réfugiés sri lankais arrêtés à leur arrivée

[Sri Lanka] « Le cimetière des abandonnés » attend les expulsés

RÉPRESSION DES EXPULSÉS SRI-LANKAIS À LEUR RETOUR AU PAYS

La majorité des réfugiés sri-lankais arrivés à La Réunion en décembre et janvier derniers ont été renvoyés dans leur pays. Comment ont-ils été accueillis ? On sait qu’ils ont été systématiquement arrêtés à leur descente d’avion, l’avocate Nacima Djafour évoque le cas de l’un de ses clients battus en cellule. Jean-Paul Panechou relate quant à lui un contexte de persécutions permanentes.

À l’arrivée des premiers bateaux de réfugiés sri-lankais en 2018, Jean-Paul Panechou s’était investi au sein de l’association Ansanm OI pour leur venir en aide. Très sensible aux questions indiennes et sri-lankaises il savait à quel point les persécutions contre les tamouls, les musulmans et les chrétiens sont dévastatrices dans le pays dirigé par les frères Rajapaksa. 

« L’association a été mise en place pour orienter des familles complètement perdues à La Réunion », raconte-t-il. Une trentaine de bénévoles leur ont donné des cours de français, ils ont trouvé des solutions de scolarisation et parfois de soins pour des enfants lourdement handicapés. Ansanm OI a soutenu les femmes réfugiées et a trouvé des pistes d’insertion professionnelle pour les hommes.

Depuis cinq ans, beaucoup a été écrit sur ce qui est devenu un fait de société et, hélas, un sujet de polémique. Un excellent résumé et commentaire de la situation vient d’être publié par nos confères d’Imaz Press. Parallèle Sud a pour sa part consacré une série d’articles sur l’installation difficile des Sri-Lankais à La Réunion, et le calvaire administratif et judiciaire qui leur est imposé.

Alors que les arrivées de réfugiés et les expulsions de la plupart d’entre eux se succèdent, Jean-Paul Panechou répond aux réactions xénophobes qui entourent ce drame humain.

Jean-Paul Panechou de l’association Ansanm OI : « Si au Sri-Lanka, ils acceptent des Français qui viennent faire des affaires, pourquoi nous ne pourrions pas accepter les Sri-Lankais qui viennent ici ? »

Les réfugiés peuvent-ils trouver du travail à La Réunion ?

Il y avait des soudeurs, des pêcheurs, des maçons et nous les avons mis en contact avec des entreprises. Ils ont le droit de travailler en attendant leur titre de séjour. L’argent qu’ils gagnent alimente l’économie de La Réunion, ils payent leur loyer et consomment localement. C’est pas compliqué de comprendre que s’ils gagnent de l’argent ils vont pouvoir payer leurs soins médicaux et tout le reste.

Qu’est-ce que les Sri-Lankais peuvent apporter à La Réunion ?

Le pays a besoin de travailleurs et il y a des tâches que les gens ne veulent plus faire à La Réunion. L’une des Sri-Lankaises arrivées dans le premier bateau a été naturalisée et elle travaille dans un restaurant, elle me dit qu’elle n’est pas là pour profiter des allocations mais pour bosser. D’autres sont allés couper la canne comme salariés agricoles. Ils sont tous polyvalents et ont envie de bosser. Il y en a un, père de trois enfants, qui était pêcheur au Sri-Lanka. Aujourd’hui il travaille dans un élevage à Sainte-Marie.

Les agriculteurs disent qu’il faut laisser rentrer les Sri-Lankais et les Malgaches pour travailler

Ils ont réussi à apprendre le français, à s’adapter ?

Bien sûr, ils sont très débrouillards pour se fondre dans la société réunionnaise. Ils n’ont plus besoin de traducteurs pour discuter avec leurs avocats. Ils parlent même le créole maintenant.

On entend beaucoup les critiques xénophobes, mais pensez-vous qu’elles soient représentatives de l’opinion réunionnaise ?

Ces gens disent tout et n’importe quoi. Non, ils ne sont pas représentatifs, ils font monter une mayonnaise facile mais ne font pas avancer le pays. Ils ignorent que les Sri-Lankais sont logés à plusieurs familles dans le même appartement.

Le débat de fond, c’est que les agriculteurs nous disent qu’il y a un manque de 10 000 personnes pour travailler. Ils disent qu’il faut laisser rentrer les Sri-Lankais et les Malgaches pour travailler alors que beaucoup de nos jeunes veulent s’habiller en Nike et Reebok mais ne veulent pas mettre la main dans le cambouis… Les Sri-Lankais que je connais n’aiment pas rester assis, ils bossent toute la semaine, et même le week-end. Ce sont des courageux qui ont traversé l’océan.

Comment ça se passe avec les nouveaux arrivants ?

Ansanm OI continue à les accompagner et il y a aussi les premiers arrivés qui les aident dans leurs démarches.

Une minorité est aujourd’hui autorisée à rester. Qui sont-ils ?

J’observe qu’on garde davantage les mères et leurs enfants, ceux qui sont vraiment dans la nécessité et ont réussi à prouver qu’ils sont persécutés. Les malades et les handicapés aussi et peut-être qu’ils commencent à regarder ceux qui peuvent être utiles pour La Réunion. C’est surtout les enfants qu’il faut sauver parce qu’au Sri Lanka il y a beaucoup d’enfants abandonnés aux pires trafics.

Il faudrait que les Réunionnais s’imaginent dans la peau des Sri-Lankais. Là-bas, tu n’as pas accès à l’hôpital, à l’école… Si demain, avec une présidente comme Marine Le Pen, qui n’en a rien à f… de nous, on avait un gouvernement qui supprime toutes nos aides, eh bien nous aussi, on sortirait du pays pour aller chercher l’Eldorado ailleurs.

Mafia et policiers corrompus

Que sait-on des Sri-Lankais qui ont été expulsés, renvoyés dans leur pays ?

C’est très difficile pour eux. Ils ont fait de la prison au retour. Il faut avoir en tête que c’est un pays corrompu. Des policiers sont de mèche avec les trafiquants. Quand les gars rentrent, comme ceux qui restent ici, il faut qu’ils paient les passeurs. Les expulsés font de la prison mais ils sont aussi harcelés, bastonnés tant qu’ils ne paient pas le voyage au centime près. Pour ceux qui rentrent et qui n’ont pas payé, c’est le cimetière des abandonnés.

Les autorités sri-lankaises ont publié la photo (floutée) de tous les expulsés arrêtés à leur descente d’avion.

Ceux qui sont venus seuls nous disent que leur épouse restée au Sri-Lanka est visitée tous les jours par la police. L’argent n’a pas de répit, ces mafieux savent que le mari est ici à La Réunion, ils sont obsédés par les euros et ils demandent sans cesse de l’argent. 100€, c’est le salaire de deux fonctionnaires là-bas.

L’éviction des frères Rajapaksa du pouvoir a-t-elle mis fin aux répressions politiques contre les opposants ?

Pas du tout. Le nouveau président, Ranil Wickremesinghe, fait partie du même mouvement maoïste. Il n’y a toujours pas eu d’élections démocratiques. Tout le monde est de mèche. Les frères Rajapaksa sont déjà rentrés de leur asile, ils sont dans leur château au Sri-Lanka. Le pays a été vendu à la Chine qui bloque l’aide du FMI (Fonds monétaire international). Dans ce pays, on peut t’éliminer et personne ne sait rien.

L’Ofpra (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides) ne reconnaît-il pas ce danger lorsqu’il rejette les demandes d’asile ?

J’ai l’impression que l’Ofpra cède à la pression médiatique des gens qui déversent leur haine à la radio. Les gens sont devenus inhumains et oublient l’histoire de La Réunion peuplée de communautés venues de tous les rivages de l’océan Indien.

En plus, aujourd’hui il y a une flopée de Français qui ont les moyens d’investir dans le tourisme au Sri-Lanka. Il y a de belles plages, ils développent des activités nautiques. Ils exploitent les travailleurs, font des affaires. L’Ofpra devait comprendre que, si au Sri-Lanka, ils acceptent des Français qui viennent faire des affaires, pourquoi nous ne pourrions-nous pas accepter les Sri-Lankais qui viennent ici ?

Entretien : Franck Cellier

Arrestations systématiques

A défaut de témoignages directs, plusieurs éléments confortent le récit de Jean-Paul Panechou sur les persécutions qui attendent les réfugiés sri-lankais renvoyés vers leur pays par les autorités françaises.

À commencer par un article paru dans le journal sri-lankais The Morning et rapportant le retour de 46 migrants illégaux le 13 janvier dernier. Cet article reprenait quasiment intégralement un communiqué de l’armée sri-lankaise (the Sri Lanka Navy). Un second communiqué, du même genre, évoque le retour de 38 « migrants illégaux » arrivés le 25 janvier.

La navy Sri-lankaise évoque le point d’étape de Diégo-Garcia. A noter que les autorités de la Grande-Bretagne, à qui appartient cette île occupée par une base navale américaine, propose de renvoyer les réfugiés sri-lankais vers le Rwanda en vertu d’une convention signée entre les deux pays !

La navy sri-lankaise est explicite sur le fait que les 84 migrants (38 + 46) ont été appréhendés et que l’enquête a établi que les passeurs, des régions de Kalpitiya, de Kandy et de Dehiwala demandaient entre 200 000 roupies à 4,5 millions de roupies par personne. Soit de 500€ à 11 500€.

Il est clair également que ces communications entrent dans le cadre de la coopération entre les autorités françaises et sri-lankaises. Un séminaire France-Sri Lanka s’est tenu à la préfecture de Saint-Denis du 14 au 16 novembre derniers pour « dessiner les axes d’un renforcement de notre coopération avec les autorités sri-lankaises  afin de mieux prévenir les départs illégaux de migrants, d’assurer leur sécurité en mer et de faciliter leur retour dans leur pays d’origine »

Séminaire France Sri Lanka avec le préfet Jérome Filippini le secrétaires du ministère des affaires étrangère prof Saj U Mendis
Le préfet Jérome Filippini et le secrétaire du ministère des Affaires étrangère sri-lankais U. Mendis ont présidé un séminaire consacré à la prévention et à la répression des migrations clandestines.

Les candidats à la migration sont donc prévenus que :  « le gouvernement français n’envisage pas l’entrée illégale de personnes à l’île de La Réunion et ces personnes seront immédiatement rapatriées dès leur arrestation ». Ce communiqué sri-lankais oublie bien sûr de préciser l’existence des conventions internationales qui encadrent les droits des réfugiés et demandeurs d’asile.

C’est d’ailleurs l’une de ces conventions, celle de Genève, que cite à La Réunion l’avocate Nacima Djafour, pour déplorer l’ignorance par l’Ofpra de son principe de « non-refoulement » des demandeurs d’asile. Selon elle, les réfugiés arrivés en décembre et janvier derniers n’ont pas pu se défendre de manière équitable. 

Elle cite le cas de l’un de ses clients dont l’Ofpra n’a pas reconnu qu’il était un ancien combattant des Tigres tamouls (LTTE). Le tribunal administratif avait quant a lui justifié sa décision de l’expulser par le fait qu’il n’était pas établi que les anciens opposants risquaient des sévices à leur retour. Son renvoi a été expéditif après la décision de justice sans possibilité d’appel. L’homme refusait de monter dans l’avion, il s’était même lacéré les bras pour échapper à son embarquement. 

« A son arrivée au Sri Lanka en janvier, il a été détenu quelques jours par le CID (Criminal Investigation Department) et frappé lors de sa détention, rapporte l’avocate.  Une fois relâché, il a été menacé de nouveaux sévices et me rapporte qu’il est tout le temps harcelé par les policiers chez lui. Il m’a écrit pour me dire qu’il avait reçu des coups de pieds et de poings en cellule. »

Un autre de ses clients, qui a lui aussi été expulsé le mois dernier, a pâti d’une procédure accélérée. Il n’a pas eu le temps de produire les preuves des brutalités policières dont il a été victime. Lorsque Nacima Djafour a enfin pu récupérer la vidéo d’un journal télévisé sri-lankais montrant les faits, c’était trop tard. Il avait déjà été mis dans l’avion sans qu’elle en soit avertie et a été cueilli par les policiers à son arrivée à Colombo.

F.C.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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