LIBRE EXPRESSION
Le président de la République persiste à dire que l’installation d’Uber en France est une excellente chose, et que lorsqu’il était ministre de l’économie les rencontres avec ses patrons ou ses porte-parole tournaient autour de nouvelles opportunités d’offrir du travail à ceux qui n’avaient plus d’espoir.
J’y vois là une loyauté admirable du Président Macron envers ceux qui sont du même « monde » que lui.
Oui une loyauté admirable, car devenue rare il me semble.
En effet, au regard de leurs actions menées en commun et affichées comme des réussites, je me demande si ce n’est pas cette solide complicité-là qui fait défaut dans le monde « plus bas » en niveau de richesse.
L’anecdote suivante explique mon questionnement.
Un jour, arrivé à l’autre bout de la caisse, alors que je commence à ranger mes courses dans mon petit sac recyclable, je remarque que le caissier retient un de mes articles prés de lui en continuant à faire sonner les autres du bip de son écran scanner. La personne qui m’accompagne me précise que le caissier a appelé sa responsable car l’article en question ne passe pas au bon prix.
« Ah… s’il pouvait passer moins cher » dis-je à voix haute.
Et bien oui ! C’était bien de cette situation qu’il s’agissait. L’article retenu par le caissier affichait un prix plus bas que celui indiqué sur l’étiquette prix.
Je me suis vraiment demandé quel besoin ce monsieur avait besoin de le signaler à sa responsable, je suppose que c’était madame la cheffe des caisses de 8h à 14h.
Et je me pose ces questions : est-ce de la responsabilité du caissier si les codes barres ne correspondent pas au prix affiché?
Est-ce que la cheffe des caisses épluche tous les tickets de tous les caissiers et vérifient que les prix de tous les articles sont bien ceux prévus ce jour-là ?
Est-ce que le caissier a une amende si les prix encaissés ne correspondent pas à ceux prévus par la grande direction, je veux dire le chef de tous les chefs, celui qui profite des bénéfices ?
Pire !? Est-ce que le caissier perdrait son job dans ce cas-là ?
Et, à l’inverse, est-ce qu’il a une prime pour sa grande vigilance en vue de la rectification des non-correspondances entre le prix à l’écran de sa caisse et l’étiquette sur le produit ?
Ou, est-ce qu’il est simplement idiot de ne pas savoir que son excès de zèle ne profite qu’à ceux qui veillent à ce que ni lui ni ses semblables ne vivent avec facilité ?
Je concède que cette anecdote provoque beaucoup de questions, et qu’il serait peut-être plus utile de s’inquiéter des plus gros problèmes de notre planète.
Mais je ne crois pas que les gros problèmes déboulent sans qu’une suite de petits problèmes ne les ait fait devenir gros.
De plus, cette situation semble réellement anecdotique, mais révèle selon moi un dysfonctionnement social extrêmement nocif, et pire : bien installé. Il s’agit de la disparition quasi-totale du discernement dans nos activités pourries par le capitalisme.
Je me suis franchement demandé ce qu’il risquait à me faire payer le prix auquel l’article passait plutôt que d’appeler sa responsable pour retaper le prix plus élevé. S’il avait fait cela, il ne me l’offrait pas ce produit, il ne fraudait pas non plus, et il ne commettait aucun vol en réunion. Il faisait simplement passer l’article et il faisait payer la somme indiquée sur l’écran, comme son métier le lui demande.
Mais non, ce jeune homme a décidé que l’allégeance au gros zozo d’enseigne était plus importante. Dans cette situation, la révélation que les prix sont aléatoires ne sera pas favorable au client lambda.
Peut-être sa réaction aurait était différente si j’avais été une de ses connaissances ?
J’ose espérer au moins que oui.
J’aimerai que la solidarité opère encore et toujours entre gens qui se connaissent, puisqu’ apparemment hormis dans les catégories des riches, des puissants, des élus, la solidarité se bloque entre individus anonymes.
Je n’ose pas encore rêver que tous arrivent bientôt à se reconnaitre comme pris au piège dans ce capitalisme morbide, au service de prix qui ne profitent qu’à ceux qui les fixent.
Je n’ose pas non plus encore dire tous « victimes », parce qu’on y participe avec plus ou moins d’apathie.
Moi-même je n’ai rien osé dire d’autres à ce caissier que lorsque l’inverse se produit, c’est-à-dire que le prix payé est plus élevé que celui affiché en magasin, c’est au client d’aller réclamer la différence à l’accueil un peu honteux de déranger pour vingt centimes.
Parce-que qui suis-je pour juger le contentement de ce garçon ? Il semblait si heureux que la responsable le félicite de sa réaction face aux prix rebelles et au système défaillant en lui disant qu’il était « modèle » à ne jamais faire de « bêtises ». Peut-être qu’il trouvait dans ce magasin l’attention et l’affection qui lui manquent à la maison, dans son kartié, et qu’il n’a pas de famille aimante, ni de dalons.
Du coup cette enseigne, qui lui offre la grande chance d’acquérir un salaire pour le dépenser au même endroit en plus d’une camaraderie dévouée au grand patron qui s’enrichit, devient le lieu de son épanouissement.
Ce serait l’occasion de prononcer encore une fois que la misère ne concerne pas seulement la légèreté du porte monnaie, mais parfois aussi la disette affective…
L’occasion aussi de proposer d’abord un découpage personnel du mot « soutien » synonyme de « loyauté » et de « solidarité » que j’interrogeais comme manque parmi les gens : un sou tient.
Ensuite, une invitation à réflexion de ce qui est tenu pour chacun par le sou, la vie entière ?
Pour finir, une citation d’une chanson d’Ousanousava : « lontan un moun lété pov, mé li té fé pa pitié ».
Kala Livalisse
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