HARCÈLEMENT SCOLAIRE
Cinq pour cent des enfants sont victimes de harcèlement scolaire. Si l’Education nationale semble prendre le problème à bras le corps, elle est impuissante quand les actes se déroulent pendant le temps périscolaire sous la surveillance des personnels communaux.
« C’est rien; ce sont des jeux d’enfants. » Voilà comment sont accueillis trop souvent les parents quand ils viennent signaler un cas de harcèlement scolaire. Faut-il rappeler qu’un jeu, c’est quand les deux protagonistes sont d’accord. Quand l’un des deux s’amuse et l’autre rentre de l’école en pleurs et se plaint de maux de ventre avant d’y aller, ce ne sont pas des jeux. C’est la situation que vit Irshad (*) depuis des années dans son école de Saint-Joseph.
« Dans l’école, notre enfant est harcelé et violenté par l’un des autres élèves. Ce garçon terrorise tout le monde et n’est pas recadré », peste la maman. De fait, un témoin nous a confirmé le problème que pose un enfant incontrôlable, il a lui-même retiré ses enfants de cette école pour cette raison. Si la directrice « fait la sourde oreille » d’après les parents du jeune Irshad, les autres membres de l’équipe éducative prêtent attention à la situation. Depuis, il n’y a que pendant la pause méridienne que les violences continuent. « Une dent cassée, coups de poing et de pied, attouchements aux toilettes, scarification sur le bras à l’aide d’un morceau de bois, jets de sable ou de cailloux, d’une bouteille pleine au visage… », énumère la maman désemparée.
« La directrice m’a dit, vous n’avez qu’à le retirer de la cantine ou changer d’école, mais nous ne pouvons pas », soupire-t-elle encore. Elle assure que d’autres parents se plaignent, sans que rien ne change. En désespoir de cause, l’enfant ne mange plus à la cantine. Mais les parents doivent travailler et suivre une formation. Impossible dans ces conditions.
Etude nationale
Si le temps scolaire semble maitrisé, la pause méridienne surveillée par des personnels communaux tourne à l’anarchie. « Les enfants racontent qu’ils restent sans surveillance. Et quand l’un d’entre eux se plaint, les surveillantes adoptent une posture intimidante », poursuivent les parents.
L’actualité fourmille de cas semblables. Une récente étude nationale menée en novembre 2023 auprès d’un échantillon de 21 700 élèves du CE2 à la Terminale montre que 5 % des écoliers du CE2 au CM2 ont peur d’aller à l’école, 19 % des écoliers sont considérés comme étant dans une situation « à surveiller », que la part d’élèves ayant demandé de l’aide auprès d’un élève, d’un parent ou d’un adulte de l’équipe éducative, parmi ceux ayant l’impression d’être embêtés souvent, atteint 63 % des écoliers du CE2 au CM2 ; 5% de cette classe d’âge sont considérés comme victimes de harcèlement.
Alors que le gouvernement parle d’organiser des cours d’empathie auprès des enfants, on ne peut que penser que ces cours devraient être administrés en priorité aux adultes. Les drames, faute de réaction de la part de l’Education nationale, font la une de la presse. On se souvient que le jeune Nicolas, dans l’académie de Versailles, s’était suicidé après que la rectrice avait envoyé un courrier aux parents pour les menacer d’une plainte. Un retournement de situation, comme le raconte un podcast sur France Inter, que vivent nombre de parents de l’Hexagone, qui parfois subissent une enquête sociale après s’être plaints auprès de l’établissement scolaire. France Inter cite les propos d’un responsable de l’Education nationale: « C’est une culture. Quand les établissements scolaires sont pris en défaut, ils ont souvent ce réflexe de discréditer la parole des parents et des enfants. C’est comme une logique de protection vis-à-vis de l’institution. En réalité, ils sont pris en défaut de surveillance et vigilance vis-à-vis des élèves. »
550 professionnels formés
« Ça n’existe pas à La Réunion », assure Françoise Penant, référente académique pour le harcèlement scolaire. La conseillère technique auprès du recteur compte une quarantaine de cas annuels dans le premier degré. Des cas qui n’ont pas trouvé de solution dans le cadre du protocole mis en place dans l’académie. « Il ne faut jamais minimiser, il n’y a pas de petit harcèlement », souligne Françoise Penant. « Toutes les situations doivent faire l’objet d’un suivi adapté. Les enfants doivent bénéficier d’une écoute bienveillante dans un climat de confiance. La stigmatisation des établissements, c’est terminé », poursuit-elle.
Pour faire face au fléau du harcèlement scolaire, l’académie a organisé ces trois dernières années la formation de 550 professionnels de l’Education nationale, le projet pHARe. Des entretiens sont organisés pour tout signalement avec les parents, l’élève harcelé, les témoins, les psychologues et infirmiers scolaires, etc. Idem pour le harceleur. Cela d’ailleurs a été fait récemment pour le petit Irshad en présence de l’inspectrice de la circonscription. L’administration se donne deux semaines pour établir un diagnostic. « On peut exclure le harceleur, mais c’est difficile de sanctionner dans le premier degré », rappelle Françoise Penant. Qui ne peut que constater l’impuissance de l’Education nationale quand il s’agit du personnel communal. « Il en est de la responsabilité de la mairie. Le directeur de l’école doit signaler le problème, diligenter une enquête et prévenir la collectivité. » Et de conseiller une plainte si l’Atsem ne fait pas son travail. Ni la directrice de l’école, ni la mairie de Saint-Joseph n’ont répondu à nos sollicitations.
Philippe Nanpon
(*) Le prénom de l’enfant a été modifié pour garantir son anonymat.