Bloqué par les Gilets jaunes dès novembre 2018, le rond-point des Azalées au Tampon a été occupé à plein temps à partir du 3 janvier suivant. Sept ans plus tard, les derniers Zazalé quittent le lieu en essayant autant que possible de le rendre propre. Récit d’une expérience politique et sociale qui a profondément marqué toutes celles et ceux qui s’y sont frotté.es.
Mwin lété in ti asimilé, astèr mi koné ki mi lé, sa lé majik.
9h du matin, 24 septembre sur le rond-point des Zazalé. À ce qui paraît, c’est la fin d’une expérience sociétale, le jour de démontage de la dernière ZAD, zone à défendre… Privés d’eau et d’électricité, les derniers militants présents préfèrent laisser le site aux futurs travaux de la nouvelle voie urbaine du Tampon que d’entrer dans une confrontation. Toute la presse est présente. Il y a plus de journalistes que de Zazalé.
Une fois les reportages des autres médias achevés, nous installons un banc et quatre chaises — dont une un peu bancale — au milieu de ce qui fut un emblématique « ronkozé ». Pendant des années des dizaines de personnes — voire plus d’une centaine — s’y retrouvaient tous les lundis pour causer, de la terre, de la lutte, de l’identité, de la domination, de la vie chère, de l’éducation, de la liberté de la presse, du néo-colonialisme…
Dan, Mitch, Zavyé, Nini et Jéromine
Ce jour, il n’y a plus que Dan, Mitch, Zavyé, Nini et Jéromine pour évoquer ce qu’a été Zazalé. Pour livrer le récit d’une expérience qui les a profondément marqués. Entre les bons et les mauvais moments, tous en ressortent « plus forts » pour dire qu’ils quittent un lieu mais que l’esprit Zazalé est bien vivant.
Tout a donc commencé en 2018. « Au début c’était pas le but de bloquer mais juste de perturber et au final ben tout le monde a bloqué », raconte Dan. Zavyé précise comment le rond-point a d’abord failli être récupéré par « un référent du maire » avant qu’une communauté décide de l’occuper jour et nuit, sept jours sur sept à partir du 3 janvier 2019.
La shanj la kadans lavi, la permèt anou esprimé la voie un peuple
« Au début, c’était hétéroclite, il y avait des gens de toutes conditions sociales. La première chose c’était essayer de communiquer parce que dans la société individualiste actuelle, chacun se retrouve seul et écartelé dans son logement », se souvient Jéromine qui restera 3 ans sur le rond-point.
Lieu d’accueil social
« Pas de chef, tout le monde avait la parole également, c’était notre soif de justice », dit Dan. Pour Zavyé, « la shanj la kadans lavi, la permèt anou esprimé la voie un peuple. » La parole se libère. Mitch évoque une confiance qui va au-delà des mots : « Mwin lété in ti asimilé, astèr mi koné ki mi lé, sa lé majik »
Le rond-point est devenu un village avec une quinzaine de cabanes. Les occupants se partageaient les tâches quotidiennes pour libérer du temps à chacun pour mener des actions militantes. Cette organisation a transformé le rond-point en un refuge pour des personnes sans domicile ou en difficulté. Le CCAS ou la Croix-Rouge, ont orienté des bénéficiaires vers le site, transformant Zazalé en lieu d’accueil social improvisé.
Mais l’accueil social est un métier auquel les Zazalé n’étaient pas forcément formés. « On était répertoriés comme lieu d’accueil et Nou té pas armé pour l’accueil social », résume Zavyé. Ça en a épuisé certains, ça en a fait partir d’autres. A l’heure de démonter le QG, les derniers militants laissent debout les cabanes qui abritent encore des personnes en détresse. « On nettoie un maximum… on va garder un petit regard dessus… jusqu’au bout », confie Dan.
La semaine prochaine, s’il y a un mouvement social, on va retrouver domoun zazalé dedans
Surtout, tous gardent en eux « l’esprit Zazalé ». « La semaine prochaine, s’il y a un mouvement social, on va retrouver domoun zazalé dedans », prévient Zavyé. Intérieurement ou collectivement, Zazalé survit à son délogement.
« Nou la fé un royaume dans le jardin d’Abord, se souvient Nini à propos du terrain que les Zazalés avaient mis en culture. Lété un chemin pour l’autonomie ». Mitch compte bien poursuivre sa vie dans l’agriculture : « mi forme amwin en agriculture, mi revient à la terre. Mi fé tout ça sous forme de troc ».
Revendication puissante
L’idée reste vivace et la revendication puissante. Nini s’exclame : « Nou lé légitime pour prendre la terre ici, nou sé zanfan rényoné. Mais la loi makro français lé la pou kapay avan nou… et la terre lé dan la main Babylone »…
Comme toute expérience collective, le rond-point a connu ses limites. La cohabitation entre des profils très différents, parfois fragilisés, a entraîné des tensions. Les participants reconnaissent avoir parfois reproduit les logiques qu’ils voulaient dépasser, preuve que l’horizontalité et l’autogestion ne vont pas sans difficultés. Malgré ces moments difficiles ils estiment avoir grandi individuellement et collectivement.
Chacun à sa manière Mitch, Dan, Nini, Jéromine et Zavyé insistent : Zazalé n’est pas seulement un lieu, c’est un esprit. Les réseaux numériques, comme la page Facebook du QG, prolongent les échanges. Qu’il reste au cœur du mouvement ou qu’il s’en éloigne, chacun a emporté une part de cette expérience dans sa vie personnelle ou ses projets. En espérant que Zazalé laisse une empreinte durable dans l’imaginaire militant réunionnais.
Entretien : Franck Cellier
Photos et vidéo : Olivier Ceccaldi
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