mise en circulation du viaduc de la NRL

[Routes] Un quart de NRL livré avec 3 ans de retard et des surcoûts «astronomiques»

GRANDS TRAVAUX

Dimanche à midi, la NRL s’ouvrira enfin à la circulation trois ans après la date de livraison initialement prévue. Mais pas sur tout son linéaire, ni même sur toute sa largeur… Et la vitesse de circulation y sera limitée en certains endroits à 50 km/h. Pas mal pour une 2×3 voies !

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Il est taquin Le Quotidien de mercredi quand il évoque une moitié de demi-NRL rendu à la circulation à partir de dimanche. Mais il est dans le vrai. Ce même quotidien était — en fin de comptes – particulièrement optimiste lorsqu’au début du deuxième mandat de Didier Robert, il avait annoncé la livraison d’une demi-NRL en 2020, s’attirant alors les foudres de l’ancien président de Région.

La suite, on ne la connaît que trop bien. Parallèle Sud y a consacré un dossier qui ne cesse de s’épaissir. L’attribution du marché aux multinationales Bouygues et Vinci, en 2013 et 2014, avait ignoré l’absence de ressource en matériaux pour sa réalisation. Ce qui a déclenché une enquête, toujours en cours, du Parquet national financier, pour favoritisme et corruption. Et ce qui s’est surtout conclu par l’impossibilité de finir une route en mer qui fait de La Réunion un symbole international du gaspillage des fonds publics.

Les surcoût explosent. Dans son opération « vérité », la Région les estime aujourd’hui à 840 M€ (débloqué en mars dernier dans le cadre du protocole d’accord Matignon 3). Ce qui amène le coût total de la NRL de 1,6 milliard à 2,4 milliards. Et c’est sans compter les 900 M€ déjà réclamés par Bouygues et Vinci au titre des aléas survenus depuis le premier coup de pioche le 20 décembre 2014. 

« Des demandes extravagantes »

Bien malin qui peut deviner ce qui restera à payer de ces réclamations une fois les procédures amiables et juridiques épuisées. Nicolas Morbé, directeur des routes à la Région, rappelle que les discussions sont en cours et prévues pour durer : « Les demandes sont exagérées et extravagantes par rapport à ce que les entreprises espèrent obtenir et ce qu’elles espèrent  obtenir est encore bien supérieur aux sommes qui leur seront éventuellement dues », précise-t-il. 

Si l’énormité des sommes évoquées les rendent abstraites à la perception de tout un chacun, l’ouverture, enfin, du fameux viaduc de 5,4 km s’annonce comme la premier acte tangible de la réalisation de la NRL. Plus tangible en tout cas de la première inauguration du viaduc par Didier Robert en mars 2021, en début de campagne électorale des régionales. La NRL ne menait alors nulle part et Parallèle Sud avait préféré en rire en ouvrant la voie de l’ancien tunnel du Chemin de fer reliant la Grande Chaloupe à Saint-Denis. La vidéo ci-dessous rappelle cette aventure avec en prime le rappel de notre premier logo…

Trêve de plaisanterie à 2-3 milliards, l’ouverture de dimanche, qui risque de provoquer un embouteillage de curieux, va surtout démontrer les imperfections de la route. En effet, seules 2 voies sur 6 seront ouvertes à la circulation parce que les tronçons en digues (environ 3 kilomètres sur 8) présentent déjà des défauts qu’il faut réparer. D’où la présence d’énormes grues sur la moitié côté mer des digues.

La carapace d’accropodes (gros blocs de bétons armés en étoile), qui était censée rester indéboulonnables et inusables pendant les cent ans d’espérance de vie de la NRL, n’a pas résisté aux houles cycloniques de ces deux dernières saisons qui n’avaient pourtant rien d’exceptionnel. Environ 700 accropodes sont apparus cassés ou branlants . L’année dernière, une première étude a évalué à 2 800 le nombre de ces blocs à enlever, remplacer et reposer. Les houles de Batsirai et Emnati du début de 2022, pas plus exceptionnelles que les précédentes, ont fait de nouveaux dégâts, portant à près de 5 000 le nombre d’accropodes à déplacer. 

Les digues en chantier jusqu’à février 2023

Les usagers de la demi-NRL assisteront à ce chantier pendant 5 à 6 mois. La présidente de Région annonce en effet l’ouverture du viaduc dans son intégralité pour février 2023. Et la réparation de la digue va coûter entre 15 M€ à 20M€ mais la Région est fière d’avoir obtenu des entreprises qu’elles prennent ces surcoûts à leur charge.

En attendant l’ouverture totale du viaduc avec des voies dédiées aux bus et aux cyclistes, il conviendra donc de se plier au plan de circulation présenté dans la vidéo ci dessous. Les automobilistes allant de Saint-Denis au Port prendront la NRL. Dans le sens inverse, ils continueront à circuler sous la falaise friable surplombant l’actuelle route du littoral en fin de vie. Comme expliqué sur la vidéo de la Région ci-dessous.

La pas si vieille route du littoral, inaugurée en 1976 doit être abandonnée, pas seulement parce que la falaise menace de s’effondrer sur ses usagers, mais aussi parce que l’océan la ronge par en-dessous, détruisant doucement mais sûrement tous les tétrapodes qui la protègent. D’où la question : De quelle garantie la Région dispose pour que la carapace d’accropodes des digues de la NRL, une fois réparée,  n’exige pas elle aussi d’infinis et coûteux travaux de réparations au gré des trains de houles ?

Officiellement, « un accropode bien posé est garanti par le constructeur comme ne nécessitant aucune intervention nouvelle » et « c’est dans le cahier des charges ». Les Réunionnais verront à l’usage comment les multinationales respecteront ce cahier des charges et interviendront rapidement et gratuitement pour repositionner les futurs accropodes mal posés…

Sachant que la Région dit avoir dû mener un véritable « bras de fer » avec l’entreprise pour obtenir ces premières réparations de digue, les élus actuels et futurs auront besoin d’énergie pour faire respecter le deal. « Nous continuerons à suivre comme du lait sur le feu les carapaces des digues et les piles du viaduc avec des inspections détaillées après chaque saison cyclonique », assure Nicolas Morbé.

Horizon 2030 pour l’achèvement de la NRL

Quant au chantier abandonné du tronçon entre la Grande Chaloupe de la Possession, il y a bien eu une première réunion préparatoire avec l’ancien préfet pour sa relance dans une option « tout viaduc ». Mais la seule chose que l’on sache, c’est, dixit Huguette Bello, que «c’est une somme astronomique » et que « la route complète ne sera pas livrée avant 2028-2030 ». Bien malin encore qui pourrait dire si cette prédiction est optimiste ou pessimiste.

Notons que les opposants à la carrière de Bois-Blanc dont l’exploitation a été autorisée par la préfecture pour fournir les enrochements nécessaires à la l’option digue MT5.2, ne seront rassurés que lorsque l’Etat renoncera à défendre son arrêté d’autorisation devant les tribunaux. Ce qui n’est pas encore le cas…

Le tout nouveau préfet Jérôme Filippini se donne « quelques semaines pour se prononcer sur ce sujet avec le ministère qui fait appel » mais il laisse entendre que l’Etat se décidera  « en cohérence »… et ne devrait donc pas continuer à défendre un projet de carrière dont la raison d’être était liée à la construction de feu la digue MT5.2.

Franck Cellier

À propos

Le préfet Jérôme Filippini et Huguette Bello à l’issue de la conférence de presse du mardi 23 août.

Entre les dangers des chutes de pierres et des chicanes

L’ouverture de la route des Tamarins avait servi de terrain de jeu à des Formule 1, en 2009, avec Jean-Pierre Jarrier au volant. Ça ne risque pas de se reproduire sur la NRL. Ou alors il faut aimer les chicanes… Il s’agit d’une mise en service anticipée en phase de chantier. Par endroit, la vitesse sera limitée à 50 km/h. Et la Région insiste sur le respect de ces contraintes de sécurité.

« On ne voudrait pas que pour des raisons de sécurité liées à la falaise, on se retrouve avec des problèmes de sécurité routière du fait du comportement des usagers », insiste le directeur des routes. La NRL n’a en effet d’autre raison d’être que la mise en sécurité des usagers. Elle n’ouvre pas de nouvel axe ni même ne prétend réduire les embouteillages, ce serait donc cruel que sa mise en service la rende plus meurtrière que la falaise…

Remise en cause du démontage de la future ancienne route

La communication régionale a lancé le #finirlaNRL mais il faut bien comprendre que derrière cette obligation se dessine la volonté de la finir « en rupture » avec le projet initial. L’inconstructible digue MT5.2 qui devait relier la Grande Chaloupe est donc abandonnée. Ça a été dit et répété.

Mercredi, la présidente Huguette Bello a aussi annoncé qu’elle ne se considérait pas tenue par la mesure de compensation environnementale, financée par l’Europe qui prévoit « le démontage » de l’actuelle route du littoral pour 50 M€. « La i démont pa ryin pour l’instant, dit-elle. On n’a pas de formule définitive pour l’ancienne route du littoral lorsque l’autre sera livrée. Nou lé rish koman pour démonter ça pour 50M€? Comment peut-on dire dans un pays si pauvre que le jouet n’est plus bon, qu’on va le démonter et que ça va nous coûter tant ? I fo ke nou koz ek lerop pou dir à elle qu’il faut de la raisonnabilité ». 

« On ne peut pas répondre à la question de la solidité »

Lors de l’assemblée plénière consacrée à la NRL, Christian Annette, élu de la majorité, avait évoqué des doutes sur la solidité des pilles du viaduc. Maintenant que le viaduc s’ouvre à la circulation, Huguette Bello préfère souligner « l’expertise des entreprises qui ont mis leur compétence, savoir-faire et ingénierie pour construire cet ouvrage ».

« La question de sa solidité est difficile, Nous ne sommes pas des spécialistes, on ne peut pas répondre avec prudence ou imprudence à une telle question. On a vu en Italie des ponts qui sont tombés au moment où on s’y attendait le moins, remarque-t-elle néanmoins. On a déjà vu ici le pont de la rivière Saint-Etienne tomber. Nous espèrons que ça ne nous arrivera. On ne veut pas se projeter, quand on fait de la politique, on est des optimistes ».

Région Réunion le préfet Jérôme Filippini, Huguette Bello, Jacques Técher, Nicolas Morbe, Idriss Omarjee Tatiana Cuvelier
« Nou lé rish koman », a demandé Huguette Bello à propos du coût du démontage de l’actuelle route du littoral.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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