Exercice illégal de la profession de médecin, le procès de six années de pratique d’acupuncture

Ce jeudi 30 janvier 2025, au tribunal de police de Saint-Pierre, une femme a été jugée pour exercice illégal de la profession de médecin entre 2017 et 2023. Sa peine s’élève à 20 000 euros d’amende dont 15 000 en sursis, et deux cents euros de préjudice à verser à chacune des trois personnes ayant porté plainte contre elle. L’illégalité de sa pratique repose sur les actes médicaux, les diagnostics et les traitements qu’elle délivrait, sur fond d’un flou concernant son statut de médecin qualifiée. Derrière ce procès, plane un enjeu de santé publique et d’information, soulevé par le procureur de la République. Entre subtilité terminologique et évolution du rapport sociétal à la médecine, Parallèle Sud vous propose de démêler cette affaire.

« Comment ne pas vous être rendu-compte que vous apparaissiez comme un médecin auprès de vos clients, patients, ou je ne sais comme vous les appelez ? », demande la juge à la prévenue, une femme d’une cinquantaine d’années, poursuivie pour avoir pratiqué du 1er janvier 2017, au 31 décembre 2023 des pratiques d’acupuncture, de ventousothérapie et de maxobustion. La prévenue est accusée d’avoir induit en erreur les personnes qui sont venues la voir pendant ces six années de soins, d’avoir établit des diagnostics, des traitements, et des actes médicaux dont l’exercice est strictement réservé aux médecins, aux chirurgiens dentistes pour les actes en lien avec la chirurgie dentaire, et les sage-femme pour les actes en lien avec l’obstétrique.

Un cadre légal strict

Dans le cabinet, situé à L’Etang-Salé, étaient prodigués des soins d’acupuncture, par l’introduction d’aiguilles sur des points de pression précis. Cette pratique de médecine traditionnelle chinoise est connue pour soulager certaines douleurs chroniques, mais aussi soigner des pathologies psychologiques comme l’anxiété, la dépression, ou encore des troubles liés à la grossesse, etc. La ventousothérapie, elle, est d’avantage une technique de relaxation consistant à positionner des ventouses et opérer un effet de succion. Finalement, la maxobustion consiste à chauffer ces mêmes points d’acupuncture, à l’aide d’un petit bâton.

Pourtant, l’acupuncture est par la jurisprudence considéré comme un acte médical. La praticienne se défend par le fait d’ avoir méconnu cet élément, et ainsi de n’avoir aucunement pris conscience de l’illégalité dans laquelle elle se trouvait durant ces années de pratique. Confuse , elle déclare,  » Pour moi, je faisais du bien-être, je faisais du bien aux gens, rien de plus. D’ailleurs, je ne me suis jamais substitué à un médecin. » Mais alors que sa défense peine à s’ancrer sur d’autres arguments qu’une simple méconnaissance légale du sujet, certains éléments de l’enquête aggravent son cas.

Absence de diplôme reconnu et patients en détresse

Sur sont site internet, la prévenue jugée à l’audience, mentionne certaines formations et diplômes médicaux, faisant gages de qualité quant aux soins délivrés. A la barre, elle revient sur son parcours. Elle entame d’abord une formation de kinésithérapeute, qu’elle abandonnera au bout de deux ans pour des raisons personnelles, mais qui sera pourtant mentionnée sur la page internet. Quelques années plus tard , elle se rend au Vietnam pour passer une formation d’acupuncture, à l’issue de laquelle elle sera diplômée par l’Institut franco-vietnamien de médecine traditionnelle orientale. A son retour, elle lance son activité et accueille ses premiers « patients ». Oui mais voila, elle n’est pas médecin, et n’a ainsi pas le droit en France d’user de cette pratique.

Parmi les patients qu’elle reçoit, plusieurs se trouvent dans des situations de vulnérabilité et s’en remettent à la praticienne pour traiter certains problèmes de santé. Une personne ayant lancé une procédure de PMA (Procréation médicalement assistée) se rendra par exemple au cabinet pour y chercher de l’aide. Après un premier bilan, on lui proposera plusieurs séances pour favoriser la nidation de l’embryon. D’autres patients ayant témoigné à l’encontre de la praticienne ont déclaré se trouver dans des situations de fragilité psychologique. Certains sont venus chercher  » des pertes de poids », quant d’autre souhaitent des  » boosts d’énergie suite à des périodes difficiles. »

Ces éléments de l’enquête renforcent les doutes quant à la culpabilité de la prévenue, qui assure pourtant, n’avoir en aucun cas voulu arnaquer ou mentir aux personnes qui venaient la voir. Une bonne volonté assurée par la jugée, mais qui ne suffira selon la décision des juges, à contre-balancer l’omission complète du cadre légal posé par le code de la Santé.

« Le problème, c’est votre démarche, vous prétendez soigner, or vous n’avez pas le droit »

Cette affaire pose le sujet de la terminologie, l’importance des mots dans les liens de confiance qui s’installent entre les patients et la prétendue médecin. Sur la base des mots utilisés, des explications données, des diplômes présentés, se créé en réalité un rapport de « soigné » à « soignant », de « patient » à « sachant » rapporte le procureur. Pour les premières séances, lorsqu’elle accueille les personnes qui viennent la voir, dans son bureau, elle porte une blouse blanche. Une pancarte est fixée sur sa porte, sur laquelle est inscrit  » Médecine chinoise traditionnelle ». Ces éléments de l’enquête accentuent la confusion évidente quant au statut de médecin supposé de cette femme.

En clair et dans cette situation, en dehors des actes médicaux obligatoirement délivrés par des médecins, la délivrance d’un certain nombres de soins sont autorisés seulement au titre d’une pratique de « bien-être ». Derrière ces mots, un enjeu de santé publique est défendu par un représentant du département de la Réunion de l’ordre des médecins, ayant fait le déplacement pour assister au procès. «  C’est aussi l’image de la médecine générale que nous sommes venus défendre. Les diplômes délivrés par la formation générale de médecine attestent d’un encadrement intellectuel quant aux connaissances et aux pratiques transmises. En dehors de cette formation, on en peut contrôler ce qui s’y passe, or, il existe un nombre incalculable de manières de pratiquer la médecine », explique t-il à la barre. L’enjeu ne serait ainsi pas de juger dans le fond la pertinence, l’intérêt ou les bienfaits des médecines alternatives et complémentaires à la médecine conventionnelle, mais bien de ne pas ranger l’ensemble des pratiques médicales dans le même tiroir, d’autant qu’elles ne font pas toutes l’objet du même dispositif de remboursement par la mutuelle.

Le procès d’une pratique illégale, mais non d’un type de médecine alternative

Si le déplacement d’un représentant de l’ordre national des médecins à ce procès témoigne de l’importance d’un enjeu plus large de santé publique, il ne faut pas confondre la culpabilité d’une personne mise en cause avec une remise en question plus globale de la qualité de certaines formes de médecines, dites « douces », ou « alternatives ».

Si la campagne de vaccination au Covid 19 avait largement posé au cœur du débat public la question d’une méfiance envers la médecine conventionnelle, dans un contexte d’obligation du vaccin pourtant délivré par des professionnels de santé certifiés, cette méfiance s’applique aussi à certaines médecines douces et alternatives, non reconnues sur le plan scientifique par la médecine conventionnelle. Alors, nul besoin de trancher ou de choisir entre ces deux médecines, peut-être s’agirait-il en réalité de prendre du recul sur un système de santé conventionnel qui révèle aussi dans certains cas des formes d’insuffisances, la ou les médecines non conventionnelles peuvent s’avérer être des ressources efficaces, et inversement?

En somme, s’en remettre à la médecine, et à quel type de médecine est avant tout une histoire de choix individuel, à faire en toute liberté et connaissance de cause, la ou les dérives médicales dans le secteur conventionnel ou non, doivent passer au crible de la justice.

Sarah Cortier

Procès acupuncture 974

L’acupuncture au tribunal à La Réunion

A propos de l'auteur

Sarah Cortier | Etudiante en journalisme

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique, Sarah souhaite désormais se former au métier de journaliste qui la fait rêver depuis toujours. Persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits et d’apporter de nouveaux regards sur le monde pour le faire évoluer, Sarah souhaite participer à ce travail journalistique engagé aux côtés de Parallèle Sud.

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