COMMENT ON TRAITE LA QUESTION DU SANS-ABRISME À LA RÉUNION
Trois fois par semaine, Nadia Malagouen mobilise une équipe de bénévoles pour nourrir et aider les sans-abris de Saint-Leu. Cet élan alternatif se substitue aux pouvoirs publics pour lutter contre la misère extrême.
« Sans association, sans argent, sans politique ! » Nadia Malagouen a le verbe haut. Elle occupe l’espace sonore sur le perron de la salle polyvalente à l’arrière de la Poste de Saint-Leu ce mercredi matin entre 8h et 9h. Ça grouille autour d’elle. Jean-Claude, de la charcuterie éponyme, lui apporte des sacs de saucisses et du boudin. Une dame débarque avec du riz. Une autre avec du pain. Josie prépare le poulet pour les sandwiches.
Autour du buffet garni de victuailles une quinzaine de sans-abris — ou de personnes en grande précarité — se partagent le « petit-déj ». Ils et elles en profitent pour aller aux toilettes, prendre une douche avec de l’eau chaude « une banalité pour les gens qui ont une maison, un parcours du combattant pour ceux qui n’en ont pas », remarque Nadia.Il en est ainsi tous les mercredis et vendredis. Les dimanches, c’est carrément un repas qui est servi à côté du « pont rouge » et qui peut attirer une quarantaine de personnes dans le besoin.
Une heure intense
« Dimanche 11 février, il y aura les coiffeurs de Koulér lo kér et l’humoriste Ruddy Cabbix », annonce Nadia. Sa page Facebook se visite comme l’album-photos de quatre années d’entraide au profit des sans-abris de Saint-Leu. En plus de la collation matinale, elle distribue des couvertures et un peu de charcuterie. En une heure chrono, la séance de partage est un intense moment d’échange puis chacun reprend son chemin, son histoire… que l’on devine douloureuse.
Cette visite saint-leusienne survient après le bilan humain inacceptable du passage du cyclone Belal. 3 SDF morts dans les rues de La Réunion à cause des intempéries, c’est, rapporté à un pays comme la France, 300 morts en une tempête. Nadia Malagouen a été choquée par la légèreté, voire l’indifférence, avec laquelle ce drame a été traité.
Son initiative — qu’elle mène évidemment avec une équipe de bénévoles au grand coeur — montre que les pouvoirs publics ne répondent pas aux besoins des populations les plus précaires. La mission est certes compliquée tant les trajectoires cassées des sans-abris empruntent des chemins tortueux. Ça demande un investissement énorme. Avec sa forte personnalité Nadia arrive à gérer toute la bande « sans (se) laisser marcher sur les pieds ».
Sans aide publique
« Qu’est ce qui me motive? », s’exclame-t-elle. « La misère ! Je ne supporte pas qu’on ne fasse rien. Je les ai vus dans la rue. Je les ai aidés… C’est tout ! » Mère de 4 enfants, elle a habité dans différents pays. A chaque fois, elle s’est investie contre la grande pauvreté. En plus d’organiser des moments de partage, elle accompagne chaque sans-abri. « Je les connais tous. Je sais par où ils sont passés. Si je te le disais, ça te ferait pleurer. Tu peux dire en tout cas qu’en quatre ans, nous en avons sauvé 37, nous les avons sortis de la rue. » Puis elle confie : « Il y en a aussi 5 qui sont morts… »
La colère n’est jamais loin. Elle apparaît discrètement entre les nombreux remerciements qu’elle publie sur sa page Facebook. Elle déplore par exemple l’attitude du maire de Saint-Leu et des élus en général qui préfèreraient cacher la misère sous le tapis. Tout est dit dans son mode de fonctionnement : « Sans association, sans argent, sans politique ! »
« En quatre ans on n’a pas accepté un euro et on arrive à nourrir tout le monde trois fois par semaine », conclut-elle. « Il faut croire qu’il y a une intervention divine. A chaque fois que nous manquons de quelque chose il y a quelqu’un qui nous fait un don de nourriture ou nous donne un coup de main ». Et de citer les généreux.ses : Sandrine, Aurélien, Josie, la charcuterie Jean-Claude, la boulangerie la Vanilleraie, Sandra… Depuis le début de cette aventure plus de mille personnes ont donné la main.
Franck Cellier