PUBLICATION D’UN ARRÊTÉ SANS DATE ET SANS TITRE
L’arrêté de déclassement du domaine public maritime au profit du Lux se cachait derrière un numéro depuis trois semaines. Ce qui permettait au délai de recours de s’écouler discrètement alors que la Région veut contester devant les tribunaux la vente de la plage réunionnaise au groupe mauricien IBL.
L’affaire a fait grand bruit : lorsque la Région a appris que l’Etat comptait déclasser le domaine public maritime pour vendre à bas prix 7 hectares de la plage de la Saline-les-Bains à l’hôtel Lux, elle a adopté une motion pour s’indigner. C’était le 6 septembre dernier. Les élus réunionnais déclaraient vouloir défendre le « patriotisme économique » en s’opposant à la vente du patrimoine réunionnais au groupe mauricien, IBL.
L’Etat s’est défendu au motif des impératifs économiques et de la pérennisation de l’hôtel détenu par le groupe mauricien IBL. Le 12 septembre, quelques jours après la motion, la présidente de Région Huguette Bello demandait au préfet de « suspendre toute décision dans l’attente d’une concertation avec les acteurs institutionnels et économiques » que le préfet était invité à organiser.
Derrière les déclarations publiques, le jeu de la procédure s’est poursuivi. Et l’arrêté a été publié en toute discrétion. C’est cette discrétion extrême qui étonne. La Région ne savait pas hier, lorsque nous l’avons sollicitée, que les dés étaient jetés depuis le 12 septembre. En effet, l’arrêté en question ne portait pas de titre sur le site internet de la préfecture dans la section du Recueil des actes administratifs (RAA). Impossible de le trouver par l’outil de recherche en utilisant les mots clés appropriés : « déclassement », « domaine public maritime » ou « Lux ».
Onze mois de silence
Contrairement aux autres arrêtés, son titre se limitait à un numéro, le 1834. Plus étonnant encore, il est signé du secrétaire général, mais il n’est pas daté. Voilà qui est cocasse lorsqu’il est stipulé que le délai de recours est de deux mois à compter de sa publication. A priori donc le 12 septembre. Mais c’est discutable devant un juge administratif… et pas très transparent quand la collectivité régionale a annoncé haut et fort qu’elle comptait exercer un recours.
Ce que la collectivité confirme. Elle va devoir se dépêcher car le délai s’écoule déjà. Huguette Bello déplorait dans son courrier au préfet Jérôme Filippini que les services de l’Etat aient validé la décision de vente dès le 28 juin 2023 et aient tenu la Région Réunion à l’écart de la procédure pendant onze mois. La Région n’a eu connaissance de l’affaire que le 15 mai 2024, date de la commission des cinquante pas géométriques. Son représentant s’était opposé au déclassement mais l’Etat n’en a pas tenu compte.
« Vous conviendrez, Monsieur le Préfet, que la collectivité régionale, cheffe de file en matière de développement économique, de tourisme et d’aménagement du territoire, n’a pas été sérieusement concertée en temps utile sur ce dossier, pas plus d’ailleurs que les acteurs économiques et touristiques », écrivait Huguette Bello à Jérôme Filippini. Elle précisait qu’elle « ne pouvait imaginer que le Gouvernement donne son accord définitif à cette opération. »
Elle en a déjà alerté le nouveau ministre des Outre-mer, François Noël Buffet, lorsqu’elle l’a rencontré le 27 septembre dernier. Elle aurait bénéficié avec lui d’une écoute plus attentive que celle du représentant de l’Etat à La Réunion à qui elle écrivait : « Céder un élément essentiel du patrimoine de notre île à un groupe basé dans un pays étranger constitue à nos yeux un acte d’une réelle gravité dont nous devons mesurer la portée. L’attractivité de notre territoire et la coopération en matière économique ne doivent pas se traduire par l’abandon de nos intérêts fondamentaux »… Ou quand une brouille préfectorale pourrait devenir une affaire d’Etat.
Franck Cellier