Manifestation contre la réforme des retraites

[Politique] Dans l’Outre-mer, la réforme des retraites s’annonce cruelle

LA SITUATION DES RETRAITÉS ULTRAMARINS EST À AMÉLIORER « D’URGENCE »

Élus ultramarins et oppositions locales à la réforme des retraites dénoncent des changements impensés à l’échelle de ces territoires, où les écarts avec l’Hexagone sont déjà abyssaux. Cet article est paru chez nos amis de Mediapart.

À La Réunion, en langue créole, on les appelle avec respect « gramoun ». « L’amélioration de la situation des retraités les plus modestes est particulièrement urgente Outre-mer, compte tenu de la grande pauvreté de certains d’entre eux. » Ce constat inquiétant n’émane pas d’un tract de la CGT mais d’Hervé Mariton, ancien ministre des Outre-mer, actuel président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (Fedom). Le représentant des patrons de l’Outre-mer écrivait la semaine dernière dans un éditorial adressé aux adhérents de son organisation qu’ « en 2021, l’âge moyen de départs à la retraite en métropole est de 62,7 ans contre 64,9 ans en Guadeloupe, 64,3 à La Réunion et 65 en Guyane. » Ces chiffres sont ceux de l’Insee et de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

Ils sont repris avec indignation par Karine Lebon, députée (GDR) de La Réunion. « À La Réunion, nous avons le triste record des pensions les plus faibles de France ! Un retraité réunionnais touche en moyenne 1160 euros brut par mois soit 28% de moins que dans l’Hexagone. Sur notre île, la moitié des retraités touche un montant brut de retraite inférieur à 850 euros par mois et cela fait 43% de moins que dans l’Hexagone ! Finalement, chez nous, six retraités sur dix ont une pension inférieure au seuil de pauvreté. »

© Franck Cellier

Depuis son petit appartement de la rue du Général-Rolland, dans le quartier populaire de Bouvet, à Saint-Denis de La Réunion, Roselyne Hoarau parle à Mediapart d’autres chiffres encore : « N’allez pas croire qu’avec 1 000 euros de retraite on arrive à s’en sortir, même avec 500 euros de plus je n’y arriverais pas ! » La gramoun aux perroquets a 67 ans. Moins de deux ans qu’elle est à la retraite. « Obligée ! J’ai été malade, j’ai arrêté à un moment donné. Pourtant, j’ai commencé à 18 ans. » Pendant 40 ans, elle a travaillé à la laverie de l’hôpital de Saint-Denis. Maintenant, elle a « mal au dos, mal partout. [Elle ne peut pas] soulever des choses lourdes, il faut faire attention. »

Espérance de vie inférieure de 6 ans

Elle tient à témoigner de ce que « profiter de la retraite » n’est pas une sinécure. « Quand j’ai payé ma mutuelle, ma garantie obsèques, mon loyer, il ne me reste plus grand-chose pour vivre. Mon loyer est à 600 euros. Je ne suis pas dans un logement social, je paye plein pot. Sans compter l’eau, l’électricité, le téléphone. Je suis obligée de faire des sacrifices. Je préfère donner à manger à mes animaux et manger ce qu’il y a, de la purée, du soso maïs. »

« Les séniors réunionnais sont trois à quatre fois plus nombreux à être pauvres que dans l’Hexagone ! Leur niveau de vie médian est inférieur d’environ 30%, reprend la députée Karine Lebon. Nous avons une espérance de vie inférieure de six ans à cause de l’obésité, du diabète, d’autres choses encore… Malgré cette mauvaise santé, les Ultramarins partent plus tard à la retraite. Enfin, ceux qui le peuvent, ceux qui sont encore en vie. »

Carrières incomplètes, niveau de vie insuffisant pour partir, les travailleurs ultramarins, sont obligés de partir plus tard afin d’avoir une « surcote ». À quoi il faut ajouter que le salaire minimum à La Réunion n’a été aligné sur le montant du SMIC hexagonal qu’en 1996. À Mayotte, aujourd’hui encore, il est presque 30% inférieur à celui du reste du territoire national.

« Avant même de se demander si cette réforme est juste ou injuste, il faut se poser la question de la consultation des outre-mer », explique à Mediapart le député (GDR) de Polynésie Moetai Brotherson. Il a interpellé la Première ministre sur ce sujet dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, lors des questions au gouvernement. « Nous avons des conditions de pauvreté, de précarité de l’emploi, d’emploi des femmes, la problématique du chlordécone, des victimes des essais nucléaires, qui sont spécifiques aux outre-mer. Rien de tout ça n’est intégré dans la réflexion et dans l’étude d’impact sur cette réforme des retraites. Donc, sur le principe, nous disons qu’on ne peut pas nous imposer un train de mesures qui n’ont été réfléchies que dans une logique hexagonale. »

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement a répondu au député polynésien. Sèchement. « Toutes les réformes des retraites, depuis la création du système de la sécurité sociale, ont été appliquées de façon uniforme sur le territoire de la République, que ce soit en métropole ou sur les territoires ultramarins. Il n’y a donc pas lieu de penser que cela fonctionnera différemment cette fois-ci. Il y aura des échanges avec les élus des territoires pour amender le texte si les conditions d’examen le permettent : il en va de même pour les territoires ultramarins et pour la métropole. »

Forte mobilisation outre-mer

Point commun entre la métropole et les collectivités ultramarines : la mobilisation a été forte jeudi 19 janvier et mardi 31 janvier pour protester contre la réforme des retraites. De Mamoudzou à Saint-Denis de La Réunion en passant par Papeete et Fort-De-France ou encore Cayenne et Pointe-à-pitre, les salariés et certain.e.s employé.e.s précaires ont battu le pavé. Pas de révolution type Lyannaj kont la pwofitasyon (LKP) mais des cortèges fournis et des mots d’ordre unitaires, à l’image de ce qui s’est passé en France.

Y compris à Tahiti, où le système est pourtant différent puisque le système de retraite est géré localement, par la Caisse de prévoyance sociale (CPS). « Peu de gens savent que le système est géré différemment à Tahiti mais il ne faut pas oublier que la CPS n’est pas dépendante de la France, précise le gouvernement de Polynésie française, contacté au téléphone. La CPS a ses propres problèmes. » Chômage des jeunes, vieillissement de la population, maladies post-coloniales, les maux du système collectif de solidarité de Polynésie française sont ceux de l’Outre-mer. Selon l’Insee, un quart des jeunes Ultramarins n’a aucune activité au sens où il n’est ni en étude, ni diplômé, ni en emploi, ni même en recherche d’emploi.

Dans ces conditions, dans la bataille parlementaire qui s’annonce au Palais Bourbon, le gouvernement ne pourra pas compter sur le soutien des députés ultramarins, quel que soit leur bord politique. Appoint occasionnel des élus de droite et de la majorité les élus du groupe Libertés indépendants Outre-mer et territoires (LIOT) ont déjà annoncé leur opposition au projet de réforme.

De son côté, malgré le constat « de l’urgence à améliorer la situation » des retraités ultramarins, le patron de la Fédération des entreprises d’Outre-mer se dit favorable à l’allongement de la durée de cotisation pour toucher une pension complète. Hervé Mariton conclut sa lettre aux chefs d’entreprise en « espérant que la période qui vient n’ajoute pas un blocage social aux crises successives » que l’Outre-mer a traversées.

Julien Sartre

A propos de l'auteur

Julien Sartre | Journaliste

Journaliste d’investigation autant que reporter multipliant les aller-retour entre tous les « confettis de l’empire », Julien Sartre est spécialiste de l’Outre-mer français. Ancien correspondant du Quotidien de La Réunion à Paris, il travaille pour plusieurs journaux basés à Tahiti, aux Antilles et en Guyane et dans la capitale française. À Parallèle Sud, il a promis de compenser son empreinte carbone, sans renoncer à la lutte contre l’État colonial.

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