L’érosion menace 50% du littoral réunionnais

ÉPISODE 4 DE L’ODYSSÉE RÉUNIONNAISE : QUAND LA MER PREND LA TERRE

Le jeudi 20 décembre 2012, dans une période de forte houle, une partie du mur de soutènement de l’esplanade des Roches-Noires, à Saint-Gilles-les-Bains, s’effondre. Le 1er mars 2023, un arrêté préfectoral annonce l’interdiction d’accéder à la bordure côtière du littoral de Champ-Borne, sur la commune de Saint-André, pour risque d’effondrement. Pendant ce temps et depuis des années, sur la plage de l’Ermitage, les filaos laissent peu à peu apparaître leurs racines. 

Ces événements et observations sont les résultats d’un même phénomène, celui de l’érosion du littoral. Aujourd’hui et selon les chiffres du Bureau de recherches géologiques et minières de la Réunion, sur les 250 km de côte,  la moitié du littoral réunionnais serait touché par ce phénomène d’érosion. Dans ce nouvel épisode de podcast, j’ai décidé de vous parler ce cette histoire de la mer qui prend la terre. 

Des grains de sable qui voyagent

Pour tenter de comprendre l’origine, les causes et l’ampleur du problème actuel de l’érosion marine, j’ai rencontré Roland Troadec, docteur en océanographie et géologie marine. Sa spécialité, ce sont dynamiques hydro sédimentaires littorales. 

En résumé lorsque l’on parle de littoral, on désigne en faite l’espace qui fait la transition entre la mer et la terre. Le trait de côte, qui sépare ces deux espaces, n’est pas fixe, puisqu’il évolue sous l’effet de phénomènes naturels  comme par exemple les houles, cyclones, vents, vagues, courants… Le littoral peut subir un engraissement ou bien une érosion, c’est-à-dire perte graduelle de matériaux (roche, sable, etc.) entraînant le recul du trait de côte, l’abaissement des plages ou le recul des falaises. 

Les grains de sable sur lesquels nous posons notre serviette voyagent. Et dans les apports sédimentaires constituant et nourrissant ces espaces, Roland Troadec m’explique que les coraux ont un rôle essentiel.

«Les vagues, c’est un peu la roulette russe, on ne sais jamais quand cela va tomber sur nous»

Dans le quartier de l’Étang-du-Gol à Saint-Louis, je rencontre Mélodie Houbé, qui habite l’une des maison du boulevard du front de mer. Elle s’est installée dans ce petit paradis, loin de l’agitation citadine,  y a cinq ans. Vivre en face de la mer, cela a a toujours été un rêve pour elle. Même si elle était au courant du risque d’érosion et de submersion marine, au moment de l’achat de sa maison, le rêve a été entaché par un sentiment d’abandon de la part des pouvoirs publics. La réalité de la vie en bord de mer à l’Étang-du-Gol, c’est que lorsque les vagues montent et menacent de détruire les constructions, Mélodie ne peut qu’espérer qu’elle sera encore une fois épargnée. 

« Il y a des vagues qui sortent de temps en temps, c’est déja arrivé qu’il y ait des maisons submergées, c’est un peu comme la roulette russe, on ne sait pas trop si cela va tomber sur nous, et quand. On a l’impression que l’on en parle pas, que les choses ne sont pas prises aux sérieux. Je pense qu’il y a des solutions, mais cela demanderait à remettre en question tout le système. A l’origine il y avait des dunes, mais à la place on a mis des roches. Si on avait été sur Saint-Gilles, peut être que cela aurait été pris plus au sérieux», me confie -t-elle.

Une course à la bétonisation, mais à quel prix?

Redonner aux plages l’espace dont elles ont besoin pour survivre, c’est un peu l’idée défendue par Roland Troadec. Selon lui, les projets de bétonisation et d’artificialisation des sols sur les littoraux ont aggravé le processus d’érosion. Pourtant, certains décideurs politiques et acteurs privés défendent encore des projets immobiliers ou hôteliers à implanter sur le littoral. Comme si, parfois, les informations relevant de l’urgence écologique et sociale ne parvenaient à venir jusqu’aux oreilles de celles et ceux qui ont le pouvoir de décision. 

Jean-Louis Dumont est aussi un habitant du quartier du Gol.  Cela fait plus de 60 ans qu’il vit dans ce quartier. Alors, pour le défendre, en aôut 2023, il a participé avec d’autres habitant.e.s du quartier, dont Mélodie, à créer le Kolektif Sovgard Zarlor Kartyé Létan (KSZKL). Pour lui, protéger sa terre, c’est aussi protéger la mémoire de ses ancêtres. 

« L’année derrière, la houle est passée à 17 m, cela devient plus stressant. Le danger est là, avec la houle hivernale surtout. Le quartier de l’Etang a une histoire, il a ses atoûts aux niveaux culturel et économique. On demande aux autorités de tenir compte de nous, et aussi pour la mémoire de nos ancêtres. Normalement, les autorités compétentes sont en train de faire des études, mais on verra ce que cela donne», m’explique Jean-Louis.

Faire des études pour gagner du temps et retarder la prise en charge du problème, cela me rappelle la stratégie politique menée depuis des années, que dénonçait Roland Troadec. Le chercheur les qualifie «d’études alibis», destinées à se donner bonne conscience et ne pas agir à la hauteur de l’urgence du problème. « Tant qu’il y aura un mètre carré à bétoner ici, ils continueront à bétoner. Après moi le déluge.»

J’ai demandé à Jean-Louis et Mélodie si leur amour de la mer s’était transformé en peur. Leur inquiétude est surtout liée à un sentiment d’impuissance et une absence de prise en charge réelle du problème de la part des pouvoirs publics. Pour autant, ils m’expliquent que la mer sera toujours une source d’émerveillement à leurs yeux.

Episode réalisé par Sarah Cortier

Quand l’océan prend la terre

A propos de l'auteur

Sarah Cortier | Etudiante en journalisme

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique, Sarah souhaite désormais se former au métier de journaliste qui la fait rêver depuis toujours. Persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits et d’apporter de nouveaux regards sur le monde pour le faire évoluer, Sarah souhaite participer à ce travail journalistique engagé aux côtés de Parallèle Sud.

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