LA SITUATION DES AESH À LA RÉUNION
Le 3 octobre dernier, plusieurs accompagnant.e.s des élèves en situation de handicap (AESH) s’étaient rassemblé.e.s devant le Rectorat de Saint-Denis. Leur revendication : de meilleures rémunération et considération de leur travail. Aujourd’hui, où en sont-iels à La Réunion ?
“C’est un emploi précaire”, confirment Jackie* et Rosalie*. L’une a été AESH pendant quatre ans, l’autre est toujours en poste depuis 20 ans. Corinne Peyré, secrétaire académique du SNES FSU* et enseignante, le dit également : « Les AESH sont mal payé.e.s». Un salaire qui peut aller jusqu’à 1 600 euros par mois. « Pour 24h par semaine, je gagne environ 1 500 euros. » , nous raconte Gwen, elle aussi en poste depuis 5 ans. « Mais il y a un gros problème de gestion des bulletins de paie », continue-t-elle en pesant ses mots. Ces problèmes de paiement, Corinne Peyré les dénonce aussi : « Les AESH sont maltraité.e.s, déconsidéré.e.s. Pour nous, ils et elles ont toute leur place dans l’équipe pédagogique. » Pour l’instant, les AESH ne sont pas convié.e.s aux conseils de classe, un exemple qui montre comment iels sont traité.e.s.
Ces problèmes ont pour impact une crise du recrutement. 9 200 élèves en situation de handicap inscrit.e.s (dont 1 200 dans des établissements éducatif-sociaux) pour 3 000 AESH. « Il y a un gros décalage » selon Corinne Peyré : « Il manque des AESH ». Un avis que ne partage pas Jean Devries, conseiller du recteur pour l’école inclusive : « Une situation de handicap ne nécessite pas forcément un.e AESH ».
« J’adore mon métier »
Leur métier ne semble pas d’après iels, toujours bien compris. « Pendant mes quatre ans, j’ai pu suivre différents enfants avec différents handicaps : autiste, handicap moteur, trisomie 21, déficience intellectuelle, troubles dys, etc. » nous explique Jackie en listant sur ses doigts. Des accompagnements multiples et compliqués selon l’enfant. « J’adore mon métier, il y a des hauts et des bas parfois », dit en souriant Rosalie, AESH depuis 20 ans. Des « bas » à tous les niveaux. « On ne s’assoit pas juste, il y a tout un travail de suivi, d’observation : ça peut être pesant », continue-t-elle. Les syndicats et accompagnant.e.s soulignent la méconnaissance de leur métier. « On leur demande de s’auto-former » nous raconte Corinne Peyré. Un travail d’autoformation qui peut dériver hors de leur quotité d’heures. Faire des recherches sur la pathologie, les moyens qui peuvent être utilisés, les tentatives de rapprochement avec l’élève, les échecs, etc. Bien qu’iels aiment leur métier, la charge mentale est présente.
« Il y a certains professeurs qui profitent de nous aussi » souligne Gwen*, AESH depuis 5 ans. Le schéma habituel devrait être, le professeur explique la consigne puis l’AESH oriente l’élève. Or, « ils se reposent complètement sur nous ». Elle l’illustre avec l’enfant qu’elle suit, Louna*. « Elle ne voulait pas rester dans la classe d’ULIS*. Le professeur a pris le portfolio avec les exercices et a dit ‘tu ne veux pas rester ? D’accord, pars avec ton AESH et va travailler où tu veux.’ ». Une situation qui devient compliquée autant pour l’accompagnante que pour Louna : « Elle ne veut pas aller dans les classes, donc elle traîne dans les couloirs. Je me retrouve à faire de la garderie. ».
Gwen dit comprendre son comportement : « Elle est rejetée de partout« . Un jour où elle devait avoir anglais, Louna insiste pour partir. Le professeur d’anglais accepte, Gwen lui propose alors d’aller en classe d’ULIS : « Elle a dit oui. C’était quand même une victoire. » Mais en arrivant dans sa classe, le professeur refuse qu’elle reste : « Il lui a clairement dit ‘non, je ne veux pas de toi, tu dois être en anglais’« . L’AESH tient à préciser que bien que ces cas existent, ils restent peu fréquents : “Certains professeurs ont de grosses classes, ou ne sont pas formés, je comprends qu’ils n’ont pas le temps ou l’énergie”.
« Dire que l’élève doit être autonome, ça veut dire qu’on n’a rien compris au handicap ».
Ces réactions, certain.e.s AESH l’expliquent par la méconnaissance des handicaps. «Chaque handicap est différent, comme chaque enfant l’est », explique Jackie, ancienne AESH. Selon Corinne Peyré, le discours officiel dit que « ce n’est pas si important si l’élève n’a pas son AESH tout le temps. Il faut qu’il soit de plus en plus autonome ». Elle dit ne pas être d’accord avec cette idée : « Leur rôle n’est pas de les rendre autonomes, mais de leur permettre d’être élève comme les autres ». Les AESH sont présent.e.s dans différents moments de leur journée : en classe, pour les cours de sport, en sorties scolaires, pour la prise des repas, aller aux toilettes, etc. « On est dans la vie des élèves », insiste Rosalie, AESH depuis 20 ans.
Ce discours institutionnel, on le retrouve chez Jean Devries, conseiller du recteur pour l’école inclusive : « La mission principale, c’est d’accompagner dans l’autonomie, pas dans un maintien de la dépendance ». Bien que la forme soit la même, sur le fond, il semble y avoir une nuance. « On veut éviter de créer un attachement affectif » explique-t-il. « À l’université, l’élève ne sera plus accompagné, pareil dans le monde du travail. » Jean Devries précise qu’une idée circule dans leurs têtes : « On a pensé à la création d’un calendrier de réduction du temps d’accompagnement. Mais il n’existe pas encore pour plusieurs raisons. » Cela s’explique d’après lui par la famille de l’enfant qui est satisfaite de l’accompagnement ou bien par les avis de l’équipe pédagogique.
Mais la question de l’autonomie d’un élève en situation de handicap, reste tout de même compliquée à accepter pour les AESH. Jackie, ancienne AESH est catégorique : « Dire que l’élève doit être autonome, ça veut dire qu’on a rien compris au handicap ».
La création d’un nouveau métier : une menace ou pas ?
Sa création avait été énoncée en avril 2023 dans un dossier de presse sur la Conférence Nationale du Handicap. L’accompagnement à la réussite éducative (ARE) semble, selon le syndicat SNALC*, vouloir remplacer et fusionner deux autres métiers : celui des AESH et celui des AED*. Une décision qui a mis la panique au sein des travailleur.se.s sociaux.ales. Le métier d’ARE veut être créé dans l’intention de palier la crise du recrutement que connait les AESH. Mais pour Corinne Peyré, secrétaire académique du SNES FSU : « on voit d’un mauvais œil ce ARE. On ne voit pas comment ça va améliorer les conditions. » Selon elle, le gouvernement agrandirait le périmètre de compétences sur lequel les travailleur.se.s peuvent intervenir, pour résoudre le problème du manque de salariés.
Une fusion de deux métiers aux compétences différentes qui n’est pas au goût des AESH. «Ce n’est pas du tout la même relation avec l’élève. L’AED c’est un peu le flic du collège, alors que l’AESH, il y a une relation de confiance », confie Gwen, légèrement inquiète.
Jean Devries, conseiller du recteur pour l’école inclusive souhaite corriger cette interprétation. « Il ne s’agit pas de fusionner des projets déjà existants. Pour le métier d’ARE, ça sera du personnel encore en plus. » Il précise que ce projet de création de métier d’ARE n’est pas « vraiment officiel » bien que cela apparaisse dans le dossier de presse de la Conférence Nationale du Handicap.
Lauryne Tantzy Periassamy
* Les prénoms ont été changés par soucis d’anonymat.
* SNES FSU : Syndicat National des Enseignements du 2nd degré
*ULIS : Unité localisée pour l’inclusion scolaire
* SNALC : Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur
*AED : Assistant d’éducation