[Peinture] Les « boutik lontan » de Sabine Thirel

EXPOSITION À LA MÉDIATHÈQUE DE SAINT-JOSEPH

Très connue comme auteure, Sabine Thirel expose actuellement ses peintures dont de nombreux tableaux de boutiques créoles, à la Médiathèque de Saint-Joseph. Un autre talent !

Sabine Thirel est très connue comme auteure : plusieurs romans (Cadet de famille, Noir café, La demoiselle du Belvédère, …), 2 tomes de la BD Long Ben (Cap au Sud et Ile bourbon), Jaya, Engagée indienne et Le mousse de la Méduse, des albums de jeunesse (Zidor l’endormi, Le Kayamb magique…). Elle a également illustré plusieurs ouvrages et peint depuis de longues années. Une artiste aux mille talents !

Sa carrière est jalonnée de nombreuses participations à des salons, à des festivals, sur notre île bien sûr, mais aussi dans l’hexagone et même à l’étranger (festival de la BD à Buenos Aires en Argentine entre autres). Depuis 2008 elle est présente aux principaux évènements littéraires (salons, festivals) à la Réunion. Café a été sélectionné pour le Prix Paille-en-Queue (une référence), Long Ben ayant obtenu le prix des lycéens dans le cadre du mois de la BD à Saint-Joseph (2010).

Cette exposition à la Médiathèque est programmée de longue date. En septembre, Fred Figuin, responsable de la bibliothèque, a vu quelques tableaux lors d’une exposition. Ils ont échangé, et il l’a ensuite rappelée pour lui proposer d’exposer sur le thème des « boutique lontan » à la médiathèque de Saint-Joseph en couplant le vernissage avec le nouvel an chinois (on parle souvent de « boutik sinoi », cela avait donc un vrai lien).

Expo à la Médiathèque de Saint-Joseph

Encore des projets…

Et des projets, Sabine Thirel en a encore : Nous évoquons l’idée de cases créoles. Elle en a déjà peint, mais plutôt de grosses cases, et sait où chercher pour réaliser de jolis tableaux de « kaz lontan ». Et puis elle pense aussi à toutes ces anciennes usines qui disparaissent peu à peu et qui mériteraient qu’on leur redonne vie en peinture…

Si vous avez un peu de temps, rendez-vous à la Médiathèque de Saint-Joseph pour visiter cette exposition, cela va forcément vous rappeler ces boutiques du temps d’avant, qui, grâce aux coups de pinceaux de Sabine Thirel n’ont pas encore disparu ! 

Dominique Blumberger

« J’essaie de fixer en peinture ce qui a tendance à disparaitre de nos rues et de nos coutumes créoles »

On vous connaît beaucoup comme auteure (romans, BD, albums), voire illustratrice, moins comme peintre. C’est une passion ancienne, une passion « parallèle » à vos activités d’écriture ? 

Sabine Thirel : « J’ai été peintre avant de devenir écrivaine. La peinture a toujours été très importante pour moi depuis l’enfance. J’ai commencé à raconter La Réunion et son histoire à travers la Peinture. La coupe canne, les joueurs de cartes ou de dominos, les cases créoles, les vieilles usines, les allées de flamboyants, les marchés et les maloyas au clair de lune… ont été mes thèmes favoris. J’ai fait ma première exposition individuelle en 1995, depuis je ne me suis plus arrêtée. L’envie d’écrire est arrivée après les années 2000. Dans un premier temps, j’ai sorti un roman « Cadet de famille » en 2005. Il a été suivi d’un 2ème « Noir Café » en 2008. Puis des scénarios de Bandes dessinées, des contes, ont été édités « Long Ben – Cap au Sud » « Long Ben – Ile Bourbon » avec Olivier Giraud comme dessinateur toujours aux éditions Orphie. Après, il y a eu « Jaya engagée indienne » (dessinateur Darshan Fernando) et « Le mousse de la Méduse (dessinateur Adriano Fruch) chez Des Bulles dans l’Océan. Et en 2023, mon roman « la Demoiselle de Belvédère » est paru. Pendant ces années j’ai continué à exposer individuellement mais aussi avec l’Union des artistes de La Réunion lors d’expositions collectives.

Le choix de peindre des boutiques peut paraître surprenant. Au-delà du visuel, une volonté de conserver ce patrimoine de la Réunion lontan ? 

Je suis passionnée par l’Histoire et très préoccupée par la disparition du patrimoine de La Réunion. Les thèmes de mes romans et de mes Bandes dessinées s’y réfèrent. Mes tableaux eux aussi montrent La Réunion d’avant. J’essaie de fixer en peinture ce qui a tendance à disparaître de nos rues et de nos coutumes créoles. Cela fait quelques années que je voulais peindre des boutiques mais j’étais occupée à écrire et je n’en n’ai pas eu l’occasion. C’est vrai que quand je suis concentrée sur l’écriture, je ne peux pas peindre. J’ai vu au fil des années les boutiques se fermer les unes après les autres.  Il fallait faire quelque chose. C’est une partie de notre culture, de notre histoire et de notre patrimoine qui disparait. Combien de Créoles sont partis chercher des commissions à la boutique du coin. Les parents envoyaient les marmailles avec une pièce de 5 francs et le carnet de courses. Le commerçant chinois faisait crédit jusqu’à ce que la paye arrive. Les boutiques avaient une odeur particulière que nous n’arriverons plus à reproduire. Les gonis remplis de maïs, de riz avec la grosse pinte étaient près de l’entrée, la balance Roberval trônait sur le comptoir, les boites de sardines Robert, les barres de savon de Marseille… Trop à dire… Je ne pouvais pas les laisser disparaitre sans les fixer en peinture. Par pudeur, je n’ai pas peint les propriétaires de ces boutiques, j’ai préféré mettre en avant l’architecture particulière très proche de celles des cases créoles de l’époque. On n’en trouve plus beaucoup couvertes de publicités, celles qui ont résisté au temps sont dans les hauts et dans les écarts. 

Comment travaillez-vous ? A partir de photos, ou directement sur place ? Les propriétaires de ces boutiques pensent quoi de vos peintures ?

Habituellement, je me balade et cherche des boutiques typiques. Je les ai trouvées dans les hauts le plus souvent. Les portes fermées pour la plupart d’entre elles, à l’abandon pour d’autres ou parfois en ruine aussi. J’ai décidé d’ouvrir leurs portes, d’ajouter des publicités anciennes, de les faire revivre en ajoutant des personnages qui auraient pu exister dans ce cadre s’il était encore animé. Quelques-unes d’entre elles ont été dessinées ou tracées sur place et terminées à la maison. Pour que le tableau ressemble à son sujet, on est obligé de regarder une photo. Dès que j’arrive devant la boutique, je prends une photo pour avoir la même lumière tout le long de l’évolution du tableau. Il faut dire qu’à La Réunion, la lumière change vite et dans les hauts le ciel se couvre souvent l’après-midi. Ce qui m’oblige à travailler chez moi où j’ai tout mon matériel. Alors j’imprime la photo et je reproduis méthodiquement l’image. En plus d’ouvrir les portes et les fenêtres, je ne peux pas m’empêcher de changer des choses, d’ajouter de la couleur, de réparer les tôles ou les lambrequins pour qu’elle paraisse de nouveau belle et attirante. Les propriétaires de ces boutiques n’ont pas vu les tableaux. Je travaille sur différents formats (50/60cm, 30/40cm, 90/70cm, …). Le choix se fait plutôt au feeling. Je commence par faire une trame de dessin à la peinture acrylique, je justifie notamment la perspective à l’aide de ficelles, …, puis je peins avec des peintures à l’huile. Parfois j’utilise le couteau ou d’autres pinceaux plus larges, ou un pinceau pour des finitions.  

Quelques tableaux exposés à la Médiathèque, il y en a beaucoup d’autres !

Cette exposition à la Médiathèque de Saint-Joseph : Vous avez sans doute dû être amenée à faire un choix, sur quels critères ?

En effet, les tableaux que j’ai choisis pour l’exposition « Boutique lontan – Souvenirs » ont été des coups de cœurs. Ils ont été complétés par d’autres comparables en architecture. Comme la petite maison de la Plaine des Cafres, ou celle en pierre de taille « rue du Pont » située elle aussi à l’angle de deux rues, elle aurait très bien pu abriter une boutique (peut-être en a-t-elle été une…). Les critères de sélections ont eu pour objectif de reconstituer l’ambiance qu’on retrouve aux alentours des boutiques lontan. Certaines ont disparue entretemps. Le choix s’est fait sur les boutiques elles-mêmes, puis sur leurs couleurs chaudes. Les étals de marchés forains ou d’autres œuvres encore complètent l’exposition pour rappeler qu’on se rencontrait, qu’on achetait, qu’on échangeait, qu’on se parlait autour de la marchandise. Le lien entre le commerçant et le client résiste encore. C’est un besoin et aussi une manière de vivre que nous perdons quand nous allons dans les grandes surfaces impersonnelles. Des personnages typiques comme « Les joueurs de cartes » installés pas trop loin de la buvette, ou la petite demoiselle qui « sava commissions » nous ramène à un peu de chaleur humaine à un peu d’humanité ».

D’autres projets d’expositions ?

Saint-Joseph a eu la primeur, je devrais normalement exposer avec ces tableaux à la Cité du Volcan sur juillet-août-septembre), puis participer au marché des artistes autour de la cathédrale à Saint-Denis. Avec l’association Hang-Art et l’association UDAR, exposition prévue en septembre à St Pierre (sous la Capitainerie).

Propos recueillis par D.B.

Une idée naturelle

Jean-Fred Figuin (responsable de la Médiathèque de Saint-Joseph) : « Nous proposons en principe une douzaine d’expositions d’artistes dans l’année, mais c’est souvent 15 voire 16 ! Actuellement, le planning est complet jusqu’en Juillet 2025 !

L’UDAR (Sabine Thirel en est la Présidente) a exposé l’an passé à Saint-Pierre. Sabine Thirel faisait partie des exposants. Juste avant, nous avions une réunion avec Jean-Claude Sham Fan, le président de l’Amicale franco-chinoise de Saint-Joseph où nous évoquions ces boutiques chinoises. L’idée est donc venue naturellement de mailler cette exposition de boutiques avec le nouvel an chinois ! ». 

A propos de l'auteur

Dominique Blumberger | Reporter citoyen

Ancien enseignant et directeur à la retraite, Dominique Blumberger a rejoint les rangs de Parallèle Sud quelques mois après son lancement. Passionné de musique, gros lecteur, il propose d’ailleurs souvent des avis sur ce qu’il a lu, il affectionne plus particulièrement les portraits et les reportages.

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