La sécheresse à Saint-André révèle une crise de l’eau faussement locale

Aurélie Dubard-Grondin est chargée de médiation en culture scientifique à Sciences Réunion, et fondatrice d’une association d’éducation à l’environnement et au développement durable, O Sphère. Depuis début janvier, dans un contexte de sécheresse,  plusieurs communes, majoritairement dans l’Est, ont été soumises à des coupures d’eau nocturnes. Pourtant, ce sont ces mêmes communes qui en moyenne, et depuis des années, enregistrent les taux de pluviométrie les plus importants de l’île. Explications d’une véritable crise de l’eau globale et systémique…

Enfant de l’Entre-Deux, Aurélie repense souvent à ses souvenirs de baignades dans la rivière du bras de la Plaine, à la sortie du collège. En ce mois de janvier 2025, le déficit de pluviométrie est alarmant. A la date du 20 de ce mois de janvier, Météo France annonçait que seulement 10% des précipitations moyennes mensuelles avaient été enregistrées. La scientifique ajoute: “Moi, j’ai vu les choses évoluer en seulement 25 ans. Je sais que ça sera différent pour mes enfants. J’ai des souvenirs de rentrées scolaires repoussées au mois de février à cause des cyclones et des inondations. Là, on est au mois de janvier et j’entends dire qu’on est en alerte rouge, pour sécheresse à Salazie ? On en est à voir des personnes prier pour que la pluie revienne. C’est vraiment catastrophique.” Mais alors, si le basculement des eaux et la vétusté des réseaux sont les premiers éléments pointés du doigt par l’opinion publique, face à l’urgence de la situation, cet épisode de sécheresse est en réalité plus global qu’il n’y parait.

Aurélie Dubard-Grondin, lors d’une exposition de photos en nature, en novembre 2024
Aurélie Dubard-Grondin en intervention pédagogique, avec l’association O Sphère

Revenir aux bases du cycle de l’eau pour comprendre la crise 

Alors, comment explique-t-on un tel épisode de sécheresse dans une zone naturellement si humide ? « Pour bien cerner la situation dans laquelle nous sommes, insiste Aurélie Dubard-Grondin, il faut reprendre les bases du cycle de l’eau. » 

Pour ce qui est de la version vulgarisée, le fonctionnement naturel du cycle de l’eau suit globalement ces étapes : l’eau des rivières coule jusqu’à la mer, puis s’évapore et se concentre dans les nuages, pour ensuite se transformer a l’état liquide, sous forme de pluie, et rejoindre les rivières.

Un des premiers grain de sable dans l’engrenage, est le dysfonctionnement causé par le dérèglement climatique, notamment à cause de la hausse des températures de l’air et de la mer. Conséquences d’un cycle qui dysfonctionne: au même moment où l’on connait des niveaux extrêmes de précipitation, on connaît à d’autres endroits des niveaux extrêmes de sécheresse. Cette pression, impacte le cycle à l’échelle locale.

Schéma du cycle de l’eau, Office International de l’Eau

L’eau de la cascade n’arrive pas directement dans le robinet

Sur l’île, les déficits de pluviométrie impactent les réserves de ressource en eau, par un processus qui n’est pas toujours visible, donc pas toujours facile a comprendre. Dans le cirque de Salazie, par exemple, le fait que les cascades coulent encore n’a pas de lien direct avec l’apport de l’eau au robinet. De la même façon, il peut être complexe de comprendre comment, suite à des périodes de fortes précipitations liées aux cyclones, on peine à alimenter l’ensemble du territoire en eau potable.

Ce qu’il faut comprendre, et ce qu’explique Aurélie Dubard-Grondin, c’est que les précipitations de l’année passée par exemple, malgré les cyclones Candice et Bélal, n’ont par exemple pas suffit à remplir les nappes phréatiques, pour les mois qui ont suivi. Celles-ci représentent pourtant en clair, le plus grand réservoir en eau potable, dans lesquelles est captée l’eau dédiée à nos usages quotidiens. A cela s’ajoute également de nouvelles pressions sur la ressource, liées aux activités anthropiques.

Les usages en eau ne sont plus les mêmes qu’avant, et ne font également qu’accroitre la pression exercée sur une ressource, en réalité fragilisée. En parallèle de la hausse de la démographie, on observe une multiplication des usages quotidiens en eau potable. “ C’est quand même scandaleux que l’on voit et que l’on autorise des gens à arroser leur jardin en cette période de sécheresse, avec de l’eau potable, à 10 heures du matin, alors que l’eau va s’évaporer instantanément » s’offusque la scientifique. Alors, si nous sommes loin de l’usage d’une baignoire par personne et par jour, remplie dans la rivière du bras de la Plaine, comme décrit Aurélie Dubard-Grondin dans ses souvenirs d’enfance, cette crise ne serait elle pas une occasion supplémentaire pour questionner notre consommation en eau ? 

Par ailleurs, si l’on invite, voire oblige la population à diminuer ses usages en eau, les autorités publiques se doivent d’être exemplaires sur ce point. Là aussi, on en est loin, affirme Aurélie Dubard-Grondin. 

Un agenda politique pollué par les calendriers électoraux

Faire de la protection de la ressource en eau une priorité politique exige de placer cet enjeu au cœur de l’ensemble des décisions politiques prises, et ainsi changer de prisme de décision. Puisque tout est relié au cycle de l’eau, il s’agit désormais de réfléchir autrement, et ce dans tous les domaines. Aurélie Dubard-Grondin explique par exemple comment les choix de plantation impactent la ressource.

Les forêts de cryptomérias, espèce importée du Japon, plantées dans les années 50 pour alimenter la filière bois, sont extrêmement gourmandes en eau. Un cryptoméria, consomme en moyenne cinq cents litres d’eau par jour, équivalent à deux baignoires, explique la médiatrice scientifique. « Là encore, ne faudrait-il pas repenser les politiques agro-forestières en y intégrant des espèces endémiques moins gourmandes en eau« , suggère Aurélie Dubard-Grondin?

Pareillement, la construction et la bétonisation à outrance ne font qu’accroître les dysfonctionnements liés au cycle naturel de l’eau.  » On bouche des ravines, on artificialise les sols, on empêche l’écoulement naturel de l’eau et son infiltration. » Parfois, même, des aberrations sont relevées par les citoyen.es quant aux usages publics de l’eau. « Je comprends aussi que les gens se scandalisent d’avoir des restrictions quotidiennes, quand dans certaines communes, on laisse les arrosages automatiques, qui dans certains cas, arrosent le bitume, sur les routes”, explique Aurélie Dubard-Grondin.

Stratégie à court terme

Par ailleurs, la vétusté des infrastructures de distribution d’eau à l’échelle des collectivités joue aussi sur les pertes et les dysfonctionnements. Là encore, il est question d’inégalités dans les moyens dont disposent les collectivités territoriales, d’un bout à l’autre de l’ile, mais aussi d’agenda politique. Car comme le rappelle Aurélie Dubard-Grondin, « Il est souvent questions de moyens et de volonté. Les moyens restent par ailleurs bien plus faciles à mobiliser que la volonté politique de faire bouger les choses. »

Faute de volonté, car guidés par des échéances électorales, difficile pour les élus de s’attaquer à de lourds chantiers, pourtant nécessaires, et étudier une transition à la hauteur de l’enjeu. Pourtant, ce ne sont pas les solutions qui manquent, à la Réunion. Récupérer l’eau de pluie, désaliniser, inciter au stockage, moderniser les réseaux de distribution d’eau, etc. Pourtant, la stratégie à court terme reste la même pour bien des axes de la transition écologique: le statu quo. Repousser, repousser, repousser le problème, mais jusqu’à quand?

En attendant de réfléchir sur le long terme, cette crise exige un effort collectif et citoyen certes, mais couplé d’une exemplarité politique, sur un fond de communication et de pédagogie accrue. En clair, si l’on impose des restrictions aux citoyen.es, il s’agirait au moins de justifier et d’expliquer de façon simple et claire, le pourquoi du comment, il est parfois nécessaire de couper, ou modifier l’alimentation en eau.

Ce qu’on fait aux gens, c’est leur retirer leur eau, sans leur expliquer pourquoi

Le problème, selon Aurélie Dubard-Grondin, est aussi largement politique. Selon elle, la gestion de cette crise de l’eau ravive des inégalités économiques et sociales déjà présentes entre l’Ouest et l’Est. En cause, l’absence d’explications données dans un contexte de restrictions sur un fond de basculement des eaux d’est en ouest. « Ce projet débuté en 1980 ne répond plus au contexte et enjeux actuels de la ressource« , explique Aurélie Dubard-Grondin. Par ailleurs, il faut aussi nuancer l’imaginaire collectif qui repose sur l’idée que « toute l’eau de l’Est va dans l’Ouest« . Selon les chiffres de l’Office de l’eau, ce basculement d’Est en Ouest ne correspond en réalité qu’à un taux de 40% du prélèvement total.

Dans le même sens, la fermeture de sites de baignades et de rafraichissements dans un contexte de forte sécheresse est source d’indignation, à l’image de bassin Chaudron, sur la commune de Saint-Denis. Mais voila, ce site est fermé pour captage d’eau. Ces informations, si elles étaient bien transmises et expliquées correctement, permettraient d’apaiser les tensions, selon la médiatrice scientifique.

 “ La, ce que l’on fait aux gens, c’est leur retirer leur eau, sans leur expliquer pourquoi. Il faut absolument faire de la pédagogie, expliquer aux gens pourquoi ces décisions sont prises. Je ne dis pas que ça passera pour tout le monde, mais ça risque d’atténuer une tension. L’eau est une tension qui créé des clivages entre ce qui est perçu, il faut le dire, comme “ la petite population de l’Est” qui n’a pas la même catégorie socio-professionnelle que celle de l’Ouest. C’est malheureux, mais le message qui est donné, est quand même qu’on donne de l’eau à l’Ouest, alors que, dans l’Est, les gens sont en train de crever la gueule ouverte. Donc clairement, aujourd’hui, ce message est accentué avec cette crise de l’eau. »

Intervention pédagogique de l’association O Sphère, sur une aire éducative, dans la rivière du Bras de la Plaine à l’Entre-eux

La vérité sort de la bouche des enfants

Avec son association O Sphère, Aurélie intervient auprès des publics scolaires. Au travers des aires éducatives, les élèves se constituent en conseils, au même titre qu’un conseil municipal et prennent des décisions pour protéger une portion de rivière, de façon collective et démocratique. Une façon de les sensibiliser à la problématique de la ressource en eau, et plus largement à l’écologie. Aurélie raconte les échanges souvent très enrichissants, auxquelles elle assiste lors de ces interventions.

«  On invite les enfants à donner leur avis, et parfois, ils rencontrent des gestionnaires ( des élus, des garde-pêche, etc. ). C’est un moyen de leur faire comprendre que leur avis est important, de leur donner de l’espoir. Je leur dis souvent, que non, ce n’est pas parce que tu as dix ans et demie que tu n’as pas une idée de génie. Parce que les messieurs qui ont soixante-dix ans et qui sont assis sur un fauteuil, et bien parfois, ça n’est pas mieux. Parfois, on est subjugués par des idées de jeunes de dix-sept ans. Une fois j’ai dû réagir à la remarque d’un enfant qui me disait que c’était nul ce qu’on faisait, parce que si personne ne protégeait la rivière avant et après leur portion, ça ne servait à rien. Il venait de comprendre l’importance de la gestion intégrée. »

En somme, comprendre cette crise de l’eau nécessite de dézoomer à la fois sur le plan géographique et météorologique, mais aussi à l’échelle économique, politique et sociale. Les déficits de pluviométrie, le basculement des eaux, la vétusté des tuyaux, l’artificialisation des sols, la hausse de la consommation de l’eau par habitant et bien d’autres facteurs explicatifs doivent être étudiés non pas en silo, mais comme facteurs inter-dépendants d’une crise complexe et globale, qui ne fait malheureusement que commencer.

Sarah Cortier

Crise de l’eau à la Réunion

A propos de l'auteur

Sarah Cortier | Etudiante en journalisme

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique, Sarah souhaite désormais se former au métier de journaliste qui la fait rêver depuis toujours. Persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits et d’apporter de nouveaux regards sur le monde pour le faire évoluer, Sarah souhaite participer à ce travail journalistique engagé aux côtés de Parallèle Sud.

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