TÉMOIGNAGE D’ANOUK PITEAU, VICTIME DE HARCÈLEMENT ET OBLIGÉE DE QUITTER L’ÎLE D’AMSTERDAM PAR LA PRÉFÈTE DES TAAF
A l’inverse de tous les protocoles vantés par l’administration des TAAF, Anouk Piteau, simple volontaire du service civique, estime avoir été « virée » par la préfète Florence Jeanblanc-Risler pour avoir osé dénoncer le harcèlement sexuel dont elle a été victime.
Anouk Piteau a choisi de parler à visage découvert pour dire « l’envers de la carte postale des Terres australes et antarctiques françaises ». Elle est la victime de « La double peine du harcèlement et du départ » évoquée dans notre édition du 27 janvier dernier.
Recrutée comme volontaire du service civique, elle devait planter pendant un an 1000 phylica arborea, seul arbre endémique de l’île d’Amsterdam, et en produire 1000 en pépinière afin de reconstituer la forêt détruite par l’occupation humaine. Elle ne pourra pas le faire puisque la préfète des Taaf, Florence Jeanblanc-Risler, a décidé de la renvoyer de son poste malgré le désir de la jeune femme de poursuivre sa mission jusqu’au bout, c’est-à-dire en novembre 2023.
Avec le témoignage complet de la victime, les faits sont désormais plus précis. Jusqu’à présent, l’administration des Taaf s’était refusée à les commenter. Pas un mot de l’autorité sur le harcèlement et sur la réponse qui y avait été apportée. Il aurait fallu se contenter de la note d’intention officielle affichant un plan de lutte contre le harcèlement sexuel… « Des échanges très constructifs » auraient commencé, paraît-il.
De ce que nous apprenons avec Anouk Piteau et à la lecture de divers échanges entre les services, le climat délétère dénoncé dans le courrier de 30 hivernants des Taaf ne s’est pas (encore) apaisé.
Les faits de harcèlement
La jeune femme est arrivée sur la base Martin-de-Vivès sur l’île d’Amsterdam, le 20 août 2022. Elle était hébergée dans un bâtiment avec deux militaires. L’un d’entre eux lui a proposé dès le 22 août d’avoir des relations sexuelles avec elle. Malgré son refus, il a réitéré sa demande à plusieurs reprises verbalement et en glissant des « post-it » sous sa porte.
Apeurée face à cette insistance, Anouk Piteau s’est référée à la médecin de la base et à sa hiérarchie. Les faits ont été reconnus et le harceleur présumé déménagé dans un autre bâtiment mais il n’a pas, selon elle, émis le moindre regret. Au contraire, il se serait senti conforté par la réponse de l’administration qui a considéré que son rôle de militaire était plus important que celui d’une volontaire.
« En tant que victime j’étais rabaissée, on m’a fait comprendre que je ne servais à rien. (…) Le harceleur s’est senti dans sa toute puissance, il tentait toujours de se rapprocher insidieusement de moi », explique-t-elle. La plainte qu’elle a déposée le 16 septembre a été classée au titre que « les preuves n’étaient pas suffisantes pour que l’infraction soit constituée ».
Les réponses de l’administration
Suite à ces faits, ce dépôt de plainte, et le malaise persistant, le chef de district a organisé plusieurs réunions de sensibilisation et de concertation. Alors qu’Anouk Piteau s’était résignée à quitter les TAAF étant entendu que son harceleur présumé restait en poste, elle a changé d’avis lorsque la hiérarchie a finalement pris la décision d’éloigner le militaire. Cette décision a été annoncée le 24 décembre 2022, 5 jours après la lettre des hivernants dénonçant la double peine du harcèlement et du départ.
Florence Jeanblanc-Risler, qui s’est rendue sur les lieux début décembre, a explicité les actions de lutte contre le harcèlement sexuel dans un courrier du 6 janvier 2023. Mais elle a surtout refusé le maintien d’Anouk Piteau dans sa mission au motif du « contexte actuel particulièrement pesant qui met en danger la cohésion de l’équipe, pèse sur le moral des hivernants et nuit à la concentration de chacun sur ses missions ». La volontaire du service civique relate : « À chaque fois que j’avançais mes arguments, on me répondait que je faisais partie du problème, que j’étais la source de la mauvaise ambiance sur base et que les gens ne pouvaient pas réaliser leurs missions en ma présence. »
Anouk Piteau a donc été « virée ». Elle déplore n’avoir eu aucun soutien de ses recruteurs de la direction de l’environnement qui se sont effacés devant les décisions préfectorales. La Réserve naturelle a demandé aux autres volontaires restés sur place de prendre à leur charge la plantation des phylica arborea. Ce qu’ils auraient accepté de faire s’il y avait eu « une défaillance accidentelle » mais, dans un email à leur direction, ils estiment « difficile d’assumer les conséquences de décisions dont ils ne sont pas responsables et qu’accessoirement ils ne cautionnent ni sur le fond, ni sur la forme ».
Un climat toujours tendu
Quand Anouk Piteau parle aujourd’hui de « l’envers de la carte postale des Taaf » elle évoque un climat pesant où cohabitent des groupes assez hétéroclites de militaires, de fonctionnaires confortablement rémunérés et de volontaires du service civique percevant un salaire brut de 725 € par mois et une prime de 300 €, des communautés où les femmes sont très minoritaires et un espace clos potentiellement propice au harcèlement sexuel.
« Il y a eu d’autres cas », assure-t-elle. Ce que personne ne dément. Et c’est logique. Pourquoi les Taaf échapperait-elle au machisme et à la grivoiserie ? L’administration s’est engagée à se pencher sur ce problème. Mais dans le cas présent, Anouk Piteau conclut : « La réponse de la préfète est allée à l’encontre de l’amélioration de la vie des femmes sur les bases. »
Franck Cellier