Une grande figure féministe réunionnaise s’est éteinte le jeudi 8 mai dernier. Marie-Josée Barre Agénor, femme de l’ombre, ne cherchait jamais la lumière, mais son engagement a profondément marqué la société réunionnaise. Peu connue du grand public, elle a contribué, par ses actions décisives, à l’émancipation des femmes sur l’île. Lui rendre hommage, c’est saluer toute une génération de pionnières qui ont osé briser le silence et ouvrir la voie à l’égalité.
Des pionnières réunionnaises, bâtisseuses de l’égalité
De 1970 à 2000, la France connaît d’importantes avancées sociales et féministes : légalisation de la contraception, dépénalisation de l’avortement, criminalisation du viol, partage de l’autorité parentale, lois sur la parité politique. Ces conquêtes, portées par le mouvement de libération des femmes, résonnent jusqu’à La Réunion, où elles prennent une dimension particulière dans la lutte contre le patriarcat et les violences faites aux femmes.
Portées par ce mouvement favorable, des femmes comme Marie-Josée Barre Agénor, Marie-Françoise Dupuis, Thérèse Baillif et Huguette Bello incarnent cette dynamique. Huguette Bello, présidente de l’Union des femmes réunionnaises (UFR) de 1978 à 2012, joue un rôle moteur dans la défense des droits des femmes, la lutte contre les stérilisations forcées, la justice sociale et la parité, devenant la première femme députée de l’île. Thérèse Baillif, fondatrice du CEVIF, consacre sa vie à la lutte contre les violences intrafamiliales, tandis que Marie-Françoise Dupuis, première déléguée à la condition féminine dès 1977, pose les bases d’un travail de fond pour l’autonomie des femmes.
Marie-Josée Barre Agénor, quant à elle, marque La Réunion par la diversité et la profondeur de ses engagements : elle lutte pour l’émancipation des femmes, défend la culture réunionnaise et transmet la mémoire collective.
Frédérique Lebon : « Une éveilleuse de talents et une personnalité inspirante »
Frédérique Lebon se souvient de Marie-Josée comme d’une « éveilleuse de talents », sachant déceler l’étincelle chez chaque jeune pour en faire des citoyens libres et critiques.
« Elle transforme les mots en puissants leviers d’émancipation – son journal des jeunes n’est pas qu’un exercice scolaire, mais une forge d’idées où s’aiguisent les consciences », confie-t-elle, évoquant cette élève à qui Marie-Josée Barre Agénor, en fin de mandat, transmet le flambeau avec la certitude tranquille de celles qui savent semer l’avenir.
Femme de lettres, passionnée d’écriture, elle publie alors une dizaine d’ouvrages, dont L’Impératrice de jade et le calendrier lunaire chinois, mythes et légendes de La Réunion (2010) et C’est l’histoire de Gilles, entièrement traduit en créole, affirmant ainsi sa volonté de valoriser la langue et l’identité réunionnaises.
Frédérique Lebon poursuit par un hommage vibrant : « Femme de liberté, femme passionnée mais aussi femme de lettres, elle éveille les consciences, encourage la diversification des choix professionnels pour les femmes et œuvre à la prévention des grossesses précoces. »
Des hommes engagés, nouveaux alliés de la cause féministe
La société réunionnaise évolue aussi grâce à des hommes engagés, convaincus que l’égalité se construit ensemble. Frédéric Rousset, président du Collectif pour l’élimination des violences intrafamiliales (CEVIF), déconstruit les tabous et promeut la résilience des victimes. Denis Lamblin, infatigable artisan de la prévention et président de SAF France, s’impose comme l’allié incontournable des femmes réunionnaises, transformant leur combat contre l’alcoolisation fœtale en un modèle pionnier de sororité et de résilience collective.
« Leur courage, leur détermination à briser les chaînes de l’ignorance et des dépendances font de La Réunion un laboratoire d’émancipation », souligne-t-il. Des campagnes Safthon en métropole aux conférences internationales, ce pédiatre-pédagogue exporte l’excellence réunionnaise, faisant de l’île un phare mondial de prévention et de solidarité féminine, où chaque action locale devient une vague d’espoir pour l’humanité.
Sophie Elizéon : « Les droits des femmes ne sont jamais acquis »
Sophie Elizéon, Réunionnaise aujourd’hui préfète de l’Ardèche et ancienne déléguée régionale aux droits des femmes à La Réunion (2007-2012), incarne cette nouvelle génération de femmes engagées au plus haut niveau de l’État. Son parcours exceptionnel dans la lutte contre toutes les formes de discrimination inspire et montre que la vigilance et la mobilisation de toutes et tous demeurent indispensables.
Elle rappelle avec force : « Les droits ne sont jamais acquis, et nous devons rester des citoyens vigilants. »
L’actualité internationale le rappelle : en Afghanistan, les femmes sont bannies de l’éducation et de la vie publique ; en Iran, la répression frappe celles qui refusent le port obligatoire du voile.
Aux États-Unis, le renversement de l’arrêt Roe v. Wade supprime le droit constitutionnel à l’avortement, et les financements pour la protection des femmes victimes de violences diminuent.
En Europe, la montée des extrêmes droites inquiète : en Hongrie, le gouvernement d’Orban impose des politiques antiféministes, tandis qu’en Allemagne, l’AfD prône un retour en arrière pour les droits des femmes. Plus radical encore, en Italie, le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni promeut des politiques antiféministes, restreint l’accès à l’avortement via un taux record d’objecteurs de conscience (63 % des gynécologues, dépassant 80 % dans le Sud) et glorifie les rôles traditionnels de la femme sous le slogan Sfida il futuro. Senza paura (« Défie l’avenir. Sans peur »), tout en renforçant son discours nationaliste axé sur Dio, patria, famiglia (« Dieu, patrie, famille »).
Transmission, vigilance et engagement : écrire la suite
L’histoire des femmes réunionnaises s’écrit comme une conquête, une chaîne vivante d’engagements et de luttes. Aujourd’hui, alors que de nouveaux défis émergent et que l’on assiste à un recul alarmant des droits des femmes dans de nombreux pays, il nous revient de poursuivre le livre que ces femmes inspirantes et de haute valeur ont commencé : la parole à celles qui ne l’ont pas, éveiller les consciences, transmettre l’héritage et inventer des espaces de solidarité en tissant du lien humain.
À La Réunion, la sororité et la fraternité deviennent des armes puissantes pour continuer à kosé, à résister, à bâtir une société de justice et de liberté.
Porter haut la voix des femmes, c’est refuser l’ombre et choisir la lumière de l’engagement collectif. Ici comme ailleurs, l’avenir s’écrit au pluriel, dans la sororité et la fraternité.
Continuons à oser, à transmettre, à inventer, à faire preuve d’audace, pour que le droit d’être Femme – et non soumise ou subie – ne soit jamais une option.
« Derrière chaque porte secrète, il y a un monde à découvrir, et c’est à nous de l’ouvrir. »
(Marie-Josée Barre Agénor)
Frédérique Welmant
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