Tous nos Ciels : quand l’art raconte l’histoire

Avec la pièce Tous nos Ciels, le collectif V.1 explore l’histoire des enfants dits de la Creuse, ces mineurs réunionnais déplacés vers la métropole dans les années 1960-80. À travers le destin de Marie Germaine Périgogne, présidente de la Fédération des enfants déracinés des DROM (FEDD), elle interroge la mémoire, l’identité, l’exil et la transmission. Nous sommes partis à la rencontre de Jessica Ramassamy, autrice de pièce à l’occasion d’une représentation au centre social de Saint-Joseph le 1er mai dernier dans le cadre du festival Komidi.

Un fait de société

Comment raconter une histoire qui a déjà été si souvent racontée ? Voilà le questionnement de Jessica Ramassamy, autrice de la pièce, lorsqu’elle décide de s’intéresser à l’histoire des enfants dits de la Creuse. Avec le collectif V.1, elle avait déjà mené un projet autour de l’affaire Gabrielle Russier, Il faut dire, en 2021, qui racontait l’histoire de cette professeure de lycée condamnée à de la prison pour avoir eu une histoire amoureuse avec un élève à la fin des années 1960 et dont le suicide avait ému la société de l’époque.

« Cette expérience nous a donné envie de continuer à nous pencher sur des faits de société. » Elle se souvient alors de l’histoire des enfants de la Creuse, ces jeunes Réunionnais déplacés et déracinés dans le cadre d’un projet porté par les pouvoirs publics entre les années 1962 et 1984. 

En décembre 2019, elle décide alors d’aller à la rencontre d’anciens mineurs déplacés et elle rencontre en premier Marie-Germaine Périgogne qui s’appelle alors toujours Valérie Andanson, alors porte-parole de la FEDD . « En repartant de l’entretien, je me suis dit que c’était son histoire que je voulais raconter. J’ai eu un véritable coup de coeur pour elle, sa force de résilience, sa détermination dans ce combat pour la réparation. » 

Lorsqu’elle lui expose le projet, Marie-Germaine lui fait très vite confiance mais lui explique qu’elle ne veut pas faire de son histoire « un spectacle mélodramatique ». Présente à deux des représentations, elle reconnaît que « la pièce a su retracer parfaitement mon histoire et s’en servir pour raconter celle plus grande des enfants dits de la Creuse. »

Adélaïde Héliot, Jessica Ramssamy et Jessica Laryennat lors de la représentation au centre social de Saint-Joseph le 1er mai 2025 dans le cadre du festival Komidi.
Jessica Ramassamy autrice de la pièce Tous nos Ciels.
Jessica Ramassamy autrice de la pièce Tous nos Ciels.

Entre fiction et histoire

Dès le départ, Jessica décide de ne pas faire de cette pièce un spectacle purement documentaire. L’idée était de raconter un fait historique, mais aussi de raconter un destin individuel. « J’avais envie, à travers cette pièce de parler de notions plus universelles comme l’arrachement, l’exil et l’identité. » explique t-elle. La prise de distance par rapport à l’histoire personnelle se fait dès l’écriture par le choix de modifier les prénoms dans la pièce : Valérie devient Élodie et Marie-Germaine Périgogne devient Marie-Anne Payet.

Au récit, elle y ajoute toutes ces autres histoires individuelles qu’elle a pu lire ou ces détails qu’elle a piochés dans des rapports et écrits plus globaux sur cette affaire comme par exemple Enfants en exil d’Ivan Jablonka. On peut noter une référence à l’avion Constellation lorsque l’assistante sociale promet à une mère que son fils reviendra la voir lorsqu’il sera commandant de bord.

Le burlesque au service de la dénonciation 

La difficulté était aussi de raconter une histoire triste tout en restant léger. Pour cela, Jessica prend le parti de construire des personnages caricaturaux, exacerbants ainsi leurs défauts et l’absurdité des situations. Pour raconter la multiplicité des destins vécus par les enfants déplacés, il a fallu aller piocher dans différents registres du théâtre. 

« Il fallait permettre au spectateur de traverser différentes étapes de vie de ces enfants dits de la Creuse. » L’utilisation du registre burlesque à certains moments permet d’apporter des moments de respiration et de souligner, par l’absurdité des mouvements ou des expressions, la cruauté de l’histoire. On peut prendre en exemple cette scène qui reprend les codes d’une émission phare des années 1990, Perdu de vue, qui est revisitée et nommée ironiquement « On m’a volé mon enfance« .

La mise en scène, portée par Elian Planès a renforcé ce parti pris. « Le texte a été porté par un jeu axé sur la gestuelle, avec un vrai décalage à certains moments entre le corps et la parole. » Pour parfaire le jeu sur scène, la troupe travaille même avec un chorégraphe pour raconter à travers les corps, ces différents destins et transporter le spectateur à travers différentes émotions.

Sans décor, la lumière joue un rôle important pour parfois isoler certaines actrices et créer des moments de pause.
Sans décor, la lumière joue un rôle important pour parfois isoler certaines actrices et créer des moments de pause.
Adélaïde Héliot.

Une mise en scène tournée vers le public

Dès le départ, le public est intégré complètement à l’écriture de la pièce. Jessica Ramassamy écrit avec la volonté d’en faire un spectacle intimiste avec une vraie proximité avec les spectateurs. « La mise en scène est épurée avec peu de lumière, pas de costumes ni de décors. On s’adresse directement au public en le prenant à témoin ou parfois en se mêlant à lui. »

L’échange se continue d’ailleurs à la fin de chaque représentation lors d’un « questions-réponses » auquel se prêtent volontiers les trois actrices. « Après chaque représentation, on constate que les gens ont beaucoup de questions à poser que ce soit sur l’affaire en elle-même, sur les choix artistiques mais aussi sur nos liens personnels avec le choix du récit ». 

Une démarche personnelle

Née en métropole de parents réunionnais, Jessica Ramssamy a toujours entretenu un lien très fort avec l’île où elle est revenue habiter à partir de son adolescence. « Inconsciemment, écrire sur cette histoire, c’était un moyen de parler d’un sujet qui me rapprochait de mes racines, de questionner mon rapport au lieu d’où je viens, même si je n’y suis pas née. » Pour elle, qui a toujours vécu proche de ses racines réunionnaises, l’arrivée sur l’île a été vécue comme un retour chez elle. 

Jessica Laryennat, autre comédienne de la troupe, partage avec elle une histoire similaire : mère réunionnaise, enfance en métropole et retour sur l’île à l’adolescence. Comme dans le cas des enfants déplacés, elles se sont questionnées : où est-on chez soi ? 

« À La Réunion, on nous considère comme Zorey et en métropole, on nous voit comme une étrangère. Ce spectacle nous a permis de nous réconcilier avec nos origines et d’affirmer notre identité, ce que beaucoup des enfants de la Creuse n’ont pas pu faire ».

Olivier Ceccaldi

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Olivier Ceccaldi

Photoreporter.

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