Omayra Naisseline. Réélu, il pourrait porter à nouveau cette réforme du corps électoral devant ses collègues. Le 14 mai dernier, l’Assemblée nationale l’avait adoptée. Il semble que c’était il y a une éternité.

Julien Sartre

A propos de l'auteur

Julien Sartre | Journaliste

Journaliste d’investigation autant que reporter multipliant les aller-retour entre tous les « confettis de l’empire », Julien Sartre est spécialiste de l’Outre-mer français. Ancien correspondant du Quotidien de La Réunion à Paris, il travaille pour plusieurs journaux basés à Tahiti, aux Antilles et en Guyane et dans la capitale française. À Parallèle Sud, il a promis de compenser son empreinte carbone, sans renoncer à la lutte contre l’État colonial.

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