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Quand le système de soins culpabilise les handicapés psychiques ou mentaux

3/4 HANDICAP INVISIBLE

Les organismes comme la MDPH jugent mal le handicap invisible, qu’il soit psychique ou mental. Daphnée Schott coordinatrice du collectif Zourit Santé déplore un manque de connaissance ainsi qu’un manque de moyens pour réhabiliter les personnes souffrant de ces maladies.

Zourit Santé accompagne les patients et les aidants à faire face à leur maladie psychique.

À partir du cas de Sylvie (prénom d’emprunt), incapable d’organiser son quotidien du fait de sa maladie psychique, une fibromyalgie diagnostiquée après un long parcours médical, nous avons enquêté sur ces handicaps invisibles. Donc mal reconnus par les institutions censées accompagner les malades.

Plus que « mal re-connus », les handicapés invisibles sont carrément mal jugés à La Réunion, comprend-on suite à notre rencontre avec la neuropsychologue Daphnée Schott, coordinatrice du Zourit-Santé, qui représente 4 associations centrées sur les pathologies du cerveau (MND&Co, France AVC Réunion, AFTC M-OI et le collectif Avec).

Bien que le handicap mental ou invisible soit très répandu à La Réunion — Denise Ledormeur, présidente de l’association Handicap Solidaire, affirme qu’il concerne 80 % des handicapés — au quotidien, il est dénigré. On ne laisse pas la priorité à un handicapé psy à la caisse d’un magasin. On rigole quand une personne souffre de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) comme s’assurer quarante fois que sa porte est bien fermée et se mettre en retard pour ça. On imagine qu’une personne incapable de faire son ménage est une fainéante…

« Il y a un mauvais regard qui est porté sur le handicap invisible et un mauvais jugement, affirme Daphnée Schott. Si vous n’êtes pas en fauteuil roulant, avec des appareils auditifs visibles, des grosses lunettes noires avec une canne d’aveugle, eh bien on vous regarde de travers. Mais amenez un Alzheimer faire ses courses, je vous assure que c’est sportif… Il y a toute une mentalité à changer. »

Alors qu’il n’y a pas de famille qui ne compte en son sein une victime de troubles mentaux ou psychologiques, les mentalités archaïques perdurent parmi la population. Plus grave. Elles prospèrent également dans le monde médical. Pourtant le dernier rapport disponible sur la santé mentale (Observatoire régional de la santé, 2019) montre que la Réunion est la région de France la plus touchée par la mortalité liée aux troubles mentaux, la surmortalité y est de 23% par rapport à la moyenne nationale.

La MDPH juge mal les handicaps invisibles

Dans notre précédent article, Sylvie déplorait que la MDPH (Maison départemental des personnes handicapées) sous-estime son handicap, lui refuse toute allocation et lui attribue un taux d’invalidité inférieur à 50%. Ce qui l’empêche d’obtenir une aide à domicile alors qu’elle ne parvient pas à assurer l’entretien de son logement.

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Daphnée Schott corrobore ce constat et évoque le « mauvais jugement » de la MDPH dans l’exemple d’un recours très récent : « Nous avons accompagné le recours d’une patiente à la MDPH. Alors qu’un médecin spécialiste, un neuro-psychologue kinés avait écrit noir sur blanc que la dame ne pouvait plus retravailler, le médecin référent de la MDPH lui a dit : « Mais quand même, en faisant un petit effort, vous pourriez retravailler, Madame, vraiment ». C’est le signe que nous avons un système de soin culpabilisant vis-à-vis des handicapés invisibles. Je veux bien admettre que ce soit plus par méconnaissance que par malveillance ».

Voilà donc que des avis de spécialistes sont régulièrement contredits par les évaluateurs de la MDPH. Et les patients concernés finissent par renoncer à faire reconnaître les troubles cognitifs qui leur pourrissent la vie. Ils changent leur « handicap invisible » en un « handicap caché ». Ce qui est pire et les isole.

Trop de dossiers pour seulement 4 évaluateurs à la MDPH

Peut-on évoquer des économies budgétaires réalisées sur le dos des personnes fragiles ? Pas directement car les enveloppes dévolues aux allocations et aux aides aux handicapées sont payées par la Caf (Caisse d’allocations familiales) et le financement des structures d’accueil ne dépend pas de la MDPH. Sa commission des droits (CDAPH) ne lie pas ses notifications à la disponibilités des places en structure. « On notifie un placement mais on sait qu’il ne sera opérationnel que dans 10 ou 14 ans », déplore Daphnée Schott.

De fait, le manque général de moyens explique la faiblesse de l’aide aux handicaps invisibles. La MDPH ne dispose que de 4 personnes en mesure d’évaluer les handicaps des usagers. « Il n’y a pas de temps pour les former car pendant ce temps-là, les dossiers ne seront pas traités. Et dès qu’il y a un arrêt maladie, ça fait tout sauter. Alors oui, elles sont obligées de faire de l’usinage, elles ne peuvent pas voir les patients en présentiel et s’attarder sur leurs dossiers comme il le faudrait. »

Il y a 10 ans, le Zourit Santé a pris le relai d’associations qui s’essoufflaient et s’est proposé de former les professionnels à l’accompagnement des maladies du cerveaux : les séquelles d’AVC (2 000 patients par an), de traumatismes cérébraux (2 500 par an), les maladies dégénératives de type Alzheimer ou Parkinson, la schizophrénie, la dépression, la bipolarité, les troubles cognitifs d’origines diverses, etc.

« Ce sont des maladies dont on ne guérit pas et dont on ne meurt pas comme d’un cancer », remarque Daphnée Schott qui souligne l’aspect « militant » de Zourit. 10 personnes font tourner l’association pour traiter quelque 900 demandes d’aide par an. Autant de malades ou de proches désorientés face au labyrinthe de la prise en charge : la MDPH pour les moins de 60 ans, le Département ensuite…

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L’inconvénient de la « culture du positif »

Les personnes ne savent pas décrire leurs difficultés. Et les professionnels de santé chargés de les diagnostiquer ont longtemps été dans la « culture du positif pour ne pas plomber le moral du patient ». Zourit a donc dû expliquer aux kiné ou aux orthophonistes qu’il ne fallait pas minimiser les difficultés de leurs patients dans leurs rapports sinon ils ne seront pas reconnus dans la grille d’évaluation de la MDPH.

« Maintenant les neuro-psychologues préconisent le taux d’invalidité et nous demandons aux médecins de consigner qu’une personne ne pourra pas retravailler. C’est indispensable pour débloquer l’allocation adulte handicapé », signale Daphnée Schott.

La montée en puissance des stress — dus à l’épisode Covid (+25% de troubles dépressifs et anxieux) ou au harcèlement au travail — provoque mécaniquement une augmentation des handicaps invisible de par leur action délétère sur le cerveau. « La santé mentale de La Réunion n’est pas au top. Les couples vont mal, les famille vont mal. C’est quand même un constat assez général. On ne sait pas si le Covid a déclenché tout ça, mais mais on n’est pas dans une ère de joie, de bonheur et d’épanouissement. »

Deux ans d’attente pour un accompagnement psy

Selon la coordinatrice du Zourit Santé, la défaillance n’est pas tant dans les soins à la santé mentale via l’EPSMR (Établissement public de santé mentale de La Réunion) que pour la réhabilitation des malades. La Réunion ne dispose pas de structures spécialisées pour les troubles cognitifs comme il en existe en France et aux Antilles alors que la création d’une Unité d’évaluation, de réentraînement et d’orientation socio-professionnelle (Ueros) est inscrite au plan régional de santé depuis 15 ans.

Les CMP (Centres médicaux-psychologiques) manquent cruellement de moyens : « Un CMP est censé prendre le relais après un séjour à l’EPSMR pour accompagner le patient mais on a deux ans d’attente en fait », déplore-t-elle.

Enfin, le Zourit Santé mène des campagnes de prévention pour aider les personnes âgées à sortir de l’isolement social qui favorise les maladies dégénératives. Il conseille dès l’enfance une alimentation saine en expliquant que la « petite pâte grasse » du pain bouchon qui va se cacher dans une veine du doigt de pied peut remonter au cerveau sous forme de caillot dans quelques dizaines d’années. Des conseils aussi pour porter un casque, faire attention aux chocs cérébraux sur les terrains de foot ou de rugby. Il rappelle également aux planteurs que la maladie de Parkinson est reconnue comme maladie professionnelle chez les agriculteurs exposés aux pesticides…

Texte : Franck Cellier

Photos : Zourit Santé

Lire également : Une demande de reconnaissance de handicap tombe toutes les 15 minutes à La Réunion

La MDPH juge mal le handicap invisible

Les malades psychiques ou mentaux, mais aussi les spécialistes de ces handicaps invisibles ont encore beaucoup de  mal à faire reconnaître ces souffrances. Ce qui se traduit par un système de soins défaillants pour leur prise en charge.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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